Matricule « 45 774 » à Auschwitz   Rescapé

Signature de Charles Lelandais  le jour de son mariage
Charles Lelandais : né en 1909 à Plélan-le-Grand (Ille-et-Vilaine) ; domicilié à Caen (Calvados) ; artisan plombier ; syndicaliste et communiste ; arrêté le 1er mai 1942 comme otage communiste ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz ; rescapé ; décédé le 7 février 1982 à Bobigny.

Charles, Ernest, Yves Lelandais est  né le 15 mars 1909 à Plélan-le-Grand (Ille-et-Vilaine) où son père était commerçant.
Il habite au 48, rue Eustache Restout à Caen (Calvados) au moment de son arrestation.
Il est le fils de d’Eugénie Augustine Dufour, 34 ans, commerçante et de Charles, Jude Lelandais, commerçant, 35 ans, son époux.

En août 1932, il est arrêté pour « outrage à l’armée » (Ouest-Eclair du 3 août 1932).
Il est chaudronnier et habite au 11, avenue de la Prévoyance à Caen.
En 1935, il est plombier-fumiste et il est domicilié à Saint Pierre sur Dives, où est domicilié son père, veuf, qui travaille comme mécanicien.
Le 25 février 1935, il épouse à Caen, Aimée, Louise, Henriette Lechartier. Le couple habite au 14, avenue de la Prévoyance à Caen. Elle est modiste, née à Caen le 4 août 1912, y habitant chez ses parents au 23 (horticulteur et commerçante), 23, rue Saint-Sauveur.
Artisan plombier au moment de son arrestation (selon la liste d’arrestation, où sa profession a été confondue avec celle d’André Montagne, profession dont nous sommes certains, voir photos ci-contre et -après).
Secrétaire de la section communiste de Caen, il est affilié au syndicat CGT du bâtiment.
Selon André Montagne, il est monteur en chauffage central (et ne travaille ni aux PTT, ni à la SNCF : la fiche de la Préfecture est complètement erronée concernant son métier).

Le 14 juin 1940, l’armée allemande d’occupation entre dans Paris, vidé des deux tiers de sa population. La ville cesse alors d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France.
Le 14 juin 1940, l’armée allemande d’occupation entre dans Paris, vidé des deux tiers de sa population. La ville cesse alors d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Le 18 juin 1940, les troupes allemandes arrivant de Falaise occupent la ville de Caen, et toute la Basse Normandie le 19 juin. Les troupes allemandes défilent à Caen. Toute la Basse Normandie est occupée le 19 juin. La Feldkommandantur 723 s’installe à l’hôtel Malherbe, place Foch.
Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
En août huit divisions d’infanterie allemande – qu’il faut nourrir et loger – cantonnent dans la région. L’heure allemande remplace l’heure française.  Dès le début de l’Occupation allemande, la police de Vichy a continué de surveiller les anciens élus ou militants communistes « notoires », et procède à des perquisitions et des arrestations.

Selon son témoignage, il est membre du Parti communiste clandestin à partir de juin 1940 (contacté par Etienne Cardin), et du Front National à partir de fin 1941, contacté par Michel de Bouard comme « agent de liaison, distribution de tracts et journaux clandestins, sabotage de citernes d’essence en mettant du sucre dedans, inscriptions sur les murs pour démoraliser les troupes allemandes, transport d’armes, hébergement pendant deux semaines de deux camarades de Paris« .

Il est fiché comme communiste, selon un document figurant dans son dossier dit « De Brinon » (Fernand De Brinon représente en tant qu’ambassadeur du gouvernement français auprès du Haut commandement allemand (surnommé avec dérision « l’ambassadeur de France à Paris ») et à ce titre, il recevra les demandes des familles des internés politiques et interviendra auprès des allemands pour des mesures de clémence, sans grand zèle ni grand succès).
Dès le début de l’Occupation allemande, la police de Vichy a continué de surveiller les syndicalistes, anciens élus ou militant-es communistes « notoires » et procédé à des perquisitions et des arrestations (62 domiciles de militantes et militants sont perquisitionnés, dont ceux de 10 cheminots, et 18 arrestations sont effectuées). Vichy entend ainsi faire pression sur les militants communistes connus ou anciens élus pour faire cesser la propagande communiste clandestine. 

