Matricule « 45.541 » à Auschwitz
Joseph Filloux : né en 1899 à Villefranche-sur-Cher (Loir-et-Cher), où il habite ; agent des lignes PTT ; sympathisant communiste ; arrêté le 1er mai 1942 avec son fils, comme otage communiste ; interné à Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt le 17 août 1942.
Joseph Filloux est né le 22 mars 1899 à Villefranche-sur-Cher (Loir-et-Cher). Il habite à Villefranche-sur-Cher au moment de son arrestation.
Il est le fils de Françoise, Julienne Beaulande, 31 ans et de François, Ambroise Filloux, 37 ans, vigneron, son époux.
Il a un demi-frère, Mathieu Filloux, qui sera déporté avec lui à Auschwitz. Il est électricien et travaille aux PTT sur les lignes téléphoniques, à Romorantin (comme Marcel Renaud).
Joseph Filloux est employé des PTT et habite à Villefranche-sur-Cher au moment de son Conseil de révision. Son registre matricule militaire nous apprend qu’il mesure 1m 68, a les cheveux châtain, les yeux marrons, le nez proéminent et le visage long. Il possède un niveau d’instruction n° 3 (possède une instruction primaire développée).
Conscrit de la classe 1919, Joseph Filloux est mobilisé par anticipation en 1918, comme tous les jeunes hommes de sa classe depuis la déclaration de guerre. Appelé sous les drapeaux le 15 avril 1918 il est incorporé au 95ème Régiment d’Infanterie où il arrive le lendemain. Il est au Front le 12 septembre 1918. Il est renvoyé dans ses foyers le 21 mars 1921 (certificat de bonne conduite accordé).
Joseph Filloux est « rappelé à l’activité » au 113ème RI le 5 mai 1921 en application de l’article 33 (prolongement de la durée du service militaire pour les classes 1918 et 1919 à la suite des débats au parlement), mais est « renvoyé dans ses foyers » le 30 juin 1921 (Télégramme ministériel). Au cours de cette période de rappel, il a quatre dents cassées par un coup de tête de cheval.
Il est classé soutien de famille par la commission de Menetou du 5 mai au 9 juin 1921.
Joseph Filloux épouse Marthe, Madeleine Maubert le 3 octobre 1921 à Villefranche-sur-Cher.
Le couple a un garçon, André, qui naît le 22 novembre 1924.
D’après les informations que nous a communiquée la Mairie, Joseph Filloux avait une carte de sympathisant du Parti communiste (Il s’agit effectivement une pratique qui perdurera après la Libération).
Réserviste, il est classé par l’armée « affecté spécial » comme agent des lignes télégraphiques militaires (5ème région). Il est classé d’office dans la subdivision militaire d’Orléans le 9 mars 1939. Et le 22 mai 1939 il est affecté comme patrouilleur mobile au régiment de Transmissions d’Orléans.
Le 14 juin 1940, la Wehrmacht défile à Paris, sur les Champs-Élysées. La ville cesse alors d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. la moitié nord de la France et toute la façade ouest sont occupées. Les 15 et 16 juin 1940, bombardements allemands sur Montrichard, Blois et Vendôme. Le 22 juin, l’armistice est signé : la moitié nord de la France et toute la façade ouest sont occupées. Le pays est coupé en deux par la « ligne de démarcation » qui sépare la zone occupée et celle administrée par Vichy. Le 1er juillet, elle passe par le département du Loir-et-Cher en suivant le cours du Cher, de Châtres jusqu’à Chissay (à l’exception de Selles-sur-Cher qui demeure en zone occupée). Le 10 juillet 1940 Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
Joseph Filloux est arrêté avec son fils André à Villefranche-sur-Cher le 1er mai 1942, dans la rafle des 1er et 2 mai 1942 qui concerne 20 communistes ou présumés tels (dont certains avaient déjà été arrêtés en 1941), rafle opérée en représailles à l’agression contre deux gendarmes allemands à Romorantin le 30 avril 1942 (1). L’un des gendarmes est tué, l’autre blessé. Parmi les militants arrêtés, 5 seront fusillés le 5 mai 1942. Treize d’entre eux seront déportés à Auschwitz, comme les trois Filloux (André Filloux, son père Joseph Filloux et son oncle Mathieu Filloux). Il s’agit de Victor Budin, Gustave Crochet, Octave Hervaux, Camille Impérial, Edouard Roguet, Jean Matrisciano, Albert Robert, Isidore Petat, Daniel Pesson, et Céleste Serreau.
Sur les circonstances de l’arrestation de Joseph Filloux, de son fils et de son frère, ainsi que deux autres franvillois, la mairie de Villefranche-sur-Cher m’a communiqué les informations suivantes (mais la Loi d’amnistie préservant l’anonymat des personnes incriminées dans les actes de collaboration, je ne les mentionnerais que par XX).
