Matricule « 46 280 » à Auschwitz

Marc Grünberg : né à Tulcéa (Roumanie) ; domicilié à Morteaux-Coulibeuf (Calvados) ; médecin ; arrêté comme otage juif nuit du premier au 2 mai 1942 ; interné au camp de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il meurt le 12 août 1942.

Marc Grünberg est né le 21 septembre 1906 à Tulcéa (Roumanie). Il est médecin à Morteaux-Coulibeuf (Calvados) au moment de son arrestation.
Il arrive en France à Strasbourg, en 1928.  Il s’installe en Normandie en 1938.
Selon un de ses descendants, il fait une demande de naturalisation en juillet 1938.
Il est très estimé dans le village où M. Lebon est chef de la brigade de gendarmerie. « Le 31 janvier 1939, le gendarme fait appel au médecin. Sa fille s’apprête à naître. Un accouchement difficile en cet hiver rigoureux. « Il a délivré ma mère et nous a sauvées toutes les deux », raconte, avec une émotion palpable, Huguette Lebon. Naissance d’un lien très fort, unique, entre l’exilé et la famille normande. Bientôt, la guerre et l’antisémitisme que fuyait le médecin le rattrapent. «Je pense que papa a essayé de corriger l’ orthographe de son nom pour qu’il ne soit pas inquiété (1) ». Dans la famille Lebon, on parle ainsi du « Docteur Grimbert ». Huguette Lebon n’apprendra le véritable nom du médecin qu’en contactant la communauté de communes du pays de Falaise, pour partager son histoire. 

La cafetière offerte à la famille Lebon par Marc Grünberg

Peu avant son arrestation, il avait offert à ses parents un service à café, comprenant serveuse et tasses, avec ces mots : « Je veux que cette petite fille se souvienne de moi». Si les tasses ont disparu sous les bombes dans un chariot de l’exode en août 1944, la cafetière est, elle, intacte. Tout comme le souvenir de l’homme, dans l’esprit d’Huguette Lebon » In Ouest France 2016, voir note (2).

Le 14 juin 1940, l’armée allemande d’occupation entre dans Paris, vidé des deux tiers de sa population.
La ville cesse alors d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Le 18 juin 1940, les troupes allemandes arrivant de Falaise occupent la ville de Caen, et toute la Basse Normandie le 19 juin. En août 8 divisions d’infanterie allemande – qu’il faut nourrir et loger – cantonnent dans la région. L’heure allemande remplace l’heure française.

A la suite de la première ordonnance allemande prescrivant le recensement des Juifs en zone occupée, un fichier des Juifs est établi dans chaque préfecture et un premier « Statut des Juifs » est édicté le 3 octobre 1940 par gouvernement de Vichy. Il est beaucoup plus draconien que l’ordonnance allemande (pour les Allemands, le Juif est défini par son appartenance à une religion, pour Vichy par son appartenance à une race). Les Juifs de nationalité française perdent, par ce décret du gouvernement de Vichy, leur statut de citoyens à part entière : à partir du 3 octobre 1940, la police française fait appliquer les ordonnances allemandes concernant l’obligation pour les Juifs de zone occupée d’avoir une carte d’identité portant la mention « Juif » : ils doivent se faire recenser dans les commissariats proches de leur domicile.
La famille Kraemer a été fichée par la préfecture du Calvados, à la demande des autorités allemandes en 1940 (ordonnance du 27 septembre 1940 – Commissariat Général aux Questions Juives, état des personnes de race israélite).

Otages communistes et Juifs à arrêter

Marc Grünberg est arrêté comme otage juif à son domicile par la gendarmerie française dans la nuit du premier au 2 mai  1942 (lire l’article du site en cliquant sur le lien ci dessus). En effet son nom figure sur la liste des communistes et Juifs à arrêter dans la nuit du premier au 2 mai (Feldkommandantur 723 en date du 1er mai 1942).

Liste des Juifs arrêtés

Il figure également sur la liste des Juifs arrêtés dans la nuit du 1er au 2 mai et remis le 3 mai 1942 (120 otages « communistes et Juifs ») établie par les autorités allemandes après les arrestations.
Ces listes et les arrestations qui suivent sont ordonnées en représailles au déraillement de deux trains de permissionnaires allemands à
Moult-Argences (38 morts et 41 blessés parmi les permissionnaires de la Marine
allemande à la suite des sabotages par la Résistance, les 16 et 30 avril 1942,
de la voie ferrée Maastricht-Cherbourg où circulaient deux trains militaires allemands).
Lire Le double déraillement de Moult-Argences et les otages du Calvados (avril-mai 1942).
Des dizaines d’arrestations sont effectuées à la demande des occupants.  24 otages sont fusillés le 30 avril à la caserne du 43e régiment d’artillerie de Caen.

