Plaque apposée sur son domicile en juin 2009 Crédit OT. Baie du Cotentin
Georges Gigareff : né en 1921 à Alençon (Orne) ; domicilié à Carentan (Manche) ; boucher-charcutier ; arrêté le 15 avril 1941 ; condamné à 9 mois de prison à Caen ; interné à Compiègne ; déporté à Auschwitz le 6 juillet 1942, où il meurt le 29 novembre 1942.

Georges Gigareff est né le 14 juillet 1921 à Alençon (Orne).
Il habite 9, rue du Château à Carentan (Manche) au moment de son arrestation.
Il est est le fils unique de Marthe Lebossé, née à la Bazoche-sur-Hoëne (Orne) le
10 mars 1898 et de Philippe Gigareff, tailleur, né à Moscou le 3 juillet 1895, vétéran de la Première Guerre mondiale (3ème Régiment spécial russe), naturalisé français le 19 mars 1930.
Georges Gigareff est reçu au certificat d’études primaire lors de la session du 23 avril 1933 à Carrouges (in Journal de l’Orne).
« La famille Gigareff s’est installée 9, rue du château probablement en 1939. La rue est alors très commerçante (vingt commerces en activité et une banque). Son père Philippe Gigareff est tailleur. La boutique est encadrée par celle d’un marchand d’armes, cycles et matériel de pêche au n°7 (Guillotteau), et la Société normande d’alimentation au n°11 (Vautier). Après leur retraite, les parents s’installeront au 19, rue Henri Dunant. Olivier Jouault (1).  Georges Gigareff exerce le métier de boucher-charcutier.
« Les registres d’écrou de la prison de Caen nous renseignent sur son physique : 1,66 m, le visage ovale, le front haut, la corpulence moyenne, les yeux pâles, les cheveux châtains moyen. A son admission à la prison de Caen, le fonctionnaire note que bien qu’âgé de dix-neuf ans il en paraît vingt-cinq. Aux dires de témoins, Georges était « un beau garçon bien solide, élégant, soucieux de sa tenue, aimable et expansif ». Fils unique, il était choyé par ses parents, sa mère en particulier. Georges Gigareff a appris le métier de charcutier, mais n’est pas employé au moment de son arrestation.
Georges à une « bonne amie », Jeanne S., des Ponts Douve (commune de Saint-Côme-du-Mont). La jeune femme est coiffeuse dans sa rue, chez Madame Poullain (n° 4 de la rue). Les parents Gigareff la reçoivent, signe que le mariage est envisagé. Ils prévoient d’acheter pour le futur couple une charcuterie, place de la République. 

Lettres de Georges Gigareff (Olivier Jouault.)

La séparation ne mettra pas un terme à la relation amoureuse, bien au contraire. La correspondance conservée en témoigne. Jeanne écrira à Georges durant sa détention, l’invitant à échafauder des projets d’avenir, elle accompagnera aussi les parents Gigareff lors de visites à la prison. Elle participera à la confection de colis pour le cher prisonnier, s’efforcera de soutenir le moral de sa future belle-mère. La famille de Jeanne apportera également son soutien à Georges et les deux familles se rendront visite, passant des dimanches après-midi ensemble à se réconforter. » Olivier Jouault (1).

Par une coupure de presse de Cherbourg-Eclair, on sait qu’il a été arrêté à la suite d’une plainte du directeur de l’usine laitière « Gloria », M. Henri Eigensatz, pour « bris de clôture », en fait « une petite manifestation organisée par deux jeunes gens qui auraient envoyé des pavés dans la porte de sa demeure, causé des dégâts estimés à 150 F, et tenté de mettre en marche son automobile.

Cherbourg-Eclair du 12 septembre 1939

 Les manifestants, MM César Montfiguet 19 ans et Georges Gigareff, 18 ans, commis charcutier, ont reconnu les faits« .

Cherbourg 1940 : le drapeau à croix gammée sur le fort du Roule (Dr)

Du 7 au 19 juin 1940 la Normandie est envahie par les chars de Rommel. Le 15e corps d’armée, commandé par le général Hotz investit Saint-Lô le 18 juin et Cherbourg le 19. Le 14 juin 1940, la Wehrmacht défile à Paris, sur les Champs-Élysées. La ville cesse alors d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France.
La moitié nord de la France et toute la façade ouest sont occupées. Le 22 juin 1940, l’armistice est signé : la moitié nord de la France et toute la façade ouest sont occupées. Le pays est coupé en deux par la « ligne de démarcation » qui sépare la zone occupée et celle administrée par Vichy. Le 10 juillet 1940 Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « Révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).

Avis de la FK 722 : 26 juillet 1940 interdiction de se passer des tracts anti allemands !

