Matricule « 46 308 » à Auschwitz
Maurice Scharf : né en 1909 à Cernăuți (Autriche-Hongrie) ; domicilié à Caen (Calvados) ; ingénieur chimiste ; arrêté le 1er mai 1942 comme otage Juif ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz ; décédé à Birkenau le 31 juillet 1942
Moritz, Maurice Scharf est né le 13 août 1909 à Cernăuți (alors sous occupation austro-hongroise avant la guerre 1914- 1918) (1).
Il habite 41, impasse Ecuyère à Caen (Calvados) au moment de son arrestation.
Il est le fils de Tile Rostholder et de Kalman Scharf son époux.
Il arrive en France en 1929. Il fait ses études à l’Institut de Chimie de Normandie. Il devient ingénieur en génie civil.
Il est naturalisé français le 11 mars 1937 (décret 3393-32, paru au JO).
Au moment de son mariage, il est domicilié au 67, rue de Geôle à Caen. Son père est décédé.
Le 10 avril 1937 à Caen, il épouse Denise, Rosa, Jeanne Hermerel. Elle a 22 ans, employée des Postes, catholique, née le 25 mai 1914 à Paris 17°. Elle est domiciliée chez sa mère au 67, rue de Géole à Caen. Un des témoins du mariage est son ami Mendel Kronenfeld.
L’année suivante, il est lui-même témoin avec un autre ingénieur nommé Abraham Erdreich, au mariage de Mendel Kronenfeld.
Le 14 juin 1940, l’armée allemande d’occupation entre dans Paris, vidé des deux tiers de sa population. La ville cesse alors d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Toute la Basse Normandie est occupée le 19 juin. Les troupes de la Wehrmacht arrivant de Falaise occupent Caen le mardi 20 juin 1940. La Feldkommandantur 723 s’installe à l’hôtel Malherbe, place Foch.
Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
En août huit divisions d’infanterie allemande – qu’il faut nourrir et loger – cantonnent dans la région. L’heure allemande remplace l’heure française.
A la suite de la première ordonnance allemande prescrivant le recensement des Juifs en zone occupée, un fichier des Juifs est établi dans chaque préfecture et un premier « Statut des Juifs » est édicté le 3 octobre 1940 par gouvernement de Vichy.
Il est beaucoup plus draconien que l’ordonnance allemande (pour les Allemands, le Juif est défini par son appartenance à une religion, pour Vichy par son appartenance à une race). Les Juifs de nationalité française perdent, par ce décret du gouvernement de Vichy, leur statut de citoyens à part entière : à partir du 3 octobre 1940, la police française fait appliquer les ordonnances allemandes concernant l’obligation pour les Juifs de zone occupée d’avoir une carte d’identité portant la mention « Juif » : ils doivent se faire recenser dans les commissariats proches de leur domicile.
Le Mémorial de la Shoah propose sur son site informatique un lien avec un Maurice Scharf dans une correspondance datée du 27 février 1942, entre le SS-Obersturmführer Theodor Dannecker et le SS-Hauptsturmführer Heinrich Müller, conversation relative à l’arrestation prévue d’hommes juifs dans les régions de la Manche et du Calvados, suivie d’une liste des Juifs concernés par la rafle prévue « pour les mois à venir ». Mais il s’agit d’un autre déporté Juif, Maurice (Mojses) Scharf, né en 1906. (note 2).
Maurice Scharf est arrêté comme otage Juif par la police française le 1er mai 1942. Il figure en effet sur la liste de 120 otages « communistes et Juifs » établie par les autorités allemandes. Son arrestation a lieu en représailles au déraillement de deux trains de permissionnaires allemands à Airan-Moult-Argences (38 morts et 41 blessés parmi les permissionnaires de la Marine allemande à la suite des sabotages par la Résistance, les 16 et 30 avril 1942, de la voie ferrée Maastricht-Cherbourg où circulaient deux trains militaires allemands. Des dizaines d’arrestations sont effectuées à la demande des occupants. 24 otages sont fusillés le 30 avril à la caserne du 43è régiment d’artillerie de Caen occupé par la Werhmarcht. 28 communistes sont fusillés en deux groupes les 9 et 12 mai, au Mont Valérien et à Caen. Le 9 mai trois détenus de la maison centrale et des hommes condamnés le 1er mai pour « propagande gaulliste » sont passés par les armes à la caserne du 43è RI. Le 14 mai, 11 nouveaux communistes sont fusillés à Caen.
