Matricule « 45 263 » à Auschwitz

Pierre Bogaert © Mélanie Oliva
Le 8 juillet 1942 à Auschwitz
Pierre Bogaert : né en 1900 à Saint-Just-en-Chaussée (Oise) où il habite ; cheminot ; syndicaliste CGT ; communiste ; arrêté le 9 juillet 1941 ; interné à Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il meurt le 5 août 1942

Pierre Bogaert est né le 12 février 1900 à Saint-Just-en-Chaussée (Oise) où il habite au 25, rue Aristide Briand au moment de son arrestation.
Il est le fils de Louise, Pauline Delatte, 27ans, blanchisseuse et de René Bogaert 35 ans, charretier son époux.
Son père est de nationalité Belge.
Pierre Bogaert est manouvrier et habite à Saint-Just-en-Chaussée au moment du Conseil de révision.
Son registre matricule militaire nous apprend qu’il mesure 1m 66, a les cheveux châtain, les yeux marron clair, le front moyen et le nez rectiligne, le visage ovale. Il possède un niveau d’instruction n° 3 (possède une instruction primaire développée).
Conscrit de la classe 1920 et soutien de famille, Pierre Bogaert est incorporé le 15 mars 1920 et il est intégré au 15ème BCP (Bataillon de Chasseurs à Pied) le 18. Il participe à l’Occupation des Pays Rhénans du 11 juin 1920 au 18 juillet 1920. Il est nommé caporal le 20 septembre 1920. Il est libéré de ses obligations militaires le 4 mars 1922.

Le 20 octobre 1923, Pierre Bogaert épouse – à Plessier-sur-Saint-Just – Geneviève, Elisa, Hélène Decaix (née en 1903 dans cette commune).  Le couple aura deux filles, Raymonde, née en 1924, et Ginette, née en 1927.
Il est classé dans la réserve militaire comme « Affecté Spécial » à la Compagnie des chemins de fer du Nord en décembre 1922 comme manœuvre, puis à Creil, comme aide-ouvrier le 31 août 1927. A cette date il habite au 178 rue de Paris à Saint-Just-en-Chaussée.
Il est cheminot aux ateliers de la Compagnie des chemins de fer du Nord à Nogent-sur-Oise. En 1931 la famille habite au 178 rue de Paris. Pierre Bogaert est un militant communiste, un des responsables de la cellule et de la section locale, puis le secrétaire de cette section.

Militant CGT «En 1936, il milita activement pour le Front populaire et pour le succès des grèves ouvrières ; il fut à cette occasion l’artisan de la création de nouveaux syndicats dans la région de Saint-Just. Il fut secrétaire adjoint de l’Union départementale des syndicats de l’Oise dont il présenta le rapport sur la propagande au congrès de 1937 ; il fut également secrétaire à la propagande du syndicat des cheminots de Creil et environs» (le Maîtron).  En 1937 il est l’un des 4 secrétaires de l’UD CGT,  affecté à la propagande pour Creil et ses environs.

L’Humanité du 11 octobre 1937

Militant communiste, il est élu conseiller municipal de Saint-Just-en-Chaussée en 1935, et il est candidat aux élections cantonales de 1937.

Comme la plupart des « affectés spéciaux » connus comme syndicalistes et/ou communistes, Pierre Bogaert est rayé de son « affectation spéciale » par mesure disciplinaire (décision du général commandant la 2ème région militaire) le 22 février 1940, et « versé dans le droit commun ». Il lui est signifié à la gare de Saint-Just-en-Chaussée qu’il est désormais affecté au Dépôt d’infanterie n°211 le 2 mars 1940 (caserne de Latour-Maubourg à Paris).
Il est déchu de son mandat de conseiller municipal en février 1940 par le conseil de préfecture (le Parti communiste est interdit à la suite des décrets de septembre 1939).

Beauvais, détruite par les bombardements à 50 % est occupée le 13 juin.

« Dès le début juin 1940, l’Oise est envahie par les troupes de la Wehrmacht. Nombre de villes et villages sont incendiés ou dévastés par les bombardements. Département riche en ressources agricoles, industrielles et humaines l’Oise va être pillé par les troupes d’Occupation. Ce sont les Allemands qui disposent du pouvoir réel et les autorités administratives françaises seront jusqu’à la Libération au service de l’occupant » (Françoise Leclère-Rosenzweig, « L’Oise allemande »). Le 22 juin 1940, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « Révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).