« Pendant l’Occupation Georges Gigareff, et deux de ses camarades, travaillèrent ensemble, deux mois avant son arrestation, au service des Allemands (sans doute à l’usine du lait Gloria (2). Olivier Jouault (1).

Dès le début de l’Occupation des tracts anti-allemands sont édités à l’initiative d’André Defrance qui organise des groupes de patriotes sous l’égide du Parti communiste clandestin. Les autorités allemandes éditent un avis dès la fin juillet 1940 interdisant sous peine de sévères punitions « de se passer l’un à l’autre des objets de propagande anti-allemande, tracts, journaux… qui doivent immédiatement être remis à la Feldkommandantur 722 ou a l’Ortskommandantur la plus proche…

Le mardi 15 avril 1941, Georges Gigareff est arrêté au domicile de ses parents par deux gendarmes allemands et deux gendarme français du peloton de Carentan.
Il est condamné à 9 mois de prison par le tribunal militaire de la Feldkommandantur 722 le 27/05/1941 pour « distribution de tracts et nouvelles germanophobes«  (traduction par le DAVCC du motif porté sur la liste d’otages du département de la Manche (photocopie ci-dessous). Selon son père : « Il fut incarcéré à la prison de Saint-Lô, en attendant d’être jugé. Après un court séjour en cette ville, il fut condamné par un Tribunal militaire allemand à une peine de neuf mois de prison. Il fut alors dirigé sur Caen pour purger cette peine et je lui rendis visite à plusieurs reprises à la prison. Le jour où il devait être libéré, à l’expiration de sa peine, je fus pour le chercher à Caen, avec l’intention de le ramener chez moi. C’est alors que j’ai appris qu’il avait été dirigé sur Compiègne et je ne le revis jamais plus » (04/10/1954).

Le mardi 15 avril 1941, Georges Gigareff est arrêté au domicile de ses parents
vers 19 heures par deux Feldgendarmen allemands et
un gendarme français. Une rapide perquisition est pratiquée, sans résultats.
Il passe la nuit à quelques pas de chez lui, dans les caves de la kommandantur, et est conduit le lendemain à la prison de Saint-Lô. 
Il est accusé sur la base d’une dénonciation pour un vol de cigarettes au détriment des Allemands. Mais selon les dires d’André Lecarpentier, il est  accusé d’appartenir à la Résistance, de s’être livré à la propagande gaulliste dans les cafés, de détenir un poste émetteur de radio et des armes et d’avoir conçu le projet de gagner l’Angleterre. Madame Gigareff fut d’ailleurs convoquée à la kommandantur de Carentan et s’y vit accusée d’avoir jeté dans les WC le revolver de Georges« . Olivier Jouault (1). 

Dessin du « Mitard » de la prison de Caen par Georges Gigareff / © AD 50 1J 228

Georges Gigareff est condamné à 9 mois de détention, qu’il purge à la prison de Caen.

Depuis cette prison, où il a manifestement fait un séjour au « mitard » (cellule disciplinaire d’une prison), il écrit à ses parents le vendredi 18 juillet 1941 au soir. C’est une lettre qu’il  a passer « en fraude » écrit-il, ce qui explique qu’il y puisse écrire qu’on lui a sans doute volé de l’argent dans son colis. Il s’y étonne en effet de ne pas avoir trouvé d’argent dans le colis qu’il a reçu, colis dont il détaille le contenu. Et fataliste, il écrit que c’est perdu, et qu’il ne faut pas réclamer, sans quoi les colis seraient supprimés. « Je vais donc manquer de pain cette semaine« .
Pour avoir un peu d’argent pour « cantiner », il leur propose un subterfuge : « quand vous viendrez me voir le 8 (août) vous coudrez bien à plat dans le bas d’une chemise 100 F en monnaie « .

Lettre depuis Compiègne à ses parents, passée en fraude

Il s’excuse aussi de ses « mauvaises lettres » : « ma pauvre tête souffre tellement, qu’il y a des jours où je deviens fou. Mais j’aime ma fiancée et il n’y a qu’elle qui me fait vivre« . « J’ai un cafard fou »… Il est extrait de la prison de Caen à la demande des autorités allemandes.

Celles-ci l’internent au camp allemand de Royallieu à Compiègne (le Frontstalag 122) le 26 février 1942 en vue de sa déportation comme otage.  Il y est affecté au bâtiment A3, chambre 7.  Il reçoit le matricule « 3639 ».

Le 23 avril 194, il écrit une carte-lettre (soumise à la censure allemande) à ses parents, dans laquelle, comme tous les internés, il parle de nourriture (ils ont faim) et de santé : « Chers parents et Jeannette chérie. J’ai reçu un bon colis, qui est le deuxième et je vous assure que je me suis bien réconforté avec le bon lard. J’attends de vos nouvelles avec impatience et j’espère que vous êtes en bonne santé tous les trois. 

