Matricule « 45 242 » à Auschwitz
Jean Beudou : né en 1907 à Bordeaux (Gironde) ; domicilié à Talence (Gironde) ; ébéniste, puis ajusteur ; communiste et syndiqué CGTU ; arrêté fin 1939 et interné à Gurs et Mérignac ; arrêté à nouveau le 20 octobre 1940, interné au fort du Hâ, puis à Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt le 22 août 1942
Jean Beudou est né le 22 avril 1907 à Bordeaux (Gironde). Il habite un petit pavillon, 103, rue Emile Combes à Talence (Gironde), ancien chemin des Visitandines, au moment de son arrestation.
Il est le fils de Bernarde Cérezuèle, 37 ans, sans profession (1869-1952) et de Joseph Beudou, 40 ans, employé d’octroi, son époux (1866-1939). Il a 2 sœurs aînées (Marie Magdeleine 1902-1996 ; Marguerite 1905-1984) et un frère cadet, Paul (1914-1999).
Ebéniste de métier, Jean Beudou s’est reconverti après la crise économique de 1929 comme ajusteur dans une usine métallurgique de Bordeaux. Conscrit de la classe 1927 (matricule « 2564 »), il est appelé au service militaire pour une durée de 18 mois (réduite à un an en 1928).
Le 29 juin 1935 il épouse Marie Gellibert à Talence. Le couple a un enfant, Christian, Bernard, qui naît le 27 janvier 1936 à Talence (il est décédé en 2000).
Jean Beudou est communiste et syndicaliste, adhérent à la CGTU.
Il est arrêté fin 1939, après la dissolution du Parti communiste, le 26 septembre, à son travail, par la police française, « pour propagande antigouvernementale« , ainsi que tous les membres de la cellule du Parti communiste à laquelle il était adhérent en 1939 (Christian Beudou).
Il est alors interné aux camps de Gurs (Basses-Pyrénées) puis de Mérignac (Gironde).
En mai et juin 1940 Bordeaux subit des bombardements quotidiens. Il y a plus d’un million de réfugiés en Gironde. Le 22 juin, l’armistice est signé : la moitié nord de la France et toute la façade ouest sont occupées. Bordeaux est déclarée ville ouverte par le maréchal Pétain.
Le 27 juin les premiers détachements allemands traversent la ville. Le 28, le général Von Faber du Faur installe l’administration allemande dans les grands hôtels du centre-ville et la Feldkommandantur à la cité universitaire. La ligne de démarcation coupe le département en deux.
Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « Révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
Libéré du camp de Mérignac, Jean Beudou est arrêté, pour la seconde fois, le 20 octobre 1940, à son usine de Bordeaux, par des policiers français de la tristement célèbre « Brigade Poinsot »(1), pour ses activités politiques d’avant-guerre connues. Une vague d’arrestations commencée vers la fin octobre 1940 emprisonnera 147 militants communistes de la région bordelaise, parmi lesquels trois d’entre eux seront déportés avec lui dans le convoi du 6 juillet 1942 : Gabriel Eustache ,Jean Guenon et Gabriel Torralba.
Parmi les communistes arrêtés se trouvent aussi le frère de Gabriel Eustache, le père et les frères de Gabriel Toralba, et Jean Bonnardel secrétaire de section, qui sera fusillé au Camp de Souge à l’âge de 37 ans (avec 49 autres militants les 23 et 24 octobre 1941).
Jean Beudou est interné au fort du Hâ, ancienne forteresse située à Bordeaux qui fut utilisée lors de l’occupation allemande comme prison pour les opposants politiques et les membres de la Résistance. Il est remis aux autorités allemandes à leur demande. Celles-ci l’internent au camp allemand de Royallieu à Compiègne (le Frontstalag 122), en avril ou mai 1942, en vue de sa déportation comme otage.
