Matricule « 45699 » à Auschwitz 

Rescapé

Jacques Jung : né à Brumath (Bas-Rhin) ; domicilié à Homécourt (Meurthe-et-Moselle) ; ferblantier ; délégué CGT du personnel ; communiste ; arrêté le 24 juin 1941 ; interné à Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, Sachsenhausen ; rescapé. Décédé le 25 novembre 1967, à Gorze (Moselle).

Jakob (Jacques) Jung est né le 23 juillet 1898 à Brumath (Bas-Rhin). Il habite 7, rue Pierre Sepulchre à Homécourt (Meurthe-et-Moselle) au moment de son arrestation.
Il est le fils de Maria, Josaphina Zissel et de Joseph Jung, journalier.  Ses parents sont catholiques, comme l’indique le registre impérial.
Brumath, comme tout le département du Bas-Rhin a été cédée à l’Empire allemand depuis le traité de Francfort de 1871 (« Alsace-Moselle »).

19ème Pionierregiment

Jacques Jung va donc être mobilisé dans l’armée allemande (les conscrits allemands sont appelés dès l’âge de 18 ans). Il est intégré au 19ème Pionierregiment (régiment du Génie), en garnison à Straßburg (Strabourg), du 23 avril 1917 au 17 novembre 1918.

Le 6 avril 1920 à Moyeuvre-Grande (Moselle), il épouse Marguerite Matzel, née le 2 décembre 1899 dans cette commune. Le couple aura neuf enfants (deux de ses fils feront la campagne d’Alsace en 1944 comme engagés volontaires dans la 2eme DB).
Mathieu est né en 1920 à Moyeuvre-Grande. Il est apprenti mouleur en 1936 à l’Usine Marine. Charles est né en 1922 à Roselange. Marie-Madeleine est née en 1923 à Strasbourg. Fernand est né en 1925 à Brumath, comme Georgette née en 1926. Jacqueline naît en 1928 à Strasbourg, comme Raymonde, née en 1930. René naît en 1931 à Homécourt, et Marguerite à Moyeuvre-Grande en 1934.
Jacques Jung est inscrit au fameux « carnet B » (surveillance des suspects sous la IIIème République).

Les Forges et aciéries de la Marine

Il est ferblantier aux Forges et Aciéries de la Marine (aujourd’hui De Wendel-Sidélor) à Homécourt.
Jacques Jung est membre du Parti communiste, délégué CGT du personnel, il fait partie du Conseil du Syndicat CGT des Métaux pour la région d’Homécourt.

Fin juin 1940, toute la Meurthe-et-Moselle est occupée : elle est avec la Meuse et les Vosges dans la « zone réservée » allant des Ardennes à la Franche-Comté, destinée au « peuplement allemand ». À l’est de la « ligne du Führer », tracée depuis la Somme jusqu’à la frontière suisse, les autorités nazies envisagent une germanisation des territoires suivant différentes orientations. C’est un autre sort que celui de la Moselle et de l’Alsace, annexées par le Reich, du Nord et du Pas-de-Calais, mis sous la tutelle du commandement militaire allemand de Bruxelles, qui attend les territoires situés le long de cette ligne dite du Nord-Est. En tout ou partie, ces départements, et parmi eux les francs-comtois, font l’objet d’une « zone réservée » des Allemands (« En direct », Université de Franche-Comté). Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Plus de 20 000 Allemands, soit l’équivalent de deux divisions, sont stationnés en permanence en Meurthe-et-Moselle. Le Préfet de Meurthe-et-Moselle collabore sans état d’âme avec les autorités allemandes, il « ne voit aucun inconvénient à donner à la police allemande tous les renseignements sur les communistes, surtout s’ils sont étrangers » (Serge Bonnet in L’homme de fer p.174).

Dès l’Occupation allemande, Jacques Jung participe à des actions de résistance (tracts, « activités armées » dont témoigne Charles Dallavalle (1), qui a milité à ses côtés).
Le 24 juin 1941, des gendarmes allemands fouillent sa maison « de 10 heures du soir à 3 heures du matin, allant jusqu’à scier les montants des lits en fer« , et l’arrêtent comme « suspect d’activités communistes« .
Son arrestation s’inscrit certainement dans le cadre d’une grande rafle concernant les milieux syndicaux et communistes. En effet, le 22 juin 1941, jour de l’attaque hitlérienne contre l’Union soviétique, sous le nom «d’Aktion Theoderich», les Allemands arrêtent plus de mille communistes dans la zone occupée, avec l’aide de la police française.