Marc Grünberg est arrêté dans la nuit du 1er au 2 mai.

Conduit à la  prison de Falaise (N° d’écrou 91), Marc Grünberg est remis en liberté le 3 mai.
Il est arrêté de nouveau le 7 mai, et il est conduit à la prison de Caen, puis il est remis aux autorités allemandes (Feldkommandantur 723) à leur demande.Celles-ci l’internent au camp de Royallieu à Compiègne (le Frontstalag 122), le 9 mai, en vue de sa déportation comme otage.

Lire l’article : Les déportés juifs du convoi du 6 juillet 1942 

Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages». Le 6 juillet, à six heures du matin, il est conduit sous escorte allemande à la gare de Compiègne avec ses camarades, puis entassé dans un des wagons de marchandises qui forment son convoi. Le train s’ébranle à 9 heures trente.

Depuis le camp de Compiègne, Marc Grünberg est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le blog le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le blog : Le KL Aushwitz-Birkenau.

Il est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro « 46280 ».
Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a pas été retrouvée parmi les 524 que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, dont les 53 Juifs du convoi, restent à Birkenau, employés au terrassement dans les marais et à la construction des Blocks.

Dessin Franz Reisz, 1946

Il meurt à Auschwitz le 12 août 1942 d’après le certificat de décès établi au camp d’Auschwitz et destiné à l’état civil de la municipalité d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz Tome 3 page 399).
Il n’a reçu ni le titre de « Déporté politique » ni la mention « Mort en déportation ».
Mais y avait-il encore après la guerre un membre de sa famille susceptible de faire les démarches nécessaires ?

D’autres Juifs nommés Grünberg, domiciliés dans la Manche,  sont déportés à Auschwitz (https://college-barbey.etab.ac-caen.fr/IMG/pdf/doc_famille_Grunberg.pdf). Leurs noms figurent à côté de celui de Grünberg W. sur le monument aux victimes du nazisme de Saint-Lo (Manche) où ils ont dû habiter en dernière instance.
Le nom du médecin Marc Grünberg se trouve sur le monument aux morts de Morteaux-Couliboeuf.

Une plaque commémorative collective a été apposée le 26 août 1987 à la demande de David Badache et d’André Montagne, deux des huit rescapés calvadosiens du convoi.

Le nom de Marc Grünberg est inscrit sur la stèle à la mémoire des caennais et calvadosiens arrêtés en mai 1942. Située esplanade Louvel, elle a été apposée à l’initiative de l’association « Mémoire Vive », de la municipalité de Caen et de l’atelier patrimoine du collège d’Evrecy. Elle est honorée chaque année.

On trouve son nom parfois orthographié Grimberg : cf « Shoah en Normandie » éditions Cheminements.

  • Note 1 : Des listes de ressortissants étrangers ont été systématiquement établies à partir des recensements de population et des demandes de naturalisation. Les Préfectures n’ont eu aucune difficulté à les établir.
  • Note 2 : « Son nom a été comme un garde-fou pour moi, confie-t-elle. Ce n’est pas pour rien que j’ai suivi des études d’infirmière. » Symbole de cette présence, la cafetière l’a accompagnée partout où elle s’est installée : Afrique, États-Unis, Angleterre et même en Allemagne. « Quand j’ai entendu parler du Mémorial des civils, je me suis dit que c’était le moment de la transmettre. Pour qu’on n’oublie pas le Dr Grünberg ».

Sources

  • Liste des otages juifs du Calvados arrêtés le 1er mai 1942 (Archives départementales du Calvados).« List der Juden ».
  • Site GenWeb
  • Site du Mémorial de la Shoah
  • Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
  • Fichier national de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen. Fiche individuelle consultée en octobre 1993.

Notice biographique rédigée en janvier 2001 et complétée en 2012, 2017 et 2021 par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages :Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé) et de Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des «45000», éditions Autrement, Paris 2005) à l’occasion de l’exposition organisée par des enseignants et élèves du collège Paul Verlaine d’Evrecy, le lycée Malherbe de Caen et l’association Mémoire Vive. Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées du site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
Pour la compléter ou la corriger , vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com 

Un Commentaire

  1. Faire une biographie des déportés est très importante
    Marc Grunberg habitait le chef lieu de canton dans lequel ma famille maternelle habitait, mais aucun des membres de ma famille maternelle n’a parlé de cet homme, ce qui est très étonnant. C’est bien que Mme Lebon l’ait fait connaître et fait don de la cafetière au Musée des Civils à Falaise et que Mme Pascale Savin (enseignante à Falaise) ait fait des recherches et écrit le livre A MON GRAND REGRET pour retracer le parcours de cet homme. Merci beaucoup.

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