Au camp de Compiègne, il est affecté à la chambre N°3, bâtiment A1 avec d’autres militants de Gironde. Le 5 mai 1942, un banquet de solidarité s’y est tenu, préparé à partir des colis reçus par certains internés. Pour y participer, on payait une quote-part : les «bénéfices» étaient répartis entre les plus démunis (les sans-famille, les sans-colis, ceux dont la famille était elle-même sans ressources).
Le menu de ce repas fraternel conservé par son camarade Gabriel Torralba (seul rescapé de Gironde), porte sa signature et celle de Gabriel Eustache également de Gironde.
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Depuis le camp de Compiègne, Jean Beudou est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks, responsables aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le Parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Jean Beudou est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro matricule « 45 242 » (la photo d’immatriculation portant ce numéro a été identifiée par son fils).
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Aucun des documents sauvés de la destruction ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz, ne nous permet de savoir dans quel camp il est affecté à cette date
Jean Beudou meurt à Auschwitz le 22 août 1942 d’après les registres du camp (Death Books from Auschwitz). Néanmoins, son état civil établi dans les années d’après guerre repris par l’arrêté du 21 Juillet 1987 portant apposition de la mention «Mort en déportation» sur les actes de décès et paru au Journal Officiel du 9 septembre 1987, portent néanmoins une autre date « mort à Auschwitz le 15 août 1942″ (jugement déclaratif de décès). Afin de donner accès aux titres et pensions aux familles des déportés, l’état civil français n’ayant pas eu accès dans les années d’après-guerre aux archives d’Auschwitz emportées par les armées soviétiques, a fixé celle-ci à une date fictive (le 1er, 15 ou 30 d’un mois estimé sur la base du témoignage d’un de ses compagnons de déportation, ici Gabriel Torralba).
Lire dans le site : 80 % des « 45 000 » meurent dans les six premiers mois
Jean Beudou est homologué « Déporté politique ».
Son nom est inscrit sur le monument aux morts de Talence.
- Note 1 : Pierre Napoléon Poinsot, commissaire aux Andelys et à St Lô en 1936 où il se fait remarquer par un anticommunisme effréné. Muté à Bordeaux en 1938 dans la police spéciale de la préfecture, il est affecté au commissariat de la gare Saint-Jean (…) où il se lance dans la chasse aux communistes, qu’ils soient militants ou sympathisants. A l’Occupation, grâce à l’appui d’Olivier Reige, directeur de cabinet du préfet, Poinsot reste à Bordeaux, malgré un avis défavorable de sa hiérarchie. Il organise la S.A.P (section des activités politiques) : sa « brigade Poinsot » devient le numéro un des services allemands pour la chasse aux communistes, gaullistes et résistants. Extraits de l’ouvrage de René Terrisse
Sources
- Lettre de Paul Beudou, son frère (22 juin 1990).
- Questionnaire biographique (contribution à l’histoire de la déportation du convoi du 6 juillet 1942), envoyé aux mairies, associations et familles au début de mes recherches, en 1987, rempli par Christian Beudou, son fils (26 septembre 1990) à partir des souvenirs de son oncle, Paul Bedou.
- Lettres de Christian Beudou, son fils (août 1992). Il a participé au pèlerinage à Auschwitz du 6 au 10 juillet 1992, pour le cinquantième anniversaire du départ du convoi, auquel je participais moi-même.
- Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
- Correspondance de M. M. Larrue, adjoint au maire de Talence, (29/6/90).
- Extraits de « La Gironde sous l’Occupation. La répression française. Bordeaux 1940 – 1944 » de René Terrisse.
- Site internet de l’Amicale de Chateaubriant-Voves-Rouillé.
- Site internet Mémorial «GenWeb ».
- Fascicule Premier, 1940-1941 d’Henri Chassaing et Georges Durou, 1991.
- Fichier national de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, Caen (avril 1992).
- Archives en ligne de Gironde.
Notice biographique rédigée en novembre 2010 (complétée en 2016, 2021 et 2024) par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : « Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 », Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice.
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