Matricule « 45 997 » à Auschwitz

François Poirier : né en 1904 à Saint-Vincent en Oust (Morbihan) ; domicilié à Vire (Calvados) ; manœuvre ; communiste ; arrêté le 4 mai 1942 comme otage communiste ; interné à Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il meurt le 13 novembre 1942.

François Poirier est né le 28 février 1904 au Houssac, lieu-dit de Saint-Vincent en Oust (Morbihan).
Il habite au 36, rue aux Teintures à Vire (Calvados) au moment de son arrestation.
François Poirier est le fils de Jeanne Sabot, 35 ans, cultivatrice et d’Hilaire Poirier, 35 ans, cultivateur, son époux, né le 4 juillet 1868 à Saint-Vincent en Oust.
Ses parents se sont mariés le 26 octobre 1897 à Saint-Vincent-sur-Oust.
Il est né dans une fratrie de 7 enfants : il a 2 sœurs aînées, Germaine et Mélanie, 2 cadettes, Germaine et Gabrielle et un frère aîné, Hilaire, né en 1901 (il est décédé en 1940).
Sa famille habite à Saint-Vincent, village Boro (1) et y exploite quelques parcelles.
François Poirier habite ensuite au 28, rue du Calvados à Vire, puis dans la même ville au 35, rue Girard et au 71, rue aux Teintures. Un autre membre de la famille, Jules Poirier, qui sera témoin à son mariage habite au n° 31.
En 1927, François Poirier habite au 29, rue aux Teintures à Vire. A cette date son père est décédé.

François Poirier épouse Marthe, Lucille Pommier le 11 mars 1927 à Vire.
Elle est employée de commerce et a 26 ans. Elle est née le premier avril 1901 à Tinchebray et habite également au 29, rue aux Teintures.
Le couple s’installe au 13, rue aux Teinturiers. En 1931, François Poirier est manœuvre chez Lecointre. Ils ont trois enfants (Robert, né en 1927, Mireille, née en 1929 et Eva, née en 1931). En 1936, ils habitent à la même adresse, mais les deux parents sont au chômage.
Leur mariage est dissous le 25 janvier 1940 par le tribunal de Vire.
Il est « sympathisant communiste » d’après les fiches de la gendarmerie, ou « ancien communiste actif«  d’après le cabinet du Sous-Préfet de Vire.
Quoiqu’il en soit, il est connu des services de Police et fiché comme communiste.

Le 14 juin 1940, l’armée allemande d’occupation entre dans Paris, vidé des deux tiers de sa population. La ville cesse alors d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Toute la Basse Normandie est occupée le 19 juin. Les troupes de la Wehrmacht arrivant de Falaise occupent Caen le mardi 20 juin 1940. La Feldkommandantur 723 s’installe à l’hôtel Malherbe, place Foch. En août huit divisions d’infanterie allemande – qu’il faut nourrir et loger – cantonnent dans la région. L’heure allemande remplace l’heure française.
Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).

Dès le début de l’Occupation allemande, la police de Vichy a continué de surveiller les anciens élus ou militants communistes « notoires », et procède à des perquisitions et des arrestations. Vichy entend ainsi faire pression sur les militants communistes connus ou anciens élus pour faire cesser la propagande communiste clandestine.

Il a été arrêté, avec son amie Joséphine Duchemin avec laquelle il vit, en octobre 1940 et condamné pour vol de 30 kg de pommes de terre à 1 mois de prison (Le Bonhomme Normand 11/10/1940 et 22/11/1940). Selon son fils, il alors est maçon chez M. Plamand.
Il est arrêté par la Feldgendarmerie de Flers en même temps que Jules DatinSamuel Frémont et Pierre Lebreton le 4 mai 1942 (cf document ci-dessous). Ils figurent sur la liste de 120 otages « communistes et Juifs » établie par les autorités allemandes.

Son arrestation est ordonnée en représailles au déraillement de deux trains de permissionnaires allemands à Airan-Moult-Argences (38 morts et 41 blessés parmi les permissionnaires de la Marine allemande à la suite des sabotages par la Résistance, les 16 et 30 avril 1942, de la voie ferrée Maastricht-Cherbourg où circulaient deux trains militaires allemands.
Des dizaines d’arrestations sont effectuées à la demande des occupants. 24 otages sont fusillés le 30 avril à la caserne du 43è régiment d’artillerie de Caen occupé par la Werhmarcht.
28 communistes sont fusillés en deux groupes les 9 et 12 mai, au Mont Valérien et à Caen. Le 9 mai trois détenus de la maison centrale et des hommes condamnés le 1er mai pour « propagande gaulliste » sont passés par les armes à la caserne du
43è RI.
Le 14 mai, 11 communistes sont fusillés à Caen.
Lire dans le site : Le double déraillement de Moult-Argences et les otages du Calvados (avril-mai 1942) et la note du Préfet de Police de Paris à propos des deux sabotages de Moult-Argences : Collaboration de la Police français (note du Préfet de police, François Bard).
Des dizaines d’arrestations sont effectuées par la police et la gendarmerie françaises à la demande des occupants ou par les allemands eux-mêmes, comme c’est le cas pour la région de Vire, ainsi que l’explique le document ci-joint, un courrier du sous-Préfet de Vire (M. Liard) au Préfet du Calvados (Henry Graux).