D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy (ici les prisons de Briey et Charles III de Nancy), ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré parla Wehrmacht.
Jacques Jung est détenu à la maison d’arrêt de Briey pendant 24 jours. Il est transféré à la prison Charles III de Nancy le 17 juillet.
Remis aux autorités allemandes à leur demande, celles-ci l’internent le 18 juillet 1941 au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Frontstalag 122).
Depuis ce camp, Jacques Jung va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, voir les deux articles du site : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942)  et «une déportation d’otages».

Depuis le camp de Compiègne, Jacques Jung est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Le 8 juillet 1942

Jacques Jung est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro « 45699 ».
Sa photo d’immatriculation à Auschwitz (2) a été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz. 

Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».  Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Il est d’abord affecté au Block 15, le block des prisonniers polonais. Parlant allemand et français couramment, il est possible qu’il ait ensuite fait fonction de Dolmetscher (interprète) dans un autre Block.

En application d’une directive de la Gestapo datée du 21 juin 1943 accordant aux détenus des KL en provenance d’Europe occidentale la possibilité de correspondre avec leur famille et de recevoir des colis renfermant des vivres, Jacques Jung, comme les autres détenus politiques français d’Auschwitz (140 « 45000 » environ), reçoit en juillet 1943 l’autorisation d’échanger des lettres avec sa famille – rédigées en allemand et soumises à la censure – et de recevoir des colis contenant des aliments. Ce droit leur est signifié le 4 juillet 1943. 

Entre le 14 août 1943 et le 12 décembre 1943, il est en quarantaine au Block 11 avec la quasi totalité des Français survivants. Lire l’article du site « les 45000 au block 11 (comme Raymond Montégut et Charles Lelandais, Jacques Jung pense que leur quarantaine au Block11 a débuté le 14 août 1942). Le 12 décembre, les Français quittent le Block 11 et retournent dans leurs anciens Kommandos.

Dès 1944, devant l'avancée des armées soviétiques, les SS commencent à ramener vers le centre de l’Allemagne les déportés des camps à l’Est du Reich, dont Auschwitz. Les premiers transferts de "45.000" ont lieu en février 1944 et ne concernent que six d’entre eux. Quatre-vingt-neuf autres "45.000" sont transférés au cours de l'été 1944, dans trois camps situés plus à l'Ouest - Flossenbürg, Sachsenhausen, Gross-Rosen - en trois groupes, composés initialement de trente "45000" sur la base de leurs numéros matricules à Auschwitz.  Une trentaine de "45.000" restent à Auschwitz jusqu'en janvier 1945.

La Gestapo du camp, informée par ses indicateurs, savait qu’il existait à Auschwitz un mouvement de résistance qui pouvait déclencher, à l’approche des armées soviétiques, une révolte des détenus, en liaison avec les partisans polonais.
C’est pourquoi, dès juin 1944, elle envisagea une évacuation partielle du camp, dont la Résistance intérieure eut connaissance. Il s’agissait d’éloigner d’Auschwitz les détenus susceptibles d’alimenter un soulèvement. Les conditions dans lesquelles le départ d’Auschwitz des trois quarts des survivants du convoi du 6 juillet 1942 fut organisé incitent à penser que ces transferts faisaient
également partie de l’opération, menée par la SS, contre un éventuel mouvement de révolte.
Lire dans le site : Itinéraires des survivants du convoi à partir d’Auschwitz (1944-1945)
Il est probable que les « 45 000 » dirigés sur Sachsenhausen, le 29 août 1944, aient été intégrés dans le convoi disciplinaire permettant l’éloignement d’Auschwitz des détenus du block 11 arrêtés le 14 août, ainsi que le départ de nombreux « Prominent » (« bien en vue », occupant des responsabilités).
Deux données permettent d’étayer cette hypothèse : la concordance des dates et le témoignage de Georges Marin qui se souvient d’être parti avec un grand nombre de Polonais qui occupaient des postes de responsabilité dans le camp.