Lire dans le site : Le double déraillement de Moult-Argences et les otages du Calvados (avril-mai 1942) et la note du Préfet de Police de Paris à propos des deux sabotages de Moult-Argences : Collaboration de la Police français (note du Préfet de police, François Bard).
Le premier mai 1942, il est arrêté dans la nuit à son domicile par un inspecteur de police français, accompagné d’agents et de Feldgendarmen.
Il est emmené de nuit à la Maison centrale de la Maladrerie de Caen (dite également prison de Beaulieu), entassé avec d’autres Juifs de Caen et des militants communistes caennais arrêtés le même jour, au sous-sol dans des cellules exiguës.
A la demande des autorités allemandes, Maurice Scharf et les autres otages juifs sont conduits en autocars le 3 mai au «Petit lycée»
de Caen occupé par la police allemande, où sont regroupés les otages du Calvados. On leur annonce qu’ils seront fusillés. Par la suite, un sous-officier allemand apprend aux détenus qu’ils ne seront pas fusillés mais déportés. Après interrogatoire, ils sont transportés le 4 mai 1942 en cars et camions à la gare de marchandises de Caen. Le train démarre vers 22 h 30 pour le camp allemand de Royallieu à Compiègne le Frontstalag 122 (témoignage d’André Montagne).
Maurice Scharf y est interné le lendemain soir en vue de sa déportation comme otage.
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Lire l’article : Les déportés juifs du convoi du 6 juillet 1942
Depuis le camp de Compiègne, Maurice Scharf est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks, responsables aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le Parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Il est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro matricule « 46 308 ».
Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a pas été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, dont tous les otages juifs du convoi, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Maurice Scharf meurt à Auschwitz le 31 juillet 1942 d’après les registres du camp.
Lire dans le site : 80 % des « 45 000 » meurent dans les six premiers mois
Une plaque commémorative a été apposée le 26 août 1987 à la demande de David Badache et André Montagne, deux des huit rescapés calvadosiens du convoi. Le nom de Maurice Scharf est inscrit sur la stèle à la mémoire des caennais et calvadosiens arrêtés en mai 1942. Située esplanade Louvel, elle a été apposée à l’initiative de l’association « Mémoire Vive », de la municipalité de Caen et de l’atelier patrimoine du collège d’Evrecy. Elle est honorée chaque année.
- Note 1 : Cette ville, anciennement en Roumanie, est actuellement une ville d’Ukraine, capitale administrative de l’Oblasst de Tchernivtsi (en ukrainien : Чернівці) ou Tchernovtsy ou encore Tchernowitz. En russe : Черновцы), en roumain : Cernăuți, en allemand : Czernowitz ; en polonais : Czerniowce.
- Note 2 : Dans sa lettre du 25 février 1942, le SS-Obersturmführer Dannecker demande la liste des détenus et souligne que les Juifs turcs, bulgares et hongrois ne peuvent pas encore être arrêtés. Il aimerait savoir par ailleurs où les épouses des hommes juifs arrêtés doivent être internées. Le SS-Hauptsturmführer Müller répond par une brève note le 27 février et joint une liste de 34 Juifs domiciliés dans la région du Calvados et de la Manche. Il dit qu’il est prévu d’arrêter 100 hommes juifs âgés entre 18 et 65 ans aux alentours de Caen et qu’il est question de les interner – Le camp d’internement n’est pas mentionné, ni la date d’arrestation. La liste comprend également des femmes juives, des Juifs de nationalité française, roumaine, hongroise, polonaise et turque (fonds Gestapo / CDJC / Mémorial de la Shoah).
Sources
- Fiche FNDIRP N° 21341, remplie par sa veuve Denise Scharf, qui cite le témoignage de Charles Lelandais.
- Liste Jean Quellien, historien (1992).
- Liste des Juifs à arrêter le 1er mai 1942 ‘Archives départementales du Calvados.
- Listes – incomplètes – du convoi établies par la FNDIRP après la guerre (Archives de la F.N.D.I.R.P).Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – des certificats de décès des détenus immatriculés, établis entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, pour l’état civil de la ville d’Auschwitz.
- Fichier national de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen.
- Recherches généalogiques (Mariages 1937 et 1938, Mémorial de la Shoah, recensement) effectuées par Pierre Cardon.
Notice biographique rédigée en janvier 2001 (complétée en 2014, 2016, 2017, 2020, 2021 et 2024) par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : «Triangles rouges à Auschwitz, le convoi politique du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 Paris et de Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des «45000», éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé), à l’occasion de l’exposition organisée par des enseignants et élèves du collège Paul Verlaine d’Evrecy, le lycée Malherbe de Caen et l’association « Mémoire Vive ». Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
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