Matricule « 46 261 » à Auschwitz
Antoine Sué : né en 1902 à Anor (Nord) ; domicilié à Hirson (Aisne) ; ajusteur SNCF ; Cgt, communiste ; arrêté le 5 septembre 1941 ; interné à Ecrouves, Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il meurt le 4 novembre 1942.
Antoine, Jean, Baptiste Sué est né le 17 février 1902 à Anor (Nord). Il habite au 125, boulevard de Metz, cité des Champs-Élysées à Hirson (Aisne), au moment de son arrestation.
Il est le fils d’Antoinette Baudin, 20 ans, couturière et d’Antoine Sué, 27 ans, verrier à Anor, son époux. Son père est l’aîné d’une fratrie de huit enfants. La famille Sué habite à sa naissance au 10, rue des Marais à Anor. La famille habite ensuite en 1905 à Cuffies, en 1906 à Hirson chez le grand-père Sué, verrier, dans la cité du quartier de la Verrerie, à Hirson, une des maisons qui abritent les 220 ouvriers de la verrerie et leurs familles. En 1914, alors que son père a été détaché aux Islètes à Verdun, ils habitent toujours au quartier de la verrerie à Hirson, mais au n° 49. Après guerre, en 1919, la famille Sué demeure au n° 65, puis en 1920 au n° 5, de la rue de la verrerie, devenue rue de Verdun.
Antoine Sué épouse Marthe, Charlotte, Jeanne Desmasures, 19 ans, le 29 octobre 1921. Elle est ouvrière en postiches, née le 23 janvier 1902 à Hirson.Le couple aura un enfant Pierre né le 11 octobre 1921 (il a 20 ans au moment de l’arrestation de son père). En 1922, Antoine Sué adhère à la CGT. Il est embauché comme ajusteur à la Compagnie des chemins de fer du Nord en décembre 1923.
En 1924 il adhère au Parti communiste : il devient le secrétaire de la cellule de son quartier.
En 1927-1928, il devient secrétaire de l’Union locale CGTU d’Hirson (il y prend la succession de Pierre Avon, qui est également un des animateurs du Parti communiste en 1930). Il est élu délégué du personnel, délégué au comité du travail, et délégué à la sécurité.
Son épouse Marthe Sué décède le 22 juin 1927 à Hirson.
Le 30 août 1930, à Hirson, Antoine Sué épouse en seconde noces Simone, Jeanne Marchandise, 25 ans. Elle est mère d’un enfant (Jacques Marchandise, né le 16 avril 1927).
À partir de 1936 ils habitent tous les quatre dans un pavillon mitoyen au 125, boulevard de Metz à Hirson, dans la cité cheminote des Champs-Élysées, proche de la gare.
Après le décret du 26 septembre 1939 qui interdit le Parti communiste, il continue de militer au sein du Parti communiste clandestin : «il s’est déclaré communiste jusqu’à son arrestation et être délégué pour la fédération» indique sa fiche d’otage allemande de 1941 (voir le document ci-après.
Antoine Sué est mobilisé dans l’infanterie après la déclaration de guerre de septembre 1939. Antoine Sué est fait prisonnier et emprisonné au Stalag IV C, de Wistritz bei Teplitz-Schönau, (en Bohème, actuellement en Tchéquie) proche de la frontière allemande, à 46 km au sud de Dresde, avec le matricule « 5242 ».
Dès le 14 mai 1940, de Montcornet à Hirson, de Crécy-sur-Serre à Wassigny, les chars allemands bousculent tout sur leur chemin, non sans combats héroïques d’unités françaises, avant de toucher le Vermandois, le Chaunois, les confins du Laonnois et du Soissonnais puis le Sud du département jusqu’au 13 juin. Dès le 15 mai, 150.000 belges et axonais se sont réfugiés en Mayenne. Le 14 juin 1940, l’armée allemande d’occupation entre dans Paris, vidé des deux tiers de sa population. La ville cesse alors d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Les troupes allemandes défilent sur les Champs-Élysées. Le 10 juillet 1940 Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français
Antoine Sué est rapatrié en mai 1941 (soit parce qu’il est cheminot, soit pour raisons médicales). Convoqué à son retour en France par la police française, il est informé qu’il sera tenu responsable de toute diffusion de propagande communiste clandestine à Hirson « il allait vivre alors en otage de la police française, le marché consistait à échanger sa liberté contre le silence des communistes » (Gazette de la Thiérache n° 3861). Plusieurs distributions de tracts et de papillons alertent les autorités.
Antoine Sué est arrêté, le 5 septembre 1941 à midi, à Hirson par la Felgendarmerie de Laon « conformément à l’interdiction de l’ordre du tribunal de la Feldkommandantur 602 concernant la distribution de tracts communistes ».
A la suite de la perquisition effectuée à son domicile « découverte de brochures et une correspondance suspecte ainsi que d’un matériel pouvant être employé à la conception de circulaires et tracts ronéotypés » (Le Maitron, notice de Jean-Pierre Besse).
La Felgendarmerie le remet à un tribunal français à Laon. Il est alors relaxé faute de preuves suffisantes. Il est interné au camp d’Ecrouves, près de Toul (Meurthe-et-Moselle), le 26 décembre sur décision du Préfet de l’Aisne (1), avant son transfert à Compiègne.