Pendant l’Occupation, Pierre Bogaert poursuit ses activités politiques « dans les réseaux de Résistance à l’occupant » (le Maitron).
Il est arrêté le 9 juillet 1941, à 5 heures 15 du matin, à son domicile, par des gendarmes allemands accompagnés de gendarmes français. Il est conduit à la maison d’arrêt de Compiègne (témoignage de sa fille Madame Ginette Villette-Bogaert) et très vite il est remis aux autorités allemandes à leur demande. Celles-ci l’internent au camp allemand de Royallieu à Compiègne (le Frontstalag 122) sous le matricule n° « 1288 ».
Le 13 avril 1942, le commissaire principal aux renseignements généraux (1) de Beauvais a transmis au Préfet Paul Vacquier 66 fiches individuelles concernant des internés au Frontstalag 122 à Compiègne, que le Préfet transmet au Feldkommandant. Parmi ces fiches on peut lire sur celle de Pierre Bogaert « Militant extrêmement ardent du Parti communiste. Propagandiste actif, a été délégué à cet effet par le Parti. N’a rien renié de ses idées qu’il reprendra à nouveau le cas échéant ». 18 autres de ces militants au passé communiste signalés les RG seront déportés à Auschwitz.

Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz.
Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».

Depuis le camp de Compiègne, Pierre Bogaert est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942. 

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau

Il est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro matricule « 45263 ».

Sa photo d’immatriculation à Auschwitz (1) a été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction,
ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.

Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».  Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.

Pierre Bogaert meurt à Auschwitz le 5 août 1942 selon la liste par matricule du convoi du 6 juillet 1942 établie en 1974 par les historiens du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau / Death Books from AuschwitzSterbebücher von Auschwitz (registre des morts)
L’arrêté du 27 février 2009 paru au J.O. 17 avril 2009 portant apposition de la mention «Mort en déportation» sur son acte de décès, n’a pas modifié la date inscrite à la Libération : «décédé le 15 octobre 1942 à Auschwitz (Pologne).» 

Hommage de l’UD CGT de l’Oise Photo  © Cédric Hoock

Il est homologué comme adjudant FFI à titre posthume à la Libération. Une rue Pierre Bogaert (face à la Mairie) et l’école primaire publique (23 rue Carnot) honorent sa mémoire à Saint-Just-en-Chaussée.

Une rue de Saint-Just-en Chaussée
Monument aux morts

Son nom est gravé sur le monument aux morts de la commune.
Quelques jours après la libération, le 19 septembre 1944,

Ecole primaire Pierre Bogaert

Le Comité cantonal de Libération Nationale avait proposé une nouvelle liste municipale à Saint-Just-en-Chaussée où figuraient Jean Crouet (le chef de la Résistance locale), le Dr Caillard, Pierre Bogaert et le Dr Yves Delignon (le futur maire).

Parmi tant d’autres martyrs… son nom et sa photo ont été publiés avec celle de trois autres oisiens : Edmond Léveillé, instituteur, communiste, fondateur du Comité de Libération clandestin de l’Oise, fusillé le 25 mai 1944 à Amiens, Camille Sellier, verrier, conseiller municipal communiste de Clermont de l’Oise, déporté et mort à Dachau, Marcel Deneu, employé SNCF, né en 1907 à Breuil le Vert, militant communiste, Colonel FTPF, déporté le 15 juillet 1944 à Neungamme et mort au Stalag Sandbostel avant le rapatriement (29 avril 1945). Sur ce document, sa fille avait indiqué la date de l’arrestation de son père, le 9 juillet 1941.

  • Note 1 : 522 photos d’immatriculation des « 45.000 » à Auschwitz ont été retrouvées parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation du camp d’Auschwitz. A la Libération elles ont été conservées dans les archives du musée d’Etat d’Auschwitz. Des tirages de ces photos ont été remis par Kazimierz Smolen (ancien détenu dans les bureaux du camp d’Auschwitz, puis devenu après guerre directeur du Musée d’Etat d’AuschwitzBirkenau) à André Montagne, alors vice-président de l’Amicale d’Auschwitz, qui me les a confiés.

Sources

  • Correspondance (mai 1991) avec Jean-Pierre Besse, historien, chercheur à l’université de Creil, collaborateur du Maiton (communication de ses recherches aux archives départementales de l’Oise et auprès de l’état civil des mairies).
  • Listes – incomplètes – du convoi établies par la FNDIRP après la guerre (archives de la F.N.D.I.R.P).
  • Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, Le Maitron, Claude Pennetier (dir), éditions de l’Atelier, CD-Rom. Tome 19, page 322 et site, notice de Jean-Pierre Besse.
  • Liste (incomplète) par matricule du convoi du 6 juillet 1942 établie en 1974 par les historiens du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau (Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (Ministère de la Défense, Caen) indiquant généralement la date de décès au camp.
  • Lettre de sa fille de Pierre Bogaert, madame Ginette Villette- Bogaert (18 juin 1985).
  • Mel de son arrière petite fille (novembre 2013) qui précise qu’il est père de deux enfants.
  • Etat civil et Registres matricules militaires de l’Oise en ligne. Archives départementales de l’Oise, Beauvais ; cote 33W 8253/1, mesures contre les communistes ; cote 141w 1162, Internement administratif.
  • © Photo d’avant guerre : envoi de Mlle Mélanie Oliva, qui la recueillie auprès de sa grand-mère

Notice biographique rédigée par Claudine Cardon-Hamet en 2007, complétée en 2010, 2015, 2018 et  2021. Docteur en Histoire, auteur des ouvrages : « Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 », Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000. Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice.
Pour la compléter ou corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com

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