Carte envoyée par Georges Gigareff depuis Compiègne © AD 50 1J 228
Lettre de ses parents adressée à Compiègne © AD 50 1J 228

Moi cela va, je suis en bonne santé, et avec les colis tout est bien. Bons baisers à vous trois ».

Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».

Depuis le camp de Compiègne, Georges Gigareff est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942

Cf l’article du site : Les wagons de la Déportation.

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante trois « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Son numéro d’immatriculation à Auschwitz n’est pas connu. Le numéro « 46239 » figurant dans mes deux premiers ouvrages sur le convoi du 6 juillet 1942 (éditions de 1997 et 2000) et signalé comme incertain correspond à une tentative de reconstitution de la liste du convoi par matricules, qui n’a pu aboutir en raison de l’existence de quatre listes alphabétiques successives, de la persistance de lacunes pour plus d’une dizaine de noms et d’incertitudes sur plusieurs centaines de numéros matricules. En l’absence de reconnaissance par un membre de la famille ou ami, il est donc hasardeux de maintenir ce numéro.

Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».  Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.

Carte lettre du FT 122, le 15 juillet 1942

Le 15 juillet 1942 sa famille reçoit, comme toutes les familles des déportés du convoi un avis écrit en allemand du Frontstalag 122, sur carte lettre verte : « Le détenu nommé ci-dessus a été sur ordre de notre service transféré dans un autre camp pour travailler. L’endroit exact n’est pas déterminé si bien que vous ne devez pas vous attendre à avoir d’autres nouvelles du détenu ».

Georges Gigareff meurt à Auschwitz le 29 novembre 1942 d’après le certificat de décès établi au camp d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz Tome 2 page 347).

« Il n’est déclaré décédé qu’en 1949, sur la foi du témoignage d’Emmanuel Michel, rescapé (de Deauville).  Son nom est ajouté à ceux des 87 autres victimes carentanaises de la Seconde Guerre mondiale sur le monument aux morts,
face au bâtiment de la kommandantur où il passa sa première nuit de captivité
 ». Olivier Jouault

Il est déclaré « Mort pour la France » en mars 1950. La mention « Mort en déportation » est apposée sur son acte de décès (arrêté
du 6 juillet 1993 paru au Journal Officiel du 28 janvier 1994). Mais cet arrêté porte  une mention erronée : décédé « en octobre 1942 ». Il serait souhaitable que le ministère prenne en compte par un nouvel arrêté la date portée sur son certificat de décès de l’état civil
d’Auschwitz, accessible depuis 1995 (Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau).
Lire dans le site l’article expliquant les différences de dates entre celle inscrite dans les «Death books» et celle portée sur l’acte décès de l’état civil français) Les dates de décès des « 45000 » à Auschwitz.

Inauguration de la plaque

« En 2006, des élèves du collège Gambetta ont travaillé à ramener à la lumière le souvenir du déporté. Mais des parts d’ombre exigeaient un travail plus méticuleux. Grâce aux efforts des collégiens et de témoins des années noires, une page d’histoire a été écrite qui, loin d’être anecdotique, enseigne sur le sort des civils durant l’Occupation et l’évolution de la répression allemande. Bousculant des mémoires approximatives, ce travail permet d’affirmer que Georges Gigareff fut à Carentan parmi les premiers à résister à l’Occupant et, à ce titre, retenu comme otage puis déporté politique.
La reconnaissance collective du parcours emblématique d’un jeune français a été magistralement organisée le 12 juin dernier, à l’occasion des cérémonies d’anniversaire de la libération de Carentan. Une plaque commémorative a été inaugurée à l’emplacement de son domicile ». Olivier Jouault (in bulletin municipal de Carentan, août 2009, p.18).

Ici fut arrêté Georges GIGAREFF, âgé de 19 ans, condamné pour Résistance, déporté et décédé à Auschwitz-Birkenau le 29 Novembre 1942. Mort pour la France.

  • Note 1 : En 2010, M. Olivier
    Jouault, Professeur d’Histoire-Géographie a publié une étude très documentée consacrée à Georges Gigareff. Les citations en italique rouge sont tirées de cette étude.
  • Note 2 : cette usine a été réquisitionnée dès le lendemain de l’occupation.

Sources

  • Liste d’otages (Archives du CDJC), reproduite ci contre.
  • Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
  • Fichier national de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen.
  • M. Olivier Jouault, Professeur d’Histoire-Géographie : étude très documentée consacrée à Georges Gigareff.

Notice biographique rédigée en avril 2001 (complétée en 2012, 2018, 2020 et 2021) par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages : Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 et de Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Autrement, Paris 2005) pour le livre « De Caen à Auschwitz » (Collège Paul Verlaine d’Evrecy, Lycée Malherbe de Caen et Association Mémoire vive) juin 2001, Ed. Cahiers du temps. Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
Pour la compléter ou la corriger cette biographie, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com 

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