Matricule « 46 269 » à Auschwitz
Jean Blumenfeld : né en 1903 à Kielce (Pologne) ; domicilié à Paris (17ème) ; employé, comptable ; interné le 14 mai 1941 à Beaune-la-Rolande ; arrêté le 3 avril 1942 sur la ligne de démarcation ; interné à Pithiviers, puis Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz ; décédé à Auschwitz-Birkenau le le 11 août 1942
Chaim, Sziga dit Jean Blumenfeld habite au 5, rue Torricelli à Paris (17ème) au moment de son arrestation en mai 1942.
Il est né le 8 janvier 1903 à Kielce (Pologne) (1). Il vit en France avec ses parents depuis 1904. Il est de nationalité polonaise, car sa demande de naturalisation a été ajournée.
Il est le fils d’Estera Dombrowicz (née en 1874) et de David Blumenfeld, né le 25 janvier 1878 à Zarki, artisan fourreur, son époux.
Il a deux sœurs, Sarah (née le 25 décembre 1903 à Zabkowice) et Léontine, née en 1906. En 1920, toute la famille habite au 6, rue du Grenier-Saint-Lazare, à Paris dans le 3èmearrondissement.
Le 20 avril 1925, Jean Blumenfeld épouse Mariette Dauthuille à Paris 10ème.
Née le 5 mars 1901 à Nouvion-en-Thiérache (Aisne), son épouse est, comme lui, employée. De leur union naît Jacqueline, le 13 décembre 1926 à Paris 10ème.
En 1926, son père est ouvrier tailleur, et ses sœurs sténodactylos chez Dikson.
En 1931, sa demande de naturalisation est ajournée.
Selon le Mémorial de la Shoah Jean Blumenfeld était ingénieur.
Il figure de façon très reconnaissable, sur une photo datée du 26 janvier 1935 et prise lors des travaux de consolidation du barrage du Hamiz, à 35 km au sud-est d’Alger (transmise par sa famille au Mémorial de la Shoah et dont nous avons agrandi la partie gauche).
Cependant, la profession indiquée sur sa fiche de recherche aux archives du ministère de la Dfense (DAVCC) indique qu’il était chef de comptabilité.
En 1936, son père David Blumenfeld (2), alors sans emploi vit avec sa fille Sarah, sténo-dactylo à Boulogne.
Le 14 juin, les troupes allemandes défilent à Paris, sur les Champs-Élysées. Le 22 juin, l’armistice est signé : la France est coupée en deux par la « ligne de démarcation » qui sépare la zone occupée de celle administrée par Vichy. Le 10 juillet 1940 Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « Révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
Le 3 octobre 1940, les Juifs de nationalité française perdent – par le décret du gouvernement de Vichy – leur statut de citoyens à part entière (obtenu le 21 septembre 1791). En effet à la suite de la première ordonnance allemande prescrivant le recensement des Juifs en zone occupée, un fichier des Juifs est établi dans chaque préfecture et un premier « Statut des Juifs » est édicté le 3 octobre 1940 par gouvernement de Vichy. Il est beaucoup plus draconien que l’ordonnance allemande (pour les Allemands, le Juif est défini par son appartenance à une religion, pour Vichy par son appartenance à une race). Les Juifs de nationalité française perdent, par ce décret du gouvernement de Vichy, leur statut de citoyens à part entière : à partir du 3 octobre 1940, la police française fait appliquer les ordonnances allemandes concernant l’obligation pour les Juifs de zone occupée d’avoir une carte d’identité portant la mention « Juif » : ils doivent se faire recenser dans les commissariats proches de leur domicile. Dans certains départements les préfets ont transmis à la commission nationale de révision des naturalisations des listes d’étrangers naturalisés (et parmi eux de nombreux Juifs). Cela n’a pas été le cas dans le Calvados pour les Juifs déportés le 6 juillet 1942. Seul Jacques Grynberg est dénaturalisé en mai 1944, mais directement au plan national, la commission n’ayant pas connu son parcours depuis le Bas-Rhin à Paris puis à Caen.
Lire l’article : Les déportés juifs du convoi
Jean Blumenfeld est interné le 14 mai 1941 au camp français de séjour surveillé de Beaune-la-Rolande à la suite de la convocation et de l’arrestation des Juifs étrangers du département de la Seine. C’est la « rafle du billet vert », i.e. la convocation et l’arrestation de Juifs étrangers par la police française le 14 mai 1941. Les autorités françaises arrêtent ainsi 3 700 hommes juifs, principalement de nationalités polonaise et tchèque, ou des apatrides.
Il est libéré de Beaune-la-Rolande le 26 août 1941.
En 1942, il quitte Paris le 31 mars, mais est arrêté le 3 avril 1942 en tentant de franchir clandestinement la ligne de démarcation (il est vendu par le passeur qui conduit directement les quatre personnes à proximité du poste allemand, au moment même de franchir, en plein bois, la ligne de démarcation).
