Matricule « 45 631 » à Auschwitz

Eugène Guepratte le 8 juillet 1942 à Auschwitz
Eugène Guepratte : né en 1906 à Ludres (Meurthe-et-Moselle) ; domicilié à Chaligny (Meurthe-et-Moselle) ; ouvrier carrier, mineur ; arrêté comme otage communiste le 6 juillet 1941 ; interné à Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il meurt le 21 octobre 1942

Eugène Guepratte est né le 18 août 1906 à Ludres (Meurthe-et-Moselle).
Il habite au 108, rue du Bouchot à Chaligny (Meurthe-et-Moselle) au moment de son arrestation.
Il est le fils de Marie, Léopoldine Rodriche née à Longwy en 1877 et de Joseph, Désiré Guepratte son époux, né à Ludres en 1877. Son père, mobilisé en 194 meurt le 18 février 1917 des suites de blessures reçues au combat.
Eugène Guéprate est d’abord embauché comme ouvrier carrier aux carrières de Castines, puis comme mineur aux mines de Ludres. Après la fermetures de celles-ci en 1934, il retrouve du travail aux mines du Val de fer à Neuves-Maisons.
Il épouse Germaine, Adélaïde, Ernestine, Picard (1903-1971). Bonnetière chez Cuenot à Jarville, elle est née le 25 janvier 1903 à Chaligny.
Le couple aura cinq enfants (Gilbert, né en 1929, Jeanne née en 1930, Michel en 1931 tous trois à Chavigny, Christiane née en 1933 et Robert-Jean né en 193 (décédé en 1936), tous deux à Neuves-Maisons et Robert-Marcel né en 1941.
Lors du recensement de 1936, les époux et leurs cinq enfants habitent au 4, bis rue des Aciéries à Neuves-Maison. Eugène Guepratte est alors au chômage.
Ils vont déménager dans les cités, au 108, rue du Bouchot à Chaligny. Les parents vont perdre deux garçons (Robert Marcel en 1936 et Robert Christian en 1938).
Conscrit de la classe 1926, Eugène Gueprate est vraisemblablement mobilisé en 1939 ou 1940 après la déclaration de guerre, quoique ramené à la classe 1920 (car selon la règle, il est père de famille de trois enfants vivants).

La Meurthe-et-Moselle se trouve par décision de l’occupant dans la « zone fermée » ou « zone réservée », destinée au « peuplement allemand ».

Le 17 juin 1940 l’armée allemande occupe Auboué et le 18, Nancy. Les Kreiskommandantur sont installées à Briey, Nancy.
Fin juin 1940, toute la Meurthe-et-Moselle est occupée : elle est avec la Meuse et les Vosges dans la « zone réservée » allant des Ardennes à la Franche-Comté, destinée au « peuplement allemand ». À l’est de la « ligne du Führer », tracée depuis la Somme jusqu’à la frontière suisse, les autorités nazies envisagent une germanisation des territoires suivant différentes orientations. C’est un autre sort que celui de la Moselle et de l’Alsace, annexées par le Reich, du Nord et du Pas-de-Calais, mis sous la tutelle du commandement militaire allemand de Bruxelles, qui attend les territoires situés le long de cette ligne dite du Nord-Est. En tout ou partie, ces départements, et parmi eux les francs-comtois, font l’objet d’une « zone réservée » des Allemands (« En direct », Université de Franche-Comté). Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « Révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…). L’Alsace Moselle est occupée. Plus de 20 000 Allemands, soit l’équivalent de deux divisions, sont stationnés en permanence en Meurthe-et-Moselle. Le Préfet de Meurthe-et-Moselle collabore sans état d’âme avec les autorités allemandes, il « ne voit aucun inconvénient à donner à la police allemande tous les renseignements sur les communistes, surtout s’ils sont étrangers » (Serge Bonnet in L’homme de fer p.174).

La Voix de l’Est clandestine n° 8, mai 1941

Dans un article paru en avril-mai 1972 sous le titre « Les communistes dans la Résistance » concernant Chaligny et Neuves-Maisons, André Dupin, membre du bureau fédéral du PCF a recueilli le témoignage de Clément Coudert, de Chaligny, rescapé du convoi du 6 juillet 1942.
Il écrit « un camarade du Comité central est venu de Paris et Clément Coudert participe à la formation des premiers groupes de FTP du groupe Lorraine ». « Les réunions se tenaient au « Café de la Meuse » où Clément Coudert vivait avec sa femme.  Au petit matin du 1er mai 1941, Clément Coudert et ses camarades hissent le drapeau rouge à Chaligny et de petits drapeaux tricolores flottent sur les fils électriques dans les rues de Neuves-Maisons. A leur actif, récupération de poudre à la mine de Ludres et plusieurs sabotages dont la destruction à l’explosif de la ligne de chemin de fer Toul-Blainville, et la tentative de libération des prisonniers du camp d’Ecrouves ». Le journal du Parti communiste clandestin relate cet événement (photo ci-dessus / il s’agit d’une copie dactylographiée. Le journal diffusé en 1941 est ronéoté).
S’il est possible qu’Eugène Guepratte ait pu participer à l’action du 1er mai 1941 (Chaligny ne compte que 2128 habitants en 1936 et les militants connus n’y sont pas si nombreux), par contre, il ne peut avoir participé à la récupération de poudre à Ludres car il a déjà été arrêté (cette action a lieu le week-end du 28-29 mars 1942, ainsi que nous l’indique M. Olivier Petit, bibliothécaire à Ludres).

