Matricule « 45 867 » à Auschwitz

André Ménager
Manifestation du souvenir à Champagne sur Seine. Février 1965
André Ménager : né en 1901 à Paris 5ème ; domicilié à Champagne-sur-Seine (Seine-et-Marne) ; tourneur ; communiste, adhérent CGT ; arrêté le 19 octobre 1941 comme otage ; interné au camp de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il meurt le  27 septembre 1942.

André Ménager est né le 24 janvier 1901 à Paris 5ème. Il habite au 10, rue des Ecoles à Champagne-sur-Seine (Seine-et-Marne) au moment de son arrestation. Il est le fils de Claudine Ménager, 26 ans, cuisinière qui demeure au 40, rue Lacépède.
Son registre matricule militaire nous apprend qu’il mesure 1m 54, a les cheveux bruns, les yeux marron, le front droit, le nez rectiligne, le visage ovale. Au moment de l’établissement de sa fiche il est recensé dans le département de la Seine quatrième bureau, matricule 4288), il est mentionné qu’il travaille comme polisseur. Il habite Montreuil (« Au moment de son recensement militaire mon grand père vivait à Montreuil chez son oncle Philibert Ménager et sa tante Jeanne Ménager. Philibert Ménager était le frère de sa mère Claudine » Sylvain Ménager, le 17 novembre 2022.
Il a un niveau d’instruction n° 2 pour l’armée (sait lire et écrire).
Conscrit de la classe 1921, il est appelé au service militaire le 1er avril 1921 et arrive à la même date que Lucien Matté au 154è Régiment d’infanterie cantonné à Metz le 8 du mois. Le 23 novembre 1921, son régiment opère au Levant. Le 6 février 1922, il est transféré au 415è Régiment d’infanterie, régiment de marche du Levant. Du 7 au 15 juin 1922, il est envoyé à l’hôpital de Damas pour entérite chronique.
Il est à nouveau soigné à l’hôpital de Sour el Gharb du 15 juin au 26 juin. Il est alors évacué sur l’hôpital Michel Lévy à Marseille, du 2 au 6 juillet 1922. Renvoyé au dépôt, le 15 août 1922. Le 1er avril 1923, il devrait « passer dans la disponibilité » (retour à la vie civile), mais il est « maintenu sous les drapeaux » en application de la Loi du 21 mars 1905, en raison des incidents avec les Druzes, après la fin des hostilités avec la Turquie.
Il est « renvoyé dans ses foyers » le 25 avril 1923, « certificat de bonne conduite accordé ».

André Ménager épouse Léa, Florentine, Evelina Bougréau le 27 août 1924 à Champagne-sur-Seine. Elle est née le 22 mars 1903 à Vernou-sur-Seine (elle y est décédée le 12 novembre 1878). Le couple a trois enfants (deux filles âgées de 3 et 15 ans en 1941 et un garçon).
André Ménager est tourneur. En 1923, il habite à Vernou (Seine-et-Marne).
De 1925 à 1928, il habite au 32, rue du Pas rond à Champagne sur Seine (Seine-et-Marne). En mai 1932, il a déménagé au 43, de la même rue. Adhérent à la CGT et membre du Parti communiste, il est trésorier de la cellule de Champagne-sur-Seine.
En janvier 1939, la direction générale de la Sûreté nationale sollicite les Préfets pour obtenir des rapports sur « l’organisation et l’activité de chacun des partis extrémistes » de leur département. Dans ces documents figurent  des éléments concernant les cellules du parti communiste.
Pour Champagne-sur-Seine, le rapport préfectoral indique : « Le nombre des adhérents est de 280 environ, dont une centaine pour la cellule de la société S.W. (Schneider et Cie) (…). Les réunions se tiennent chaque semaine chez M. Rateau, chef de secteur».

Le dimanche 16 juin 1940, des éléments motorisés de la Werhmacht franchissent la Seine à Valvins sur un pont de bateaux. Ils traversent Avon avant d’entrer dans Fontainebleau, précédant le gros des troupes. .Le 14 juin, l’armée allemande était entrée par la Porte de la Villette dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cessant d’être la capitale du pays et devenant le siège du commandement militaire allemand en France. Les troupes allemandes occupent toute la banlieue parisienne et les départements voisins les jours suivants.  Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).

