Maurice Guerrier ; né en 1906 à Trouville (Calvados), où il réside au moment de ses arrestations ; ouvrier peintre ; diffuseur de l’Humanité ; arrêté le 19 février 1940 pour propos défaitistes ; condamné à 6 mois de prison ; arrêté le 1er mai 1942 ; interné à Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il meurt le 18 septembre 1942.
Maurice, Marcel, Désiré Guerrier est né le 13 mars 1906 à Trouville (Calvados) où il réside, 22, rue Vieille au moment de son arrestation.
Il est le fils de Rose-Marie Borel, 23 ans, célibataire, journalière née en 1882 à Lieurey (Calvados), habitant rue Castor à Trouville.
Il est reconnu par son père Maurice, Louis, Jean Guerrier, le 11 avril 1909. Peintre en bâtiment, né en 1881 à Rivière Saint-Sauveur (Calvados), il décède en janvier 1925.
Le 27 octobre 1928 Maurice Guerrier épouse à Beaumont-en-Auge (Calvados) Suzanne, Fernande Lesellier, née le 30 juin 1910 à Blonville-sur-Mer, Calvados.
Le couple aura 4 enfants, âgés de 7, 8,10 et 11 ans au moment de l’arrestation de Maurice Guerrier (Jean, né le 29 avril 1929 à Trouville, Janine née le 7 août 1930 et André le 8 juillet 1934 à Beaumont, puis Bernard. Paulette, née en mars 1932 est décédée à l’âge de 5 mois).
En 1931, la famille habite au n° 3, quartier Moreaux à Beaumont-en-Auge. Maurice Guerrier travaille alors comme ouvrier peintre chez Nicolas à Touques (près de Trouville et Deauville). Au n° 2 de la même rue habite le frère de son épouse et sa famille, cultivateurs. En 1936, ils ont déménagé au n°2, quartier du Beau Huet, chez les parents de son épouse, cultivateurs.
Si Maurice Guerrier n’est pas mentionné sur le registre du recensement, son épouse Suzanne Guerrier et leurs trois premiers enfants le sont. Maurice Guerrier vit en effet alors maritalement avec Madame Thérèse Deslandes (Préfet du Calvados à M. l’Ambassadeur de France, Caen, 05/11/1942).
« Avant la guerre, il était vendeur du journal l’Humanité » déclaration d’Octave Rochereuil (épicier de Deauville).
Le 19 février 1940, il est arrêté et condamné à 6 mois de prison pour « propos défaitistes ».
Ce qui selon l’orientation politique du journal local est titré « Taisez-vous » (Ouest-Eclair du 2 mars 1940) ou « Paroles imprudentes » (Le Bonhomme Normand » du 1er mars 1940). A cette date, il travaille au 52, rue de Normandie à Trouville et il est peintre (in Le Bonhomme Normand).
Le 14 juin 1940, l’armée allemande d’occupation entre dans Paris, vidé des deux tiers de sa population. La ville cesse alors d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France.
Le 18 juin 1940, les troupes allemandes arrivant de Falaise occupent la ville de Caen, et toute la Basse Normandie le 19 juin. En août 8 divisions d’infanterie allemande – qu’il faut nourrir et loger – cantonnent dans la région. L’heure allemande remplace l’heure française. Le 22 juin, l’armistice est signé : la France est coupée en deux par la « ligne de démarcation » qui sépare la zone occupée de celle administrée par Vichy. Le 10 juillet 1940 Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « Révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
Maurice Guerrier est ouvrier peintre au moment de sa deuxième arrestation, et il habite au 22, rue Vieille à Trouville.
Considéré comme membre du Parti communiste par les Renseignements généraux, Maurice Guerrier est arrêté le 1er mai 1942 : il figure en effet sur la liste de 120 otages « communistes et Juifs » établie par les autorités allemandes. Son arrestation a lieu en représailles au déraillement de deux trains de permissionnaires allemands à Moult-Argences (38 morts et 41 blessés parmi les permissionnaires de la Marine allemande à la suite des sabotages par la Résistance, les 16 et 30 avril 1942, de la voie ferrée Maastricht-Cherbourg où circulaient deux trains militaires allemands. Des dizaines d’arrestations sont effectuées à la demande des occupants.
