Louis Bédet, grève de 1936 à l’usine de Bussy
Louis Bedet © Club Mémoire 52

Matricule « 45 220 » à Auschwitz

Louis Bédet : né en 1895 à Bettaincourt-sur-Rognon (Haute-Marne) ; domicilié à Vecqueville (Haute-Marne) au moment de son arrestation ; ajusteur d'entretien ; syndicaliste et communiste ; arrêté comme otage communiste le 22 juin 1941 ; interné à Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il meurt le 3 octobre 1942

Louis, Georges, Roger Bédet est né le 19 juin 1895 à Bettaincourt-sur-Rognon (Haute-Marne).
Il habite route de Bussy à Vecqueville (Haute-Marne) au moment de son arrestation.
Il est le fils de Louise, Pauline, Isabelle Leneveu, 30 ans, lingère et de Louis, Athanase Bédet, 30 ans, manouvrier, son époux.
Le registre militaire nous apprend qu’il est ouvrier d’usine au moment du conseil de révision et que son père est décédé. Louis Bedet a les cheveux et les yeux noirs, le nez rectiligne et large, le visage ovale. Il sait conduire et soigner les chevaux, conduire une voiture et qu’il est vélocipédiste. Il est soutien de famille.
Conscrit de la classe 1915, il est engagé volontaire. Caporal au 109ème Régiment d’Infanterie, puis au 156ème. Il est hospitalisé à la date du 21 août 1915. Il est gazé en 1916, évacué et hospitalisé le 17 novembre 1917.
« Il ne nous parlait jamais de cette époque, mais j’ai entendu parler du « chemin des Dames » et du « Mort-Homme »  » écrit son fils Jean.

Le 31 juillet 1920,
 Louis Bédet épouse Marie Juliette Dussange, à Doulaincourt (Haute-Marne), où elle est née le 28 janvier 1896. Le couple a deux garçons (1) : André est né le 18 mai 1921 à Doulaincourt et Jean est né 7 octobre 1924 à Mussey-sur-Marne (Haute-Marne). En 1921, le couple habite rue Rousset à Doulaincourt.

Louis Bedet © Club Mémoire 52

Louis Bédet est ajusteur d’entretien aux usines Ferry-Capitain de Bussy-Joinville (commune de Vecqueville). Dans cette même usine travaillent également Georges CollinEdmond GentilBernard Hacquin et Louis Thiéry qui seront également arrêtés et déportés dans le convoi du 6 juillet 1942.
Militant syndicaliste, il est adhérent CGT (carte confédérale n° 31460 de la Fédération des Chemins de fer du 1er mai 1919). En juin 1936 il est à la Fédération CGT des Métaux (carte confédérale CGT n°2738473 de juin 1936). Il dirige les grèves de 1936. « Le patron ne pouvait garder le loup dans la bergerie. Il en fut de même pour moi, qui fus sur les listes du STO à 18 ans » écrit Jean Bedet.

Les grévistes de l’usine de Bussy en 1936

Légende photo de la grève de 1936 : les grévistes de l’usine de Bussy, près de Vecqueville.
Numéro 1 : Louis Bédet, né à Bettaincourt-sur-Rognon en 1895, domicilié à Vecqueville, mort à Auschwitz le 30 décembre 1942. Numéro 2 : Alfred Dufays, né à Wassy en 1900, domicilié à Vecqueville, décédé à Auschwitz le 16 août 1942. Numéro 3 : Gabriel Martini, né à Joinville en 1907, domicilié à Suzannecourt, rescapé de Buchenwald. Numéro 4 : Marcel Raspado, né à Dieue en 1906, domicilié à Thonnance-lès-Joinville, rescapé de Mauthausen. (Photo © Maurice Leneveux, fils d’un des grévistes, Louis-Ernest Leneveux). In © Facebook Club Mémoire 52.

En 1936 la famille habite au n° 16 des cités à Vecqueville.
Membre du Parti communiste, “Il avait – écrit son fils – le cœur communiste, un vrai“. Il l’avait quitté en 1938. En 1940, il a tout fait pour s’engager, «révolté par la drôle de guerre».

Le 10 mai 1940, la Luftwaffe bombarde le terrain d’aviation de Saint-Dizier et la ville de Joinville. Le 13 juin 1940 la Wehrmacht occupe Saint-Dizier. Le 14 juin, les troupes allemandes défilent à Paris, sur les Champs-Élysées. Le 15 tout le département de la Haute-Marne est occupé.  Le 22 juin, l’armistice est signé : la France est coupée en deux par la « ligne de démarcation » qui sépare la zone occupée de celle administrée par Vichy. La Haute-Marne est coupée en deux : l’est devient « zone interdite », destinée au repeuplement allemand comme le veulent les nazis, ou à la création d’un Pays Thiois ou Grande Flamande (comme le revendiquait le mouvement irrédentiste flamand), l’ouest se transforme en territoire de stationnement des troupes de la Wehrmacht. Le 10 juillet 1940 Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « Révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).

Le 28 août 1941 René Bousquet, Préfet de la Marne nommé par Pétain en 1940, est nommé Préfet régional de la région de Châlons-sur-Marne (Marne, Haute-Marne et Aube). Il donne des instructions très précises pour la surveillance des « menées communistes ». En septembre 1941, avec l’institution de la « politique des otages », les autorités allemandes se font remettre les notices individuelles des communistes arrêtés et incarcérés par la police française. On lira sur le net les articles consacrés à Bouquet par Jean-Pierre et Jocelyne Husson : « René Bousquet et la politique vichyste d’exclusion et de répression ».