Dans la nuit du 1er au 2 mai 1942, Charles Lelandais est arrêté par la police française : il figure sur la liste de 120 otages « communistes et Juifs » dont les autorités allemandes ont requis l’arrestation. Son arrestation a lieu en représailles au déraillement de deux trains de permissionnaires allemands à Moult-Argences (38 morts et 41 blessés parmi les permissionnaires de la Marine allemande à la suite des sabotages par la Résistance, les 16 et 30 avril 1942, de la voie ferrée Maastricht-Cherbourg où circulaient deux trains militaires allemands. Des dizaines d’arrestations sont effectuées à la demande des occupants.
24 otages sont fusillés le 30 avril à la caserne du 43è régiment d’artillerie de Caen occupé par la Werhmarcht.
28 communistes sont fusillés en deux groupes les 9 et 12 mai, au Mont Valérien et à Caen. Le 9 mai trois détenus de la maison centrale et des hommes condamnés le 1er mai pour « propagande gaulliste » sont passés par les armes à la caserne du 43è RI.
Le 14 mai, 11 nouveaux communistes sont fusillés à Caen.

Listes d’arrestations des communistes arrêtés sur désignation de l’autorité allemande (Feldkommandantur 723) et remis à celle-ci le 3 mai 1942 (montage photo de Pierre Cardon à partir du document de la Préfecture de Caen / CDJC). Les professions ont été inversées.

Lire dans le site : Le double déraillement de Moult-Argences et les otages du Calvados (avril-mai 1942) et la note du Préfet de Police de Paris à propos du sabotage de Moult-Argences : Collaboration de la Police français (note du Préfet de police, François Bard).

Il est emmené de nuit à la Maison centrale de la Maladrerie de Caen (dite également prison de Beaulieu), entassé avec d’autres militants communistes caennais arrêtés le même jour, au sous-sol dans des cellules exiguës.
A la demande des autorités allemandes, Charles Lelandais et ses camarades sont conduits en autocars le 3 mai au «Petit lycée» de Caen occupé par la police allemande, où sont regroupés les otages du Calvados. On leur annonce qu’ils seront fusillés. Par la suite, un sous-officier allemand apprend aux détenus qu’ils ne seront pas fusillés, mais déportés.
Après interrogatoire, ils sont transportés le 4 mai 1942 en cars et camions à la gare de marchandises de Caen.
Le train démarre vers 22 h 30 pour le camp allemand de Royallieu à Compiègne le Frontstalag 122 (témoignage d’André Montagne).
Charles Lelandais y est interné le lendemain soir en vue de sa déportation comme otage.
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».

Depuis le camp de Compiègne, Charles Lelandais est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks, responsables aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le Parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

A son arrivée à Auschwitz, le 8 juillet, il est immatriculé sous le numéro « 45 774 ».

Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a pas été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.

Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, dont Charles Lelandais, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.

Le 17 ou 18 mars 1943, il fait partie des dix-sept “45 000” rescapés de Birkenau conduits à Auschwitz-I où il est affecté aux kommandos Terrasse et Strasskommando, extrêmement durs (René Aondetto estime que la quarantaine au block 11 l’a sauvé).

Le 15 août 1943 (Charles Lelandais se souvient de la date, car un détenu Polonais parlant français, qu’il suppose être un prêtre, lui avait dit la veille « demain c’est la fête de la vierge, nous allons prier »), il est parmi les “politiques” français rassemblés au premier étage du Block 11 – la prison du camp – pour une “quarantaine”. Exemptés de travail et d’appel extérieur, les “45 000” y sont témoins indirects des exécutions massives de résistants, d’otages polonais et tchèques et de détenus du camp au fond de la cour fermée séparant les Blocks 10 et 11.
Le 12 décembre 1943, à la suite de la visite du nouveau commandant du camp, Arthur Liebehenschel, et après quatre mois de ce régime qui leur a permis de retrouver quelques forces, ils sont pour la plupart renvoyés dans leurs Blocks et Kommandos d’origine.
Le 3 août 1944, il est parmi les trois-quarts des “45000” présents à Auschwitz qui sont de nouveau placés en “quarantaine”, au Block 10, en préalable à un transfert.

Dès 1944, devant l'avancée des armées soviétiques, les SS commencent à ramener vers le centre de l’Allemagne les déportés des camps à l’Est du Reich, dont Auschwitz. Les premiers transferts de "45.000" ont lieu en février 1944 et ne concernent que six d’entre eux. Quatre-vingt-neuf autres "45 000" sont transférés au cours de l'été 1944, dans trois camps situés plus à l'Ouest - Flossenbürg, Sachsenhausen, Gross-Rosen - en trois groupes, composés initialement de trente "45 000" sur la base de leurs numéros matricules à Auschwitz.  Une trentaine de "45 000" restent à Auschwitz jusqu'en janvier 1945.  Lire dans le site : "les itinéraires suivis par les survivants".