Traduction de sa fiche d’otage (in CDJC XLIV – 2 –) «a été remis du tribunal de la Feldkommandantur 602 à un tribunal français pour condamnation. Le procès est encore en cours. Par une disposition du préfet du département de l’Aisne, Sué a été transféré de la prison française de Laon au camp d’internement d’Ecrouves, près de Toul ». Tous les renseignements concernant ses activités politiques depuis son adhésion au PCF en 1924 ont été scrupuleusement recopiés à partir de la fiche des Renseignements généraux français. Il est mentionné qu’il a deux enfants, âgés de 15 et 20 ans. Cette fiche d’otage est l’une des rares que nous ayons pu consulter. Le 25 novembre 1941, faisant suite à la requête de Jean Berthelot, secrétaire d’État aux Transports et aux Communications, le préfet de l’Aisne Jean-François Quénette (1) signe un arrêté prononçant le licenciement d’Antoine Sue de la SNCF en application de la loi du 3 octobre 1941 (il sera réintégré officiellement après la Libération).
Le 26 décembre 1941, le Préfet de l’Aisne, Jean-François Quénette (1) signe un arrêté ordonnant qu’Antoine Sue soit interné
administrativement au camp français d’Écrouves près de Toul. Le 6 janvier, son nom (et ceux de Charles Del-Nero et Marcel Gouillard) figure sur une liste de 6 communistes susceptibles d’être choisis comme otages, avec la mention «ancien communiste». Cette liste qui émane de la préfecture de l’Aisne est transmise aux autorités allemandes (KF 602) le 19 mars 1942 (In document XLIV- 2).
Antoine Sué est remis aux autorités allemandes à leur demande. Celles-ci l’internent au camp allemand de Royallieu à Compiègne (le Frontstalag 122) en vue de sa déportation comme otage. Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Depuis le camp de Compiègne, Antoine Sué est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks, responsables aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le Parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Il est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro matricule « 46 261″. selon la liste par matricules du convoi
établie en 1974 par les historiens polonais du Musée d’Etat d’Auschwitz.
Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a pas été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Aucun des documents sauvés de la destruction ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz, ne nous permet de savoir dans quel camp il est affecté à cette date. Mais il est vraisemblablement resté à Birkenau. En effet, le 25 octobre 1942, malade, il entre à « l’Hôpital » d’Auschwitz : son nom et celui d’un autre « 45 000 »,René Deslandes, est mentionné sur le registre des malades admis au Block 20 de « l’hôpital » du camp avec la mention « K.L. Birkenau / Stube n° 2 ». Lire les témoignages de deux médecins polonais déportés, affectés au Block 20. Le Block 20 à Auschwitz : « L’Hôpital des maladies contagieuses ».
Antoine Sué meurt à Auschwitz le 8 novembre 1942 selon la liste par matricule du convoi du 6 juillet 1942 établie en 1974 par les historiens du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau indiquant généralement la date de décès au camp. Sa fiche d’état civil établie en France à la Libération porte toujours la mention «décédé le 15 octobre 1942 à Auschwitz (Pologne». A la Libération l’état civil français a fixé des dates de décès fictives (le 1er, 15 ou 30, 31 d’un mois estimé) afin de donner accès aux titres et pensions aux familles des déportés).Lire dans le blog Les dates de décès à Auschwitz.
et Lire dans le site : 80 % des « 45 000 » meurent dans les six premiers mois
Son nom a été donné à une rue d’Hirson et à la salle des fêtes, proche du stade des Champs Elysées, en 1949. Le bâtiment, désaffecté pour des raisons de sécurité, est détruit en 2008.
Antoine Sué est également honoré sur le monument aux morts dans le cimetière communal d’Hirson, avec la mention «résistant Déporté».
Son nom a également été honoré lors de l’exposition et conférence à la galerie Gilbert Ardoin à Hirson, en mars 2015, à l’initiative de Michel Briset, de l’Institut CGT d’histoire sociale de l’Aisne et de l’Association
« Mémoire vive » des « 31000 » et « 45000 », à la mémoire des dix-neuf Axonais et de l’Hirsonnais Antoine Sué, tous déportés à Auschwitz-Birkenau. En présence de Fernand Devaux, rescapé (photo © blog de M. Jean-Jacques Thomas, maire de Hirson).
- Note 1 : Le Préfet Quénette, ancien député Républicain Indépendant et Social de Meurthe-et-Moselle, ayant voté les pleins pouvoirs à Pétain, entre dans la Résistance en mai 1942 lorsqu’il est nommé Préfet de Région en Bretagne. Il intègre le réseau Johnny Ker, où il est agent P1. Il fait également partie ensuite des réseaux Andromède et Rafale, dépendants du BRCA de Londres. Il est révoqué par Pétain en janvier 1944 et traqué par la Milice.
Sources
- Fiche d’otage (N° 2 de la liste), photocopie communiquée par le CDJC en 1990 (XLIV-2).
- Registre matricule militaire de son père.
- © Site Site Internet Mémorial-GenWeb
- Notice biographique du Maitron, par Frédéric Stévenot, consultable en ligne.
- © Site http://www.mortsdanslescamps.com/
- Liste (incomplète) par matricule du convoi du 6 juillet 1942 établie en 1974 par les historiens du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau indiquant généralement la date de décès au camp.
- Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, Le Maitron, Claude Pennetier (dir), éditions de l’Atelier, CD-Rom. Tome 41, page 440.
- © Photo d’Antoine Sué, in site MémorialGenweb et in « Mémoire Vive » n° 55 de mai 2014 page 15, lettre de l’association des 45000 et des 31000 d’Auschwitz-Birkenau.
Notice biographique rédigée en janvier 2011, complétée en 2019, 2020, 2023 et 2024 par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : « Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 Paris et de « Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 »« , éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com