Camions allemands à Chaumont

Louis Bedet est arrêté le 23 juin 1941 par les polices allemande et française, en même temps que Georges Collin, Albert Bernardin, Joseph Lapoire (2) et 4 autres militants (témoignage de Jean Bédet, fils de Lois Bédet).
Il s’agit vraisemblablement de Georges CollinEdmond GentilBernard Hacquin et Louis ThiéryCette arrestation a lieu dans le cadre de la grande rafle commencée le 22 juin, jour de l’attaque hitlérienne contre l’Union soviétique. Sous le nom «d’Aktion Theoderich», les Allemands arrêtent plus de mille communistes dans la zone occupée, avec l’aide de la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy (la prison de Chaumont pour la Haute-Marne.

Louis Bédet est interrogé à la Kommandantur de Joinville, puis écroué à la prison de Chaumont. Avec ses camarades, ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), le Frontstalag 122, administré par la Wehrmacht et qui ce jour là devient un camp de détention des “ennemis actifs du Reich”.
Son épouse écrit au Préfet : le 22 avril 1942 : « Mon mari a été membre du parti communiste jusqu’au mois de décembre 1938, mais avait depuis cette date rompu définitivement avec ce parti auquel il ne payait plus ses cotisations. Il y a donc eu à son égard une erreur ou une injustice (…) Je puis vous donner l’assurance formelle que conformément aux désirs du maréchal, mon mari ne conservera aucune attache avec son ancien parti. » (in Facebook Club Mémoires 52).

Compiègne, l’entrée du tunnel

Louis Bédet y reçoit le matricule « 599 ». Il participe au creusement du célèbre tunnel qui permit l’évasion de 19 responsables communistes le 22 juin 1942. Il l’écrit dans une lettre lancée par dessus le mur à Compiègne, mais « il avait eu peur des représailles sur la famille et avait préféré rester ».
Lire dans le site : 22 juin 1942 : 19 internés s’évadent du camp de Compiègne par un souterrain.
Depuis ce camp, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».

Depuis le camp de Compiègne, Louis Bédet est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Louis Bédet est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro matricule « 45.220 ».
Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a pas été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.

Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».

Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.

Dessin de Franz Reisz, 1946

Louis Bédet meurt à Auschwitz le 3 octobre 1942, d’après son certificat de décès établi au camp pour le registre d’état civil de la municipalité  d’Auschwitz (in « Death Books from Auschwitz » Tome 2, page 62). Le jugement déclaratif de décès établi au lendemain de la Libération (7 novembre 1946), n’avait pu fixer de date, mais l’avait déclaré décédé, puis « mort pour la France ». Lorsquele ministère a fait procéder à l’inscription de la mention « mort en déportation » sur son acte de décès (Journal officiel du 25 avril 2008), il a été ajouté à l’acte de décès « décédé le 11 juillet 1942 à Auschwitz, et non décédé sans autre renseignements», soient les 5 jours prévus par le décret après le départ du convoi. Il était pourtant possible d’inscrire la vraie date, puisque dl’ouvrage publié par les historiens polonais du Musée d’Auschwitz date de 1995.
Lire dans le site l’article :  Les dates de décès à Auschwitz.

Louis Bedet a été déclaré « Mort pour la France« , le 9 octobre 1947. Le titre de « Déporté politique » lui a été attribué (n°1157 0400). Son nom est inscrit sur le monument aux morts de Vecqueville.

  • Note 1 : Son fils aîné, André, qui s’était réfugié en zone libre en 1941, s’est engagé dans l’armée de l’armistice, puis, sous le pseudonyme de Toto, au maquis de Haute-Savoie à l’arrivée des Allemands. Il est co-auteur du livre « les Glières ». Son autre fils, Jean, réfractaire au STO (il a 18 ans en 1943), rejoint son frère au maquis des Glières. Il est fait prisonnier après l’attaque du maquis des Glières (1944). Deux blessures. Convoyé en train vers un camp de la mort, dans la nuit du 13 au 14 août 1944, il parvient à s’évader. Il est «Interné résistant ».
  • Note 2 : Albert Bernardin, né le 27 juillet 19014 à Eurville (52), interné à Compiègne, est déporté le 16 avril 1943 à Mauthausen, où il meurt le 24 février 1944. Joseph Lapoire, né le 14 novembre 1913 à Hayange (54) est déporté le 23 janvier 1943 à Sachsenhausen. Il est libéré à Dachau le 19 avril 1945

Sources

  • Lettre de son fils, Jean Bédet (15 avril 1992).
  • Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
  • Liste (incomplète) par matricule du convoi du 6 juillet 1942 établie en 1974 par les historiens du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau (Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (Ministère de la Défense, Caen) indiquant généralement la date de décès au camp.
  • Fichier national de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen.
  • Blog du club Mémoires 52, association de recherches historiques consacrées au département de la Haute-Marne, créée, en 1991, par Jean-Marie Chirol (1929-2002).
  • Site internet Mémorial «GenWeb» (Stéphane Protois).
  • Listes – incomplètes – du convoi établies par la FNDIRP après la guerre (archives de la F.N.D.I.R.P).
  • © Photo « des allemands sur le stade Voltaire » inwww.ville-chaumont.fr/1944
  • Correspondance avec sa bru et sa petite-nièce.
  • photo grève : © Maurice Leneveux, fils d’un des grévistes, Louis-Ernest Leneveux. In © Facebook Club Mémoire 52

Notice biographique rédigée en novembre 2010, complétée en 2015, 2018, 2021 et 2023 par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : « Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000. Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com

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