Le 29 août 1944, il fait partie les trente “45000” intégrés dans un convoi disciplinaire de 807 détenus (…) transférés au KL Sachsenhausen, dans la ville d’Oranienburg, au Nord-Ouest de Berlin (il y porte le matricule 94 269 ou 92 269, selon son souvenir).
En février 1945, il est affecté au Kommando Heinkel (intégré au camp) avec Marceau Lannoy et Maurice Le Gal.
Ils sont ensuite transférés au petit camp annexe de Trebnitz.
Début mai, ils sont évacués dans une marche forcée vers Hambourg.
En avril 1945, Charles Lelandais est libéré. Il est rapatrié le 21 mai (centre 49, rapatrié n° 1209387).

Il revient en région caennaise et habite au 24, rue Aristide Briand à Luc-sur-Mer.
Puis il déménage au 28, rue Jean Mermoz à Caen.
Il devient le secrétaire de la FNDIRP de Caen, et c’est à ce titre qu’il prononcera le discours lors de l’inauguration de la plaque en l’honneur de Lucien Blin, à la chaufferie de l’hôpital  Clémenceau de Caen (aujourd’hui CHU de Caen).
Le titre de «Déporté politique » lui a été attribué le 21 février 1952.
Son épouse Aimée Lechartier décède le 1er octobre 1967 à Bayeux.

Charles Lelandais vient alors habiter à Paris, où il travaille un temps pour les concerts de la salle Pleyel, selon André Montagne.
En février 1973, il habite au 3, Place d’Estienne d’Orves à Levallois-Perret.

Il épouse en secondes noces Madeleine,
Joséphine, Anne le 26 mai 1973 à Levallois-Perret, où le couple va habiter au 2, rue de Lorraine.
Elle est née le 19 février 1909 au Mesnil-Vigot (Manche). Elle décéde à Levallois en novembre 1981.

Charles Lelandais est mort à Bobigny
(Seine-Saint-Denis) le 7 février 1982. 

Une plaque commémorative a été apposée le 26 août 1987 à la demande de David Badache et André Montagne, deux des huit rescapés calvadosiens du convoi. Le nom de Charles Lelandais est inscrit sur la stèle à la mémoire des caennais et calvadosiens
arrêtés en mai 1942. Située esplanade Louvel, elle a été apposée à l’initiative de l’association « Mémoire Vive », de la municipalité de Caen et de l’atelier patrimoine du collège d’Evrecy. Elle est honorée chaque année.

Charles Lelandais a rencontré Roger Arnould (archiviste de la FNDIRP, lui-même ancien déporté) à deux reprises (en 1973 et 1980).
Après leur première rencontre, Roger Arnould lui écrit le 9 mars 1973 : « Cher camarade. Je viens te dire un grand merci pour ta visite de jeudi, au cours de laquelle tu m’as beaucoup apporté pour notre recherche sur l’histoire du convoi des « 45 000 » d’Auschwitz. C’est ainsi que chacun apportant sa pierre, nous écrivons cet impressionnant chapitre de la terrible tragédie dont, vous, les derniers rescapés du convoi, êtes les derniers témoins. Aucun document écrit ne pourra jamais remplacer votre témoignage. En apportant les uns et les autres, tout ce que vous savez, vous continuez les combats d’hier, inséparables de ceux d’aujourd’hui« .
Le brouillon manuscrit (Roger Arnould le retapait ensuite à la machine) est barré en rouge : lui écrire à nouveau.

Sources

  • Sur sa fiche de la FNDIRP, il est indiqué qu’ont témoigné à son sujet : Eugène Beaudouin, Marcel Cimier, André Montagne,  Louis Jouvin.
  • Notes de Roger Arnould.
  • Lettre de René Aondetto (1977).
  • Etat civil : mairie de Plélan, 8 mars 1994.
  • Fichier national de la Divisions des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen.
  • Recherches généalogiques (Naissance, mariage, recensements, coupures de presse) effectuées par Pierre Cardon.

Notice biographique rédigée en janvier 2001, complétée en 2017, 2020 et 2021, par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages : Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé) et de Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Autrement, Paris 2005) à l’occasion de l’exposition organisée par des enseignants et élèves du collège Paul Verlaine d’Evrecy, le lycée Malherbe de Caen et l’association Mémoire Vive.  Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com . 

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