Matricule « 45 984 » à Auschwitz

© Collection Sylvie Picquenot.

 

Pierre Picquenot : né en 1900 à Hainneville (Manche) ; domicilié à Octeville (Manche) ; chaudronnier à l’Arsenal de Cherbourg ; communiste ; arrêté le 21 octobre 1941 ; interné à Compiègne ; déporté à Auschwitz le 6 juillet 1942, où il meurt le 27 août 1942.

Pierre Picquenot est né le 6 juillet 1900 à Hainneville (Manche).
Il habite au 129, rue Saint-Sauveur à Octeville (Manche) au moment de son arrestation.
Il est fils de Marie, Léontine Boissy et de Marin, Jean, Léon Picquenot son époux. Il a une sœur, Léonie, née en 1894. Selon sa fiche matricule militaire Pierre Picquenot mesure 1m 67, a les cheveux châtain clair et les yeux gris, le front fuyant et le nez cave. Il a le visage ovale.
Au moment du conseil de révision, il travaille comme chaudronnier en fer à Hainneville (Manche). Il a un niveau d’instruction « n° 3 » pour l’armée (sait lire, écrire et compter, instruction primaire développée). Conscrit de la classe 1920 Pierre Picquenot, est « ajourné pour faiblesse » en 1918 et 1920 et classé dans la 5è partie de la liste. Il est classé dans la 1ère partie en 1921 et incorporé à compter du 10 avril 1921 au 3è TE à Mantes. Il « passe » au 4è bataillon d’ouvriers d’artillerie le 22 juin 1921, puis au 3è bataillon d’ouvriers d’Artillerie à Vernon le 1er août 1921. Il passe ensuite au 21è escadron du Train le 20 février 1922. Il est « envoyé dans la disponibilité » le 24 septembre 1922, « certificat de bonne conduite accordé » et « se retire » à Hainneville. Il sera affecté dans la réserve de l’armée active dans plusieurs régiments du train auto.

A Cherbourg, le 10 février 1925 Pierre Picquenot épouse Marie-Louise, Albertine Enault, née le 21 février 1903 dans cette même ville.
Elle est fille de salle à l’hôpital et habite au 9, rue de la Marine à Cherbourg. « Ce ce n’était pas l’aisance pour les enfants Enault dont les parents étaient décédés tous les deux en 1922 laissant sept orphelins âgés de vingt et un à trois ans » (Jean-Pierre Enault). La sœur de Pierre Picquenot, Léonie, épouse Lelièvre, décède en décembre de la même année.
Le couple s’installe au domicile de Marie-Louise 9, rue de la Marine. Ils ont deux garçons. Pierre, Marius, Louis qui naît le 2 juin 1926 et Roger qui naît le 22 juin 1931.

© Collection Sylvie Picquenot

Au début de mars 1936, Pierre Picquenot est victime d’un accident du travail (blessure à l’annulaire droit) alors qu’il transportait une tôle dans son entreprise, « l’atelier des bâtiments en fer » au Hameau Delaplanque à Octeville.
En juillet 1937, Pierre Picquenot est embauché pour trois mois comme chaudronnier à la Direction des constructions navales du port de Cherbourg (Arsenal). Pour l’armée cet emploi le fait alors « passer » comme « affecté spécial » en tant que réserviste de l’armée active : c’est-à-dire qu’il serait mobilisé à son poste de travail en cas de conflit.
Devenu chaudronnier en fer à l’Arsenal de Cherbourg, Comme René Fouquet, Lucien Levaufre et Lucien Siouville, Pierre Picquenot est un militant communiste connu des services de police (il vend la presse communiste à Octeville et à Cherbourg). 

Cherbourg Ouest-Eclair janvier 1939

Pierre Picquenot est candidat du Parti communiste, comme son camarade Lucien Siouville d’Octeville et huit autres militants, aux élections municipales complémentaires

Résultats à Octeville

du 22 janvier 1939 dans deux villes : à Cherbourg et Octeville, où il recueillera 147 voix.
Son père, retraité de la Marine, décède en octobre 1939.