Lire dans le site : Le double déraillement de Moult-Argences et les otages du Calvados (avril-mai 1942).
Maurice Guerrier est amené au commissariat de Trouville, puis à la prison de Pont l’Evêque.
Déclaration d’Emmanuel Michel (employé SNCF de Deauville) : « Le 1er mai 1942, il fut arrêté à son domicile en même temps que moi par la Police du Commissariat de Trouville, et conduit immédiatement au Poste de Police de ce commissariat. L’après-midi du même jour, des gendarmes de Pont-l’Evêque sont venus nous chercher en camion et nous ont conduits à la Maison d’Arrêt de Pont-l’Evêque où nous sommes restés je crois deux jours. Un camion militaire allemand est venu nous prendre, et de là nous a conduits à Caen « au Lycée Malherbe » où Guerrier et moi avons séjourné deux jours. Le 5 mai 1942, nous avons été embarqués par des soldats allemands, et conduits à Compiègne (camp de Royallieu) où nous sommes restés deux mois ».
Madame Christine Le Callonec, parente par alliance du petit-fils fils d’un déporté, M. Jacques Sergeff, m’a fait parvenir les registres d’écrou de la prison de Pont-L’Evêque, concernant les arrestations effectuées par la Gendarmerie nationale française sur réquisition des Autorités allemandes le 3 mai 1942. Sur les quatre pages de ces registres d’écrou figurent les noms de 15 hommes. Parmi eux, 11 seront transférés à la Maison d’arrêt de Caen le 3 mai, puis à Compiègne et de là déportés à Auschwitz le 6 juillet 1942. Il s’agit de Maurice Auvray, Maurice Monroty, Pierre Lelogeais, Jacques Grynberg, Maurice Guerrier, Henri Philippard, Emmanuel Michel, Lucien Lehmann, Henri Hasman, Chaïm Levinsky et son fils, René Levinsky.
Pour Maurice Guerrier, après l’appositions de ses deux empreintes digitales, le signalement du registre relève son âge : 36 ans et ses caractéristiques physiques. 1 m 53, Barbe : rasée, Menton : l, Bouche : bée, Nez : ab, Sourcils : arqués, Yeux : marron, Cheveux : châtains, Teint : ordinaire. Sa date et lieu de naissance : le 13 mars 1906 à Trouville (Calvados).
Suivent sur la même ligne les mentions concernant l’identification des autorités ayant effectué l’arrestation (elle est « passagère » réalisée par la Gendarmerie nationale française) et l’autorité l’ayant commandée (autorités allemandes). Suivent : le dernier lieu de « séjour » (Trouville-sur-Mer), la date d’entrée à la prison de Pont-L’Evêque : le 3 mai 1942 et la date de sortie : le 3 mai 1942, puis la mention du transfert à la Maison d’arrêt de Caen le 3 mai 1942.
A la demande des autorités allemandes, Maurice Guerrier et dix autres otages – Juifs et communistes – dont son camarade Emmanuel Michel, sont conduits en autocars le 3 mai au « Petit lycée » de Caen occupé par la police allemande, où sont regroupés les otages du Calvados. On leur annonce qu’ils seront fusillés. Par la suite, un sous-officier allemand apprend aux détenus qu’ils ne seront pas fusillés mais déportés. Après interrogatoire, ils sont transportés le 4 mai 1942 en cars et camions à la gare de marchandises de Caen. Il est remis aux autorités allemandes à leur demande. Celles-ci l’internent au camp allemand de Royallieu à Compiègne, le 4 mai, en vue de sa déportation comme otage.
Maurice Guerrier et sont conduits le 3 mai au «Petit lycée» de Caen occupé par la police allemande, où sont regroupés les otages du Calvados. On leur annonce qu’ils seront fusillés. Par la suite, un sous-officier allemand apprend aux détenus qu’ils ne seront pas fusillés mais déportés. Après interrogatoire, ils sont transportés le 4 mai 1942 en cars et camions à la gare de marchandises de Caen. Le train démarre vers 22 h 30 pour le camp allemand de Royallieu à Compiègne le Frontstalag 122 (témoignage d’ André Montagne). Maurice Guerrier y est interné le lendemain soir en vue de sa déportation comme otage.
Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à leur déportation, voir les deux articles du site : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages
Depuis le camp de Compiègne, Maurice Guerrier est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks, responsables aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le Parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Sa photo d’immatriculation (2) à Auschwitz a été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession.
Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Aucun des documents sauvés de la destruction ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz, ne nous permet de savoir dans quel camp il est affecté à cette date.
Il meurt à Auschwitz le 18 septembre 1942 d’après les registres du camp.
Lire dans le site : 80 % des « 45 000 » meurent dans les six premiers mois
Emmanuel Michel, de Trouville, un des 8 rescapés calvadosiens sur les 80 du convoi a raconté sa mort. « J’avais également un autre camarade de la région, Guerrier, qui avait été arrêté le 1er mai 1942 et que je retrouvais à Auschwitz. Le 30 août 1942, Guerrier me fit ses adieux (1) avec un beau courage, vers midi 30. Vers 15 heures les sinistres camions des fours vinrent le chercher avec beaucoup d’autres. A 18 heures les cheminées de crématoires se mirent à cracher des nuages de fumées cendrées. Je ne revis, ni ne reverrai plus jamais mon ami Guerrier, mais je n’oublierai pas que je fus étreint par la terrible angoisse qui vous prend devant de telles atrocités, angoisse qui décupla l’admiration que j’éprouvais et que j’éprouve encore devant l’abnégation et le mépris de la mort dont Guerrier témoigna ce jour-là ». (in « Auschwitz, antre du crime et du sadisme. Un réquisitoire » janvier 1946, P 32 et 33).
Le titre de « Déporté politique » lui a été attribué en 1954. Il a été déclaré « Mort pour la France ».
Une plaque commémorative a été apposée le 26 août 1987 à la demande de David Badache et André Montagne, deux des huit rescapés calvadosiens du convoi. Le nom de Maurice Guerrier est inscrit sur la stèle à la mémoire des caennais et calvadosiens arrêtés en mai 1942. Située esplanade Louvel, elle a été apposée à l’initiative de l’association « Mémoire Vive », de la municipalité de Caen et de l’atelier patrimoine du collège d’Evrecy. Elle est honorée chaque année.
Son épouse est décédée le 5 novembre 2006 à Louviers (Eure).
- Note 1 : Chaque jour, lors de l’appel, sur simple avis d’un chef de Block ou d’un Kapo ou sur sa simple observation, un officier SS désigne les « inaptes au travail », malades ou trop fatigués pour le travail forcé. Ils sont alors destinés à la chambre à gaz.
- Note 2 : 522 photos d’immatriculation des « 45 000 » à Auschwitz ont été retrouvées parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation du camp d’Auschwitz. A la Libération elles ont été conservées dans les archives du musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau. Des tirages de ces photos ont été remis par Kazimierz Smolen (ancien détenu dans les bureaux du camp d’Auschwitz, puis devenu après-guerre directeur du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau) à André Montagne, alors vice-président de l’Amicale d’Auschwitz, qui me les a confiés.
Sources
- Liste des « communistes arrêtés dans la nuit du 1er au 2 mai sur désignation de l’Autorité Allemande locale (Kreiskommandantur 723) et remis le 3 mai 1942 »
- Mail de son petit-fils, Dominique, pour rectifier son deuxième prénom (2010)
- Listes – incomplètes – du convoi établies par la FNDIRP après la guerre (archives de la F.N.D.I.R.P).
- Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
- Fichier national de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, Caen.
Notice biographique rédigée en janvier 2001, complétée en 2021 et 2024, par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages : Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé) et de Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Autrement, Paris 2005) à l’occasion de l’exposition organisée par des enseignants et élèves du collège Paul Verlaine d’Evrecy, le lycée Malherbe de Caen et l’association « Mémoire Vive ». Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce blog) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
Pour compléter ou corriger cette notice, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com
Bonjour,
J’aimerais rectifier une note dans votre source, la personne qui a rectifier son deuxième prénom n’est pas sa petite fille mais son petit Fils Monsieur Dominique Guerrier, qui est mon père
Correction effectuée. Désolée pour cette erreur. J’en ai profité pour revoir la mise en page. Cordialement