André Ménager participe à des distributions de tracts.

Le 1er mai 1941, à la suite d’une lettre de dénonciation signalant des activités communiste dans la région de Champagne-sur-Seine, un inspecteur du commissariat spécial de Melun rédige un rapport d’enquête : l’Usine SW (Schneider-Westinghouse)…occupe environ 700 ouvriers.  Une vingtaine environ s’était fait remarquer par son attitude communiste, parmi eux : Jay René, Magnat Jérôme, Ménager André, Rousset Georges, Tolet François (pour chacun d’entre eux il cite la date de naissance, l’adresse, la profession) (…). Ces divers militants de l’ex-parti communiste sont encore en relations et, à plusieurs reprises, on a constaté des allées et venues. Depuis le mois de mars, trois distributions de tracts communistes ont eu lieu à Champagne-sur-Seine ; elles ont été effectuées principalement dans le quartier de l’Aubépine, […] habité par les ouvriers de S.W. Les deux dernières diffusions remontent au 23 avril […] et, enfin, dans la nuit du 19 au 30 avril […]. À noter que Jay René et Ménager André, tous deux militants convaincus, sont titulaires d’un laissez-passer de nuit pour le service de garde du pont de Champagne-sur-Seine demandé par la maison Delattre et Frouard de Dammarie-les-Lys, chargée de la réfection du pont de cette commune. (…) La direction de l’usine, que j’ai consultée, ne donne aucun nom de personnes pouvant servir d’agents de renseignement. Bien que déplorant la propagande antinationale communiste, la direction invoque qu’il serait délicat de déléguer un ouvrier pour la surveiller. On peut le regretter ».

Nous n’avons pas trouvé de document concernant un internement à Aincourt en mai 1941, comme l’ont été ses camarades Jay et Magnat (ce dernier ayant été libéré avec d’autres, le 16 juin 1941 à la suite des démarches des épouses des ouvriers internés sans preuves), et sa fille Jacqueline n’en parle pas non plus dans son témoignage sur l’arrestation de son père.
Toutefois son nom figure bien sur une liste de communistes susceptibles d’être choisis comme otages. Cette liste datée du 25 août 1941 émane du RSHA (Reichssicherheitshauptamt, « Office central de la sécurité du Reich », In document XLIV- 59-60, Saint Germain 24 décembre 1941).

André Ménager est arrêté comme otage le 19 octobre 1941 par des policiers allemands et français, le même jour que François Trolet, Marcel Magnat, Carlo Facco et Marie Gorce. De nombreux élus ou militants communistes du département sont arrêtés les 19 et 20 octobre. Parmi eux, 42 seront déportés à Auschwitz. Lire dans le site la rafle des communistes en Seine-et-Marne, octobre 1941.

André Ménager et ses camarades de Seine-et-Marne sont transférés par car au camp allemand de Royallieu à Compiègne (le Frontstalag 122), le 19 octobre 1941. Il y reçoit le matricule n° 1695.
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».