Jean Blumenfeld est hospitalisé à Bourges et condamné le 16 avril 1942 à un mois de prison pour tentative de passage de la ligne de démarcation. Il effectue sa peine à l’hôpital de Bourges (du 3 avril au 21 mai) en raison de son état de santé.
Le 22 mai 1942, il est interné au camp français de séjour surveillé de Pithiviers (Loiret) et transféré le 2 juin 1942 à la demande des autorités allemandes à la prison d’Orléans, puis au camp allemand de Royallieu à Compiègne le 27 juin 1942.
Il y reçoit le matricule « 5976 » et est placé dans le « camp des Juifs » dans le Bloc C6.
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination du camp de concentration d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Depuis le camp de Compiègne, Jean Blumenfeld est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante trois « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
En gare de Saint-Quentin, il jette des pages de carnet sur le ballast. Ses petites filles (Pascale Solignac et Catherine Peulier-Tirano ont gardé précieusement ces pages de son carnet trouvées sur la voie ferrée en gare de Saint Quentin, et adressées à sa femme. Ils ont été ramassés – sans doute par un cheminot qui en connait le risque encouru, ainsi qu’il l’écrit – qui les a adressés à son épouse, avec quelques mots de commentaires.
« Peu de texte, écrit sa petite fille, sauf un où une résistante a écrit » ils sont partis à environ 1200 le lundi 6.7.42 à 9 h 30 du matin pour travailler en Allemagne. Leur moral est bon. Ils vous souhaitent bon courage. Ils ne vous oublient pas et leurs pensées sont tournées vers les leurs. Excusez-moi si je ne peux m’étendre d’avantage, mais
les circonstances et notre position l’excusent ». <
Lire dans le site Les lettres jetées du train par les déportés
Jean Blumenfeld est enregistré à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro « 46 269 ».
Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a pas été retrouvée parmi les 522 que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Selon le témoignage de Jules Polosecki, il est envoyé au Kommando de Buna le 12 juillet (camp de Monovitz), puis serait revenu à Birkenau.
Jean Blumenfeld meurt à Auschwitz le 11 août 1942, d’après son certificat de décès établi au camp d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz Tome 2 page 104).
Deux de ses camarades (Eugène Garnier et Jules Polosecki) ont attesté de sa mort survenue après qu’il ait contracté le typhus.
Mariette son épouse et sa fille Jacqueline Blumenfeld n’ont pas été déportées car elles ont été considérées comme « non juives » comme le mentionne le « certificat de non-appartenance à la race juive », signé par Xavier Darquier de Pellepoix en date du 28 octobre 1942.
David Blumenfeld, né le 1878 à Zarki (Pologne) artisan fourreur habitant 6, rue du Grenier Saint Lazare 7500 avec sa fille Sarah, sa sœur, Sarah Blumenfeld, née le 25 décembre 1905 à Zabkowice (Pologne), sténo, habitant 6 rue du Grenier Saint Lazare 75003 Paris, est arrêtée lors de la rafle du Vel d’Hiv le 16 ou 17 juillet 1942. Elle est déportée par le convoi N°9 le 22 juillet 1942 avec 996 juifs dont 385 femmes. Elle meurt à Auschwitz
- Note 1. Et non à Zarki comme l’indique le Musée d’Auschwitz-Birkenau. Voir le JO1987 p.11518 – 1522, son acte de mariage Paris, le DAVCC et le Mémorial de la Shoah).
- Note 2. Son père David Blumenfeld, né le 25 janvier 1878 à Zarki (Pologne), est arrêté à Paris lors d’une rafle le 11 février 1943. Il est déporté à partir de Drancy par le convoi N°49 vers Lublin Maïdanek. Transféré, il meurt à Auschwitz le 8 mars 1943.
Sources
- Liste (incomplète) par matricule du convoi du 6 juillet 1942 établie en 1974 par les historiens du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau (Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (Ministère de la Défense, Caen) indiquant généralement la date de décès au camp.
- Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943 le décès des détenus immatriculés).
- Fichier national et dossier individuel de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC) Caen. Ministère de la Défense, Val de Fontenay, consulté en 1993.
- Courrier d’Eugène Garnier à Madame Blumenfeld du 13 mai 1945.
- Courrier de Jules Polosecki à Madame Blumenfeld du 14 mai 1945.
- Courriels de Mme Pascale Solignac (avril 2009, février et mars 2014).
- Photo de son grand père, mots jetés depuis le train, courriers envoyés à sa grand-mère par Eugène Garnier et Jules Polosecki, rescapés du convoi.
- Archives en ligne de Paris, recensement de population des 3e et 17e arrondissements. Acte de mariage à Paris (10 ème) .
Notice biographique rédigée en janvier 2001, complétée en 2011, 2014 et 2020 par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages : Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Autrement, Paris 2005) et de Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé), qui reproduit ma thèse de doctorat (1995). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce blog) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com