Louis Abel : né en 1899 à Magrie (Aude) ; domicilié à Bordeaux (Gironde) ; employé de commerce ; arrêté le 6 novembre 1940 pour activité gaulliste, interné 11 mois à Rheinbach (Allemagne) ; arrêté le 21 avril 1942 ; interné à Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt le 27 septembre 1942.
Louis Abel est né le 13 août 1899 à Magrie (Aude). Il habite au 26, rue Auguste Merillon à Bordeaux (Gironde) au moment de son arrestation. Il est le fils de Marie, Marguerite Joséphine Pons, née le 17 septembre 1863 à Magrie et de Vincent, Auguste Abel, né le 27 septembre 1853 Sardieu (Isère), capitaine de vaisseaux au long cours, puis capitaine expert à Bordeaux.
Ses parents habitent au 188, rue François de Sourdis à Bordeaux.
Il a un frère, Jean, Baptiste (1893-1972) et une sœur, Yvonne (1896-1953). Leurs parents se sont mariés le 3 juin 1890 à Magrie.
Il est employé de commerce, voyageur de commerce, puis fabricant en chaussures selon son registre matricule militaire créé en 1920. Il sera déclaré en état de faillite par le tribunal de commerce de Bordeaux (la date est malheureusement illisible).
A Auschwitz il se déclare forestier (Förster). Il a les cheveux châtain foncé et les yeux bleus, le front découvert et le nez moyen. Il a un niveau d’instruction « n° 3 » pour l’armée (sait lire, écrire et compter, instruction primaire développée). Conscrit de la classe 1919, Louis Abel est mobilisé par anticipation (le 20 avril 1918) comme tous les jeunes hommes de sa classe depuis la déclaration de guerre, et il est incorporé le lendemain au 9e régiment du Génie. A l’instruction jusqu’au 21 septembre 1918, il est envoyé « aux armées », sur le front (combats de Verdun) avec le 9è bataillon du 9è Génie. Il est toujours « aux armées » après l’armistice du 11 novembre, jusqu’au 21 avril 1919.
Le 14 décembre 1920, il est transféré au 144è régiment d’infanterie. Il est démobilisé le 15 avril 1921, « certificat de bonne conduite accordé ».
En application du traité de Versailles, la première occupation militaire de la Ruhr par l’armée française va avoir lieu en mai 1921 : le gouvernement rappelle les réservistes (les effectifs de l’armée du Rhin d’occupation passent alors de 100 000 à 210 000 hommes). Louis Abel est donc « rappelé à l’activité » le 15 mai 1921 (article 33, loi 8 mars 1905) et arrive au 144è Régiment d’infanterie le 16 mai 1921. Il est affecté au 26è Régiment d’infanterie le 9 juin, puis réaffecté au 2è Chasseurs le 18 juin 1921 dans le cadre de l’occupation des pays Rhénans. Il est à nouveau démobilisé le 28 juin 1921.
Le 14 février 1931, il épouse à Bordeaux, Bertha, Ingueborg, Yvonne Swenson (1906-1948). Elle est née le 17 mars 1906 à Pessac en Gironde. Le couple s’est séparé au moment de l’arrestation de Louis Abel.
A la déclaration de guerre, Louis Abel est « rappelé à l’activité » le 3 septembre 1939 dans le cadre de la mobilisation des réservistes. Il est affecté au 185è COMA (entrepôt d’effets). Il arrive au corps le jour même. Il est hospitalisé pour coliques néphrétiques à l’hôpital complémentaire Institution du Parc à Bordeaux le 29 novembre 1939. Il en sort le 12 janvier 1940, avec une permission de convalescence jusqu’au 20 janvier et dirigé sur l’entrepôt de la gestion d’effets. Il rejoint le dépôt de la 18è DI. de COMA le 16 avril 1940 et aussitôt dirigé sur le dépôt de la 17è section d’exploitation « aux armées ».
Il est alors désigné pour faire partie de la deuxième division légère de chasseurs (corps expéditionnaire de l’Europe septentrionale). Le 26 avril 1940, Louis Abel embarque à Brest à destination de la Norvège. Débarqué à Glasgow (Ecosse) le 1 mai 1940.
En Norvège du 2 au 21 mai, il est réembarqué le 22 et débarque à Brest le 25 mai. Affecté à la 10è Division d’Infanterie, celle-ci est engagée dans le cadre de la campagne de la Somme (Bresle) du 25 mai au 8 juin 1940. Il participe aux opérations de repli du 9 au 21 juin. Il est considéré comme « militaire sur pied de guerre » du 26 juin au 27 juillet 1940.