Témoignage de Jacqueline Bonhomme, sa fille : J‘avais 15 ans à l’époque et tous ces événements sont restés intacts dans ma mémoire. Le dimanche matin 19.10.41 à 11 heures la Gestapo accompagnée d’un gendarme français sont venus arrêter mon père ils n’ont donnés aucun motif (à l’époque ils n’en avaient pas besoin) perquisition dans l’appartement, prié de prendre des vêtements, une couverture, et les tickets d’alimentation. Je suis descendue derrière eux, il y avait un side-car derrière le camion, et des boches armés de mitraillettes à toutes les issues. Dans le camion il y avait déjà, Trolet, Magnat, Facco et Marie Gorce et d’autres hommes que je ne connaissais pas. Nous avons reçu des nouvelles 3 semaines après, de Royallieu à Compiègne. Une visite nous fut permise au mois de Juin 1942, ma mère et ma petite sœur de 3 ans y sont allées en compagnie de Mme Trolet, je devais y aller a mon tour avec mon frère et ma petite sœur au mois d’octobre 42 malheureusement le 6 Juillet 42 nous recevions un colis avec ses vêtements qu’il ne pouvait emmener, et avec une lettre (« je pars pour une destination inconnue probablement pour l’Allemagne »).
Quelques jours après une lettre qui avait du être jetée du train, et que des âmes charitables avaient postée dans l’Aisne, il nous disais la même chose que dans la précédente et nous n’avons plus rien su jusqu’à la fin de la guerre. Quand les premiers déportés sont rentrés je suis allée rue Leroux et d’après la date de départ de Compiègne la destination était Auschwitz. Pendant la guerre j’avais écrit à la croix rouge Française (je n’ai jamais eu de réponse). J’avais du me placer dans une maison bourgeoise pour aider ma mère, et mon employeur qui allait en zone libre pour son travail, avait fait passer une lettre à la croix rouge Suisse : eux m’ont répondu qu’ils ne savaient rien.

Depuis le camp de Compiègne, André Ménager est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942.
Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Il est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro « 45 867 »Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a pas été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».  Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.

Dessin de Franz Reisz, 1946

André Ménager meurt à Auschwitz le 27 septembre 1942 d’après son certificat de décès établi au camp pour le registre d’état civil de la municipalité d’Auschwitz ; in Death Books from Auschwitz, Tome 3, page 799).

Sa fiche d’état civil établie en France à la Libération porte toujours la mention « décédé le 6 juillet 1942 (sans autre renseignement)». Il serait souhaitable que le ministère corrige ces dates fictives qui furent apposées dans les années d’après guerre sur les état civils, afin de donner accès aux titres et pensions aux familles des déportés. Cette démarche est rendue possible depuis la parution de l’ouvrage « Death Books from Auschwitz » publié par les historiens polonais du Musée d’Auschwitz en 1995.
Lire dans le site 
Les dates de décès à Auschwitz.

Il a été déclaré « Mort pour la France« .

Son nom figure sur la plaque commémorative Place Paul Jay en mémoire des Déportés politiques et victimes civiles de Champagne-sur-Seine.
Il a été homologué comme Sergent à titre posthume, Combattant volontaire de la résistance et à ce titre a reçu la Médaille militaire à titre posthume, ainsi que la Médaille de la Résistance française le 22 juin 1960.

Sources

  • Questionnaire biographique (contribution à l’histoire de la déportation du convoi du 6 juillet 1942), envoyé aux mairies, associations et familles au début de mes recherches, en 1987, rempli par sa fille, Mme Jacqueline Bonhomme le 15 avril 1991.
  • Photo in site Internet mémorial « GenWeb ».
  • Listes – incomplètes – du convoi établies par la FNDIRP après la guerre (archives de la F.N.D.I.R.P).
  • Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
  • Liste (incomplète) par matricule du convoi du 6 juillet 1942 établie en 1974 par les historiens du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau (Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (Ministère de la Défense, Caen) indiquant généralement la date de décès au camp.
  • Photo de la manifestation de février 1965 envoyée à la FNDIRP par Raymond Montégut (matricule 45892)
  • Centre de Documentation du Mémorial de la Shoah (CDMS), document XLIV- 59-60, Saint Germain 24 décembre 1941).
  • Courriels de son petit-fils, Sylvain Ménager (février 2017). 
  • Registres matricules militaires de la Seine.

Notice biographique installée en novembre 2013, complétée en 2017 et 2022 par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages : Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé) et de Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Autrement, Paris 2005) .  Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
Pour la compléter ou la corriger cette notice biographique, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com 

2 Commentaires

  1. Au moment de son recensement militaire mon grand père vivait à Montreuil chez son oncle Philibert Ménager et sa tante Jeanne Ménager.
    Philibert Ménager était le frère de sa mère Claudine. J’ai fait des recherches sur Claudine Ménager , apparemment elle a disparu après la naissance de mon grand-père. Mon père né le 24 octobre 1928 portait le prénom de Philibert. Surement en reconnaissance vis à vis de son oncle.

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