En comparant ce visage avec celui du camp de Choisel, il est tout à fait possible qu’il s’agisse d’Edouard Bonnet
1941. Internés de Chateaubriant. Edouard Bonnet est peut-être celui qui est torse nu.
Edouard Bonnet : né en 1889 à Paris 18ème ; à Chauny (Aisne); comptable ; brocanteur ; communiste ; arrêté le 2 octobre 1941 ; interné à Chateaubriant, Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il meurt le 11 septembre 1942.

Edouard Bonnet est né le 23 septembre 1889 à Paris 18è au 11, rue Joseph Dijon. Il habite au 44, rue Hébert à Chauny (Aisne) au moment de son arrestation.
Il est le fils de Valentine, Célina Rivière, 23 ans, couturière et d’Eugène, Bonnet, 26 ans, charpentier.
Son registre militaire (matricule n° 1194 du 6è bureau de la Seine) nous apprend qu’il mesure 1m 60, a les cheveux châtains, les yeux gris bleus, le front ordinaire et le nez moyen, le visage ovale. Il travaille comme employé de bureau (il sera plus tard brocanteur) et habite chez ses parents (au moment du Conseil de Révision) au 22, rue Beaudelocque à Paris 18è.
Il a un niveau d’instruction n° 3 pour l’armée (sait lire, écrire et compter, instruction primaire développée).
Conscrit de la classe 1909, habitant 32, rue des Gardes à Paris 18è, il est appelé au service militaire le 3 octobre 1910, service qu’il effectue au 87è Régiment d’Infanterie à Saint-Quentin (Aisne). Soldat de 1e classe le 5 juillet 1911, il est nommé caporal le 25 septembre 1911. Il est envoyé en congé le 25 septembre 1912, « certificat de bonne conduite accordé » et se retire au 20 rue Voltaire à Saint-Ouen (Seine / Seine-Saint-Denis).

En 1913, il est comptable, domicilié au 22 rue Baudelique à Paris 18è .
Il épouse Marie, Aline Fleury le 4 janvier 1913 à Paris 18è
.
Elle est couturière, née le 20 avril 1889 à Iwuy (Nord), domiciliée au 32, rue des Gardes 32, rue des Gardes à Paris 18è .
En avril 1913, le couple emménage au 2, rue Erckmann Chatrian à Paris 18è.
Le 1er août 1914 la mobilisation générale est décrétée. Il est « rappelé à l’activité » et mobilisé au 87è RI qu’il rejoint le 3 août 1914. Le 14 mars 1915, il « passe » au 89è Régiment d’infanterie. Il est envoyé « aux armées » avec la 6è compagnie le 24 mars 1915. Il est évacué, malade, le 1er décembre 1916. Il est réformé temporaire n°2 le 24 décembre 1917 par la 1è commission de réforme de la Seine pour « mauvais état général ». Maintenu réformé le 10 avril 2018 pour les mêmes motifs. Réformé n° 2 le 16 novembre 1918.
En janvier 1924, il est domicilié au 75, avenue de Saint Mandé à Paris 12è. Puis il emménage au 11, rue Roussel à Saint-Denis.
Edouard Bonnet est devenu brocanteur. Il semble avoir eu de grosses difficultés pour faire face à ses obligations commerciales et il use d’expédients : il reçoit des amendes et des peines de prison (1923, 3 mois avec sursis pour « chèque sans provision », 1925, 2
mois pour « banqueroute simple », 1926 amende pour « vente et mise en vente d’objets contrefaits », 1934, 6 mois avec sursis pour « escroquerie ».
Il se sépare d’Aline Fleury (de divorce  (jugement de divorce du 4 février 1930

Il épouse en secondes noces Alice, Philomène, Albertine Angot le 27 septembre 1930 à Paris 14è.
Il est commerçant, domicilié au 46 bis, avenue d’Orléans à Paris 14è.  Elle est couturière, née le 28 novembre 1903 à à Paris 14è
Elle est domiciliée à la même adresse qu’Edouard Bonnet.
En juin 1934, le couple est domicilié au 382, avenue du Président Wilson à La Plaine Saint-Denis. Ils quittent le département et s’installent dans l’Aisne à Chauny, 56, rue Jean de La Fontaine. En octobre 1939, ils habitent toujours Chauny, mais ont déménagé au 47, rue de Paris. Puis au 44, rue Hébert, dans un lotissement de maisons mitoyennes à deux étages.
Adhérent au Parti communiste, Edouard Bonnet est devenu secrétaire de la cellule du Parti communiste de Chauny, et connu à ce titre par la gendarmerie.
On sait par son registre matricule militaire qu’Edouard Bonnet est père de quatre enfants.

Aisne.com

Dès le 14 mai 1940, de Montcornet à Hirson, de Crécy-sur-Serre à Wassigny, les chars allemands bousculent tout sur leur chemin, non sans combats héroïques d’unités françaises, avant de toucher le Vermandois, le Chaunois, les confins du Laonnois et du Soissonnais puis le Sud du département jusqu’au 13 juin. Dès le 15 mai, 150.000 belges et axonais se sont réfugiés en Mayenne. Le 14 juin 1940, l’armée allemande d’occupation entre dans Paris, vidé des deux tiers de sa population. La ville cesse alors d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Les troupes allemandes défilent sur les Champs-Élysées. Le 10 juillet 1940 Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Le 29 septembre 1941 des tracts sont distribués à Chauny.
A cette date, le Préfet de l’Aisne, Jean-François Quénette (1), se conformant au décret du 3 novembre 1940, relatif aux mesures à prendre à l’égard des individus dangereux pour la sécurité publique, décide de son internement administratif « considérant qu’à des dates récentes, des tracts de propagande communiste ont été distribués ou diffusés à plusieurs reprises sur le territoire de la commune de Chauny ; considérant qu’il résulte des enquêtes effectuées et de renseignements recueillis que le nommé Bonnet Edouard …est un communiste notoire ».