Eugène Guepratte est arrêté le 6 juillet 1941, en même temps que Marius Obriot  (1) par la police allemande, selon le témoignage de son fils Robert (Clément Coudert qui habite Chaligny est arrêté le 21 ou 22 juin 1941). Il s’agit sans doute d’arrestations qui s’inscrivent dans le cadre d’une grande rafle concernant les milieux syndicaux et communistes. En effet, le 22 juin 1941, jour de l’attaque hitlérienne contre l’Union soviétique, sous le nom «d’Aktion Theoderich», les Allemands arrêtent plus de mille communistes dans la zone occupée, avec l’aide de la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy (ici les prisons de Briey et Charles III de Nancy), ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré par la Wehrmacht.
Eugène Guepratte, probablement écroué à la prison Charles III à Nancy comme de nombreux autres militants dans cette période – dont Clément Coudert – est remis aux autorités allemandes à leur demande.
Celles-ci l’internent au camp allemand de Royallieu à Compiègne (le Frontstalag 122) sous le numéro « 1323 » ce qui correspond à la date 18 juillet 1941.
Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».

Depuis le camp de Compiègne, Eugène Guepratte est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Matricule 45 631 à Auschwitz
L’ntrée du camp d’Auschwitz I

Son numéro d’immatriculation à Auschwitz est désormais connu. Il ne figure pas dans la liste par matricules du convoi, établie en 1974 par les historiens polonais du Musée d’Etat d’Auschwitz.
Mais en recoupant les quatre listes alphabétiques successives, j’avais émis l’hypothèse que la photo du déporté immatriculé à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro « 45633 » était celle d’Eugène Guepratte. Celle-ci, publié sur le site avec les réserves d’usage a été identifiée par son fils Robert Guepratte, à l’initiative de son arrière petit-fils, Florian Roux.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».  Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.

Eugène Guepratte meurt à Auschwitz le 21 octobre 1942 d’après son certificat de décès établi au camp pour le registre d’état civil de la municipalité d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz , Tome 2 page 409).

Dans les années d’après-guerre, le ministère des ACVG avait fixé la date de son décès à celle, fictive  du 15 septembre 1942 (à la Libération, l’état civil français a fixé des dates de décès fictives à partir de témoignages de rescapés, afin de donner accès aux titres et pensions aux familles des déportés).Voir l’article : Les dates de décès des « 45000 » à Auschwitz.

Eugène Guepratte a été déclaré « Mort pour la France ». Il est homologué « Déporté politique » en 1956.
La mention Mort en déportation est apposée sur son acte de décès (arrêté du 31 mars 1994 paru au Journal Officiel du 17 mai 1994).
Cet arrêté porte la mention  décédé le 15 septembre 1942 à Auschwitz. Il serait souhaitable que le ministère prenne désormais en compte par un nouvel arrêté la date portée sur son certificat de décès d’Auschwitz, accessible depuis 1995 (Death Books from
Auschwitz
, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau).
Une rue nouvelle de Chaligny porte son nom (délibération du conseil municipal du 26 mai 2010).

  • Note 1: Marius Obriot, né à Chaligny en 1900, interné à Compiègne, sera déporté à Sachsenhausen le 24 janvier 1943. Il décède au camp le 15 décembre 1944.

Sources

  • Mairie de Chaligny. Acte de décès (daté du 26 juillet 1946).
  • Témoignage de Clément Coudert recueilli par Roger Arnould.
  • Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
  • Fichier national du Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BACC), Ministère de la Défense, Caen.
  • Courriel de Mme Fabienne Caillet concernant la plaque de rue (octobre 2010).
  • © Site Internet Mémorial-GenWeb (Stéphanie Demangel et Bernard Legendre).
  • © Courriel de son arrière petit-fils, Florian Roux (mai 2012)
  • Blog d’Olivier Petit : https://patrimoine-de-lorraine.blogspot.com/2021/01/eugene-guepratte-1906-1942-un-opposant.html
  • Remerciements à madame Patricia Gaul pour ses précisions généalogiques.
Affiche de la conférence du 5 juillet 1997 salle Pablo Picasso à Homécourt
Le Républicain Lorrain 28 juillet 1997

Notice biographique rédigée en 1997, pour la conférence organisée par la CGT et le PCF de la vallée de l’Orne, à Homécourt le 5 juillet 1997, complétée en 2015, 2018 et 2021 par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : « Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942″ Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000.
Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com

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