Courrier du sous-préfet de Vire 6 mai 1942

Objet: Arrestations effectuées par les autorités d’occupation.
Références : Mes communications téléphoniques des 2 et 5 Mai avec votre Cabinet.
J’ai l’honneur de vous confirmer les renseignements que je vous ai transmis verbalement au sujet des arrestations effectuées par les autorités d’occupation. Dans la nuit du 1er au 2 mai – conformément à l’avis qui m’en avait été donné téléphoniquement par M. le Secrétaire Général – la Feldgendarmerie de Flers s’est présentée à la Section de Vire requérant la Gendarmerie et la Police d’avoir à  procéder à l’arrestation des Juifs et des communistes de l’Arrondissement. Je donnai ordre de surseoir à toute opération avant que le Chef de Section mandé à Caen par vos soins ne fut revenu. A son retour, et en dépit des violentes protestations de la Feldgendarmerie, je maintins l’ordre de ne procéder qu’aux arrestations mentionnées sur la liste remise par vos services, qui ne comptait que des Juifs. Pour diverses raisons, aucun de ceux-ci ne put d’ailleurs être appréhendé. Le Docteur Drucker, du Sanatorium de St Sever, avait été arrêté auparavant, comme je vous en avais rendu en compte verbalement. Dans la nuit du 3 au 4 mai, la Feldgendarmerie a procédé, par ses propres moyens et sans en aviser les services français, aux arrestations suivantes : à Vire : Poirier, ancien communiste actif, Datin ancien communiste actif, Bossu et Lebreton. A Condé-sur-Noireau: Frémont ancien communiste, et Bouvet suspect d’avoir sympathisé avec l’ex-Parti communiste.
Avec Jules Datin, Samuel Frémont et Pierre Lebreton, François Poirier est conduit à la maison d’arrêt de Vire, puis à celle de Caen. Il est ensuite transféré au «Petit lycée» de Caen occupé par la police allemande, où sont regroupés les otages du Calvados. On leur
annonce qu’ils seront fusillés. Par la suite, un sous-officier allemand apprend aux détenus qu’ils ne seront pas fusillés mais déportés.
Après interrogatoire, ils sont transportés le 4 mai 1942 en cars et camions à la gare de marchandises de Caen. Le train démarre vers 22 h 30 pour le camp allemand de Royallieu à Compiègne le Frontstalag 122 (témoignage André Montagne). François Poirier y est interné le lendemain soir en vue de sa déportation comme otage.

A Compiègne, il reçoit le matricule « 5265 ».  Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».

Depuis le camp de Compiègne, François Poirier est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks, responsables aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le Parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Il est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro matricule « 45 997 ».

Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a pas été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.

Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Aucun des documents sauvés de la destruction ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz, ne nous permet de savoir dans quel camp il est affecté à cette date

François Poirier meurt à Auschwitz le 13 novembre 1942 d’après les registres du camp.
Lire dans le site : 80 % des « 45 000 » meurent dans les six premiers mois

Une plaque commémorative a été apposée le 26 août 1987 à la demande de David Badache et André Montagne, deux des huit rescapés calvadosiens du convoi. Le nom de François Poirier est inscrit sur la stèle à la mémoire des caennais et calvadosiens arrêtés en mai 1942.
Située esplanade Louvel, elle a été apposée à l’initiative de l’association « Mémoire Vive », de la municipalité de Caen et de l’atelier patrimoine du collège d’Evrecy. Elle est honorée chaque année.

  • Note 1 : Le 15 décembre 1942, alors qu’il est déjà mort au camp d’Auschwitz, le journal « l’Avenir du Morbihan« , publie son nom et celui d’autres membres de sa famille dans une annonce d’adjudication pour la vente de parcelles de terrains agricoles appartenant à sa famille à Saint-Vincent sur Oust.

Sources

  • Ministère des ACVG, Val de Fontenay (1991).
  • Demande de renseignements à la mairie de Vire (nov. 1991).
  • Etat de renseignement concernant les personnes arrêtées par la Feldgendarmerie (3ème légion, Compagnie de Gendarmerie du Calvados. Caen 15 mai 1942)
  • Listes – incomplètes – du convoi établies par la FNDIRP après la guerre (archives de la F.N.D.I.R.P).
  • Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
  • Fichier national de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen.
  • Recherches généalogiques (état civil, recensements 1931 et 1936 à Vire,
    registre matricule militaire, presse locale) effectuées par Pierre Cardon.

Notice biographique rédigée en janvier 2001 (complétée en 2017, 2020, 2021 et 2024) par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : «Triangles rouges à Auschwitz, le convoi politique du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 Paris et de Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des «45000», éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé), à l’occasion de l’exposition organisée par des enseignants et élèves du collège Paul Verlaine d’Evrecy, le lycée Malherbe de Caen et l’association « Mémoire Vive ». Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce blog) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com

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