Le 2 octobre 1941, deux gendarmes de la brigade de Chauny arrêtent Édouard Bonnet, « en face du Café de la Terrasse ».
Edouard Bonnet leur déclare « Je suis stupéfait de la mesure d’internement que vous venez de me notifier, attendu que j’ai cessé toute activité politique depuis les début des hostilités. J’entends néanmoins y obéir ». (Selon son dossier au DAVCC à Caen, il est arrêté le 3 octobre 1941 à Chauny par deux gendarmes).
Il est interné au camp de Choisel à Chateaubriant (Loire maritime / Loire atlantique) d’octobre 1941 au 7 mai 1942. Il y reçoit le matricule « 1218 ».  

Le camp de Choisel. Il est possible qu’Edouard Bonnet soit le deuxième à gauche, torse nu. Photo de Maurice Guy, déporté et mort à Auschwitz « 45647 »

Du camp de Choisel à Auschwitz, via Compiègne. et  Camp de Choisel, les photos de Maurice Guy et hommage aux fusillés.

Le 5 novembre, Édouard Bonnet, Paul Caille et Marcel Gouillard figurent sur une liste de douze internés communistes établie par
la Feldkommandantur de Laon susceptibles d’être choisis comme otages. Cette liste KF 602 qui émane de la préfecture de l’Aisne est transmise aux autorités allemandes le 19 mars 1942 (in document du CDJC – XLIV).

Le 7 mai 1942 il est transféré au camp de Voves. Lire dans le site l’article sur Le camp de Voves. Le 2 juin, à la demande de la Feldkommandantur d’Orléans – après intervention de celle de Laon, il est transféré à la prison de Chartres avec Paul Caille de Ternier et Marcel Gouillard de Quessy, deux cheminots communistes.
Le 3 juin 1942, il est interné avec ses deux camarades au camp allemand de Royallieu à Compiègne (le Frontstalag 122), en vue de sa déportation comme otage.
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».

Le jour de son départ pour Auschwitz, Edouard Bonnet lance une lettre depuis le train (cette lettre est signalée sur sa fiche individuelle au DAVCC de Caen). 

Depuis le camp de Compiègne, Edouard Bonnet est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks, responsables aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le Parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Son numéro d’immatriculation à Auschwitz n’est pas connu. Toutefois le numéro «45 287» qui correspond au visage reproduit ci-contre est possible. Ce numéro figurait d’ailleurs dans mes deux premiers ouvrages sur le convoi du 6 juillet 1942 (éditions de 1997 et 2000) et correspondait à une tentative de reconstitution de la liste du convoi par matricules.

Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Aucun des documents sauvés de la destruction ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz, ne nous permet de savoir dans quel camp il est affecté à cette date

Dessin de Franz Reisz, 1946

Edouard Bonnet meurt à Auschwitz le 11 septembre 1942 d’après son certificat de décès établi au camp pour le registre d’état civil de la municipalité d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz, Tome 2, page 117).Sa fiche d’état civil établie en France à la Libération porte toujours la mention « décédé le 12 juin 1942 (sans autres renseignements)» !
Lire dans le site : 80 % des « 45 000 » meurent dans les six premiers mois

Il est regrettable que le ministère n’ait pas corrigé cette date, à l’occasion de l’inscription de la mention « mort en déportation » sur son acte de décès (Journal officiel du 8 juillet 2009), ceci étant rendu possible depuis la parution de l’ouvrage publié par les historiens polonais du Musée d’Auschwitz en 1995. Lire dans le site : Les dates de décès à Auschwitz.

Edouard Bonnet a été déclaré « Mort pour la France« . Le titre de « déporté politique » lui a été attribué. Son nom est honoré sur la plaque commémorative dans le hall de la mairie de Chauny.

  • Note 1 : ancien député Républicain Indépendant et Social de Meurthe et Moselle, ayant voté les pleins pouvoirs à Pétain, il entre dans la Résistance en mai 1942 lorsqu’il est nommé Préfet de Région en Bretagne. Il intègre le réseau Johnny Ker, où il est agent P1. Il fait également partie ensuite des réseaux Andromède et Rafale, dépendants du BRCA de Londres. Il est révoqué en janvier 1944 et traqué par la Milice.

Sources

  • Stéphane Fourmas, Le centre de séjour surveillé de Voves (Eure-et-Loir) janvier 1942 – mai 1944, mémoire de maîtrise, Paris-I (Panthéon-Sorbonne), 1998-1999.
  • Louis Oury, écrivain, chercheur ayant travaillé sur les archives de la Felkommandantur de Nantes et du camp de Chateaubriant. Correspondance d’avril 1991.
  • Fichier national de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, Caen (dossier individuel consulté en 1992).
  • Listes – incomplètes – du convoi établies par la FNDIRP après la guerre (archives de la F.N.D.I.R.P).
  • Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
  • © Site Site Internet Mémorial-GenWeb
  • © Site www.mortsdanslescamps.com
  • © Dessin de Franz Reisz, in « Témoignages sur Auschwitz », ouvrage édité par l’Amicale des déportés d’Auschwitz (1946).
  • Archives départementales de l’Aisne. Dossiers du commissariat régional aux Renseignements généraux, surveillance des communistes (SC11276).
  • Registres matricules militaires de la Seine.

Notice biographique rédigée en janvier 2003, mise en ligne en 2008, complétée en 2019, 2020 et 2024 par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : « Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 Paris et de « Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 »« , éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com 

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