Le 29 août 1944, Jacques Jung fait partie d’un convoi au sein duquel figurent trente « 45 000 » qui sont transférés d’Auschwitz à Sachsenhausen où ils sont enregistrés : Jacques Jung y reçoit le matricule « 94.261 ». Avec lui son copain Henri Marti et 3 déportés lorrains : Maurice Ostorero, Giobbé Pasini, Germain Pierron. Il est comme ses 29 camarades « 45.000 » affecté au Block 66 (témoignage de Georges Marin). Georges Gourdon (45622-94257), Henri Hannhart (45652-94258), Germain Houard (94 259), Louis Jouvin (94 260), Jacques Jung (94 261), Lahousine Ben Ali (94 264), Marceau Lannoy, Louis Lecoq, Guy Lecrux (94 266), Maurice Le Gal (94 267), Gabriel Lejard (94 268), Charles Lelandais (94 269), Pierre Lelogeais, Charles Limousin, Victor Louarn, René Maquenhen, Georges Marin, Henri Marti, Maurice Martin, Henri Mathiaud, Lucien Matté, Emmanuel Michel, Auguste Monjauvis (94 280), Paul Louis Mougeot, Daniel Nagliouck, Emile Obel (94 282), Maurice Ostorero, Giobbé Pasini, René Petitjean, Germain Pierron. L’évacuation du camp de Sachsenhausen a lieu le 21 avril 1945, en direction de Schwerin puis de Lübeck ou de Hambourg.
Comme plusieurs « 45.000 », Jacques Jung est libéré en cours de route, le 26 avril 1945.
Il est rapatrié en France par Nancy le 5 juin. Très éprouvé, il doit être hospitalisé pendant 2 mois.


Il a témoigné de la mort de plusieurs de ses camarades qu’il avait connus aux Forges et Aciéries de la Marine.
Atteint de tuberculose, il subit deux opérations, est déclaré invalide à 100 %, mais retourne pourtant à l’usine, où il retrouve la confiance de ses camarades et est à nouveau délégué CGT. Son histoire a été racontée à Roger Arnould à la rencontre du Havre des « 45.000 » par Henri Marti, avec lequel il était resté en contact. 

Photo sans date, mais bien après son retour des camps

C’est son camarade Charles Dellavalle, lui aussi ancien déporté qui « reprend le flambeau » militant à l’atelier en 1948, et qui sera remplacé comme délégué du personnel en 1956 par le fils de Charles Jung, Fernand.
Jacques Jung parle peu de sa déportation, même à son fils Fernand, « son confident, sa relève ».
Le titre de «Déporté politique» lui a été attribué.

Jacques Jung meurt le 25 novembre 1967, à Gorze (Moselle).

Ses camarades déportés ont placé une plaque sur sa tombe, portant simplement : « Déporté à Auschwitz ».

  • Note 1 : Charles Dallavalle, né en 1922, adhéra au Parti communiste en 1941. Résistant (en 1941-1942 son chef de groupe est Jean Pérot). Soudeur à l’arc, secrétaire du syndicat des métaux de l’usine Homécourt, il siégea au comité fédéral communiste de Meurthe-et-Moselle en 1953 et 1954. L’année suivante, il entra au bureau fédéral et devint secrétaire de l’Union départementale CGT, fonctions qu’il conserva jusqu’en 1964 » in Le Maitron.
  • Note 2 : 522 photos d’immatriculation des « 45000 » à Auschwitz ont été retrouvées parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation du camp d’Auschwitz. A la Libération elles ont été conservées dans les archives du musée d’Auschwitz. Des tirages de ces photos ont été remis à André Montagne, alors vice-président de l’Amicale d’Auschwitz, qui me les a confiés.

Sources

  • Correspondance avec Fernand Jung, son fils (photos et souvenirs).
  • Récit d’Henri Marti à Roger Arnould (rencontre du Havre, 26 mai 1973).
  • Témoignages de Charles Dallavalle (1972).
  • Etat civil : © Archives départementales en ligne du Bas Rhin. Brumath, acte n°84 E66/30.
  • Recensement de 1936 à Homécourt.
Affiche de la conférence du 5 juillet 1997, salle Pablo Picasso à Homécourt
Le Républicain Lorrain 28 juillet 1997

Notice biographique rédigée en 1997 pour la conférence organisée par la CGT et
le PCF de la vallée de l’Orne, à Homécourt le 5 juillet 1997, complétée en 2015, 2018 et 2021 par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : « Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des «45.000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000. Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette biographie.
Pour compléter ou corriger cette notice biographique, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com

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