En mai et juin 1940 Bordeaux subit des bombardements quotidiens. Il y a plus d’un million de réfugiés en Gironde. Le 22 juin, l’armistice est signé : la moitié nord de la France et toute la façade ouest sont occupées. Bordeaux est déclarée ville ouverte par le maréchal Pétain. Le 27 juin les premiers détachements allemands traversent la ville.
Le 28, le général Von Faber du Faur installe l’administration allemande dans les grands hôtels du centre-ville et la Feldkommandantur à la cité universitaire.
Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « Révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
La ligne de démarcation coupe le département en deux. Louis Abel est démobilisé le 27 juillet 1940.
Pendant l’Occupation, Louis Abel est arrêté une première fois le 6 novembre 1940, à Bordeaux, à son domicile, pour « aide à l’ennemi » et « activité gaulliste ». Il aurait fait partie d’une filière de passage de la ligne de démarcation. Il est condamné à « un an et deux mois » mois de prison par un tribunal allemand (ou selon une autre source à 11 mois de travaux forcés en Allemagne).
En tout état de cause, le 14 août 1941, il est écroué à la prison de Rheinbach (au sud-ouest de Bonn). Il en est libéré le 17 janvier 1942.
Louis Abel est à nouveau arrêté le 21 avril 1942. Il est enfermé au Fort du Hâ (1) à Bordeaux.
Il est remis aux autorités allemandes à leur demande. Celles-ci l’internent au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Frontstalag 122), le 26 mai 1942 (en même temps que Robert Levillon), en vue de sa déportation comme otage.
A Compiègne il reçoit le n° matricule « 5969 ».
Des membres de sa famille effectuent en vain une démarche auprès des services de la « Délégation générale du gouvernement français dans les territoires occupés» (De Brinon).
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Depuis le camp de Compiègne, Louis Abel est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks, responsables aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le Parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
On ignore son numéro d’immatriculation à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942. Le numéro « 45168 ? » figurant dans mes deux premiers ouvrages sur le convoi du 6 juillet 1942 correspondait à ma tentative de reconstitution de la liste du convoi par matricules. Ce numéro, quoique plausible, ne saurait être considéré comme sûr en raison de l’existence des quatre listes alphabétiques successives que j’ai partiellement reconstituées, de la persistance de lacunes pour quatre noms, mais d’incertitudes sur plusieurs centaines de numéros matricules. Il ne figure plus dans mon ouvrage Triangles rouges à Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Aucun des documents sauvés de la destruction ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz, ne nous permet de savoir dans quel camp il est affecté à cette date
Louis Abel meurt à Auschwitz le 27 septembre 1942 d’après les registres du camp (Death Books from Auschwitz).
Lire dans le site : 80 % des « 45 000 » meurent dans les six premiers mois
Le certificat de décès de l’état civil d’Auschwitz (N° 32975) porte la mention : catholique. La date du 27 septembre 1942 est reprise par l’arrêté du 12 novembre 1987 portant apposition de la mention «Mort en déportation» sur les actes de décès paru au Journal Officiel du 28 janvier 1988.
Le titre de « Déporté politique » lui a été attribué (26-07-1948), démarches effectuées par son frère Jean Abel.
- Note 1 : « Dès le mois de septembre 1940 les Allemands ont utilisé la Prison militaire pour y incarcérer des civils français ; la prison du Fort du Hâ regorgeait déjà de monde par suite des arrestations massives opérées dès l’arrivée des Allemands. Les premiers incarcérés à la Prison militaires étaient des hommes ; pendant deux semaines environ ils ont été gardés par des surveillants civils du Fort du Hâ placés sous les ordres de gradés allemands, puis très rapidement un personnel militaire allemand a pris tous les services de la prison sous le commandement du capitaine Bickel » (in blog de Jacky Tronel, Histoire pénitentiaire et Justice militaire).
Sources
- Bureau de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (Archives de Caen du ministère de la Défense). « Liste communiquée par M. Van de Laar, mission néerlandaise de Recherche à Paris le 29.6.1948« , établie à partir des déclarations de décès du camp d’Auschwitz.
- Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
- Bureau de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen (dossier individuel consulté en octobre 1993).
- Registres matricules militaires.
- Photo embarquement à Brest en 1940 © ECPAD ministère de la Défense.
- Soldat allemand à Brest © AJPN.
- Arbres généalogiques de Mesdames Christiane Henneton et Bénédicte Laurent.
Notice biographique rédigée en novembre 2010 (complétée en 2016, 2021 et 2021) par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : « Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 », Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45 000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice.
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