Dans le cadre du décret du 18 novembre 1939 « relatif aux mesures à prendre à l’égard des individus dangereux pour la défense nationale et la sécurité publique« , Pierre Picquenot est révoqué de l’Arsenal de Cherbourg.

Le 29 mars 1940, il est rayé de l’Affectation Spéciale par décision du général commandant la 3è Région militaire, comme la plupart des ouvriers soupçonnés d’être syndicalistes et / ou communistes. Il redevient alors mobilisable, « inscrit en domicile». Il est spécifié qu’il ne doit pas être mobilisé au sein d’une unité armée, mais à un « régiment de  travailleurs ».
Il est convoqué le 16 avril 1940 au 3è Dépôt du Train et affecté le 18 avril à la Compagnie mixte auto.

Cherbourg 1940 : le drapeau à croix gammée flotte sur le fort du Roule (Dr)

Du 7 au 19 juin 1940 la Normandie est envahie par les chars de Rommel. Le 14 juin 1940, la Wehrmacht défile à Paris, sur les Champs-Élysées. Le 15ème corps d’armée, commandé par le général Hotz investit Saint-Lô le 18 juin et Cherbourg le 19 juin 1940.  Le 21 juin 1940, horloges et montres sont avancées d’une heure.  La moitié nord de la France et toute la façade ouest sont occupées. Le 22 juin 1940, l’armistice est signé : la moitié nord de la France et toute la façade ouest sont occupées. Le pays est coupé en deux par la « ligne de démarcation » qui sépare la zone occupée et celle administrée par Vichy. Le 10 juillet 1940 Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « Révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).

Pierre Picquenot est démobilisé le 20 août 1940, par le centre de démobilisation de Belvès (Dordogne). Il retrouve du travail comme ouvrier tôlier, employé par la Maison Ratti à Cherbourg (information Sureté nationale).

Dès le début de l’Occupation des tracts anti-allemands sont édités à l’initiative d’André Defrance, qui organise des groupes de patriotes sous l’égide du Parti communiste clandestin. La police de Vichy surveille les anciens élus, candidats ou militants communistes « notoires », procédé à des perquisitions et des arrestations. Vichy entend ainsi faire cesser la propagande communiste clandestine.

Selon son épouse, il participe au mouvement de reconstruction clandestine du PC. Selon l’attestation d’André Defrance « il commença son activité résistante dans le courant d’octobre 1940, époque à laquelle je pris contact avec lui, au nom du Parti Communiste Français. Au cours du mois de mai 1941 il poursuivit la lutte contre l’envahisseur sous l’égide du Front National, participation au recrutement de patriotes et à la formation de comités du Front National, participation à des réunions clandestines destinées à coordonner les actions, répartition et diffusion de tracts et autres publications à caractère patriotique, à la suite d’une diffusion de tracts opérée dans l’agglomération cherbourgeoise, la Gestapo vint l’arrêter à son domicile, en l’accusant notamment de détenir des armes, dans la nuit du 22 au 23/10/1941 « .

Pierre Picquenot est arrêté le 21 octobre 1941,à son domicile, par les autorités allemandes. « un Sous-Lieutenant de la Feldgendarmerie accompagné de quatre gendarmes se présenta à 21 heures 30 au domicile de Picquenot, 129, rue Saint-Sauveur à Octeville, pour y effectuer une perquisition prétextant qu’il détenait des armes. Bien que l’opération soit restée infructueuse, Picquenot fut arrêté et écroué à la Prison Maritime de Cherbourg où il resta 42 jours » (Sureté nationale).
Il est détenu à la Prison maritime de Cherbourg (la « Totoche » dans le jargon de l’Arsenal) jusqu’au 3 décembre 1941, puis il est remis aux autorités allemandes à leur demande

Celles-ci l’internent au camp de Royallieu à Compiègne (le Frontstalag 122) en vue de sa déportation comme otage. Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».

Depuis le camp de Compiègne, Pierre Picquenot est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942

Cf l’article du site : Les wagons de la Déportation.

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks, responsables aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le Parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Pierre Picquenot est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro matricule « 45 984 ».

Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a pas été retrouvée parmi les 522 que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.

Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.

© Dessin de Franz Reisz, 1946

Pierre Picquenot est « hospitalisé » au block 28 de l’infirmerie du camp principal.
Pierre Picquenot meurt à Auschwitz le 27 août 1942 d’après les registres de l’infirmerie du camp (block 28).

Il a été déclaré « Mort pour la France » le 2 mars 1950 et homologué « Déporté politique ».

Lettre (en polonais) du Musée d’Auschwitz 8 sept. 1970
Kazimierz Smolen

Le 8 septembre 1970, le Comité international d’Auschwitz sis à Varsovie, sous la signature de Kazimierz Smolen (directeur du musée et lui-même ancien déporté d’Auschwitz) fait parvenir au « Patriote résistant », journal de la FNDIRP des éléments d’information à la suite d’une demande parue dans le journal (date et lieu de naissance, date d’arrivée au camp, numéro d’immatriculation et passage au bloc d’infirmerie n°28, date de décès au 27 août 1942 (traduction). La lettre est transmise à la veuve de Pierre Picquenot

Le nom de Pierre Picquenot est honoré sur le monument commémoratif de Saint-Lô « Aux Victimes de la répression nazie » (porte de l’ancienne prison détruite lors du bombardement du 6 juin 1944). Il est gravé sur les monuments aux morts de Cherbourg-Octeville.

  • André Defrance (1) a multiplié les démarches peu avant son décès survenu en 1952, pour que ses camarades déportés de la Manche, et notamment Pierre Picquenot, soient homologués comme Combattants Volontaires de la Résistances ou Déportés et Internés Résistants. Lire le témoignage de son fils concernant les difficultés qu’il rencontra : « La carte de « Déporté-Résistant »
  • Note 1 : André Defrance, arrêté en janvier 1944, déporté à Flossenbürg via Auschwitz et Buchenwald. Homologué capitaine FFI-FTP, il était habilité après la Libération à délivrer des certificats d’appartenance à la Résistance au nom du FN et des FTP dans le département de la Manche. Ainsi, il rédigeait des attestations, constituait des dossiers, qu’il présentait ensuite aux commissions chargées d’attribuer les mentions CVR ou DIR. 

Sources

  • Recherches de Mme Renée Siouville (Résistante, veuve de Lucien Siouville (46106), rencontrée par Roger Arnould au pèlerinage d’Auschwitz de 1971), effectuées auprès des Associations locales et des archives municipales et départementales, qui ont permis de dresser une première liste et éléments biographiques de 17 des 18 « 45000 » de la Manche.
  • Photocopie des pièces officielles communiquée par l’adjoint-délégué, Mairie d’Octeville (juillet 1991).
  • « La Résistance dans la Manche  » (Marcel Leclerc) Ed. La Dépêche. Page 41.
  • Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
  • Bureau de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen.
  • Liste (incomplète) par matricule du convoi du 6 juillet 1942 établie en 1974 par les historiens du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau (Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (Ministère de la Défense, Caen) indiquant généralement la date de décès au camp.
  • Photo : © collection Sylvie Picquenot.
  • Courriel de M. Jean-Pierre Enault, neveu de Marie-Louise Picquenot.
  • Registres matricules militaires.
  • © Dessin de Franz Reisz, in « Témoignages sur Auschwitz », ouvrage édité par l’Amicale des déportés d’Auschwitz (1946).

Notice biographique rédigée en avril 2001, mise à jour en 2016, 2018, 2021 et 2024, par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages : Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 et de Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Autrement, Paris 2005), pour le livre « De Caen à Auschwitz » (Collège Paul Verlaine d’Evrecy, Lycée Malherbe de Caen et Association « Mémoire vive ») juin 2001, Ed. Cahiers du temps. Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com  

2 Commentaires

  1. Merci pour ce travail et ces recherches
    Juste pour information les prénoms de mon Père Pierre Picquenot fils de Pierre, Jean ,Marin Picquenot sont Pierre ,Marin ,Louis et non Marius
    Cordialement
    Pierre-Yves Picquenot

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