« Le maire Emile Leroy avait été suspendu de ses fonctions par la délégation spéciale aux ordres de Vichy… Me XX, notaire, faisait fonction de responsable en tant que sympathisant allemand avec MM XX et XX. Me XX devait désigner 3 personnes de tendances « communistes » pour être déportées suite au meurtre d’un gendarme Allemand à Romorantin. En fait 5 personnes furent prises en otages. Me XX fut jugé après la guerre pour collaboration, à Blois ».
Joseph Filloux est remis aux autorités allemandes à leur demande. Celles-ci l’internent au camp de Royallieu à Compiègne (le Frontstalag 122), le 5 ou le 9 mai 1942, en vue de sa déportation comme otage.
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Depuis le camp de Compiègne, Joseph Filloux et son fils sont déportés à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf l’article du site : Les wagons de la Déportation
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le blog : Le KL Aushwitz-Birkenau.
Il est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro « 45541 ». Sa photo d’immatriculation à Auschwitz a été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Henri Peiffer est le témoin du sacrifice de Joseph Filloux : son fils André déporté avec lui, n’a pas 18 ans quand il contracte la
dysenterie. « Le Pfleger du Block 12 à Birkenau, Sentkellet, ordonna le transfert d’André à l’Isolerstation (Block des contagieux).
Le père ne voulut pas quitter ou abandonner son enfant. Il est parti avec lui, malgré nos tentatives pour l’en dissuader. Le père était de petite taille, 1m 55, le fils 1,70 m environ, le fait est resté dans ma mémoire. Ils ont été exterminés tous les deux ».
Les archives d’Auschwitz ont conservé la date des décès de Joseph et d’André Filloux, morts le 17 août et le 4 décembre 1942 (in « Mille otages » p. 253). Il est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro « 45541 ».
Joseph Filloux est mort avant son fils, le 17 août (date inscrite dans les registres du camp et transcrite à l’état civil de la municipalité d’Auschwitz ; in Death Books from Auschwitz, Tome 2, page 287). Cette date a été reprise par l’arrêté ministériel du 27 février 2009 relatif à l’apposition de la mention «Mort en déportation» sur les actes de décès et paru au Journal Officiel du 18 avril 2009.
Le 30 novembre 1943, Fernand de Brinon, « délégué général du gouvernement français dans les territoires occupés » fait répondre aux demandes de Marthe Filloux que « Joseph Filloux ne fait pas l’objet de libération »
Le 13 janvier 1972, Marthe Filloux écrivait au « Patriote-Résistant » en communiquant les numéros matricules de son fils, de son mari et de son beau-frère : «Je viens de lire le journal et comme je suis malheureusement en mesure de vous donner des numéros du convoi du 6 juillet 1942 pour Auschwitz, puisque mon mari, mon fils et mon beau-frère ne sont pas revenus, voici les noms (…) ».
Joseph Filloux a été déclaré « Mort pour la France« . Le titre de « Déporté politique » lui a été attribué.
Une rue de Villefranche-sur-Cher porte son nom et celui de son fils André.
Une autre rue celui de son frère Emile. Les noms d’André Filloux, Joseph Filloux, Mathieu Filloux, Marcel Geré et Marcel Renaud sont gravés sur le monument de Villefranche-sur-Cher, à la mémoire des « victimes civiles de la guerre ».
- Note 1 : Le président de l’ADIRP du Loir et Cher, Georges Larcade, a communiqué en 1977 à la commission d’histoire de la FNDIRP le résultat de son enquête auprès des familles de résistants et déportés à propos des causes de l’arrestation des Loir et Chériens le 1er mai 1942. Il me l’a confirmé par lettre en 1990. « Dans la nuit du 31 avril au 1er mai 1942, de jeunes FTP distribuaient des tracts et collaient des affiches à Romorantin lorsqu’ils furent surpris par deux Feldgendarmen. Un jeune, chargé de la protection des afficheurs, ouvrit le feu. Un Feldgendarme a été tué, l’autre grièvement blessé. Dès le lendemain, une vague de répression s’abattit dans la circonscription de la Kreiskommandantur de Romorantin. Cinq jeunes communistes du Loir et Cher, déjà arrêtés soit par les Allemands, soit par la police françaises, certains même incarcérés depuis plusieurs mois, furent fusillés le 5 mai. Une cinquantaine d’hommes soupçonnés d’être communistes furent arrêtés les 1er et 2 mai. Certains ont été relâchés par la suite, les autres, après avoir été transférés à Compiègne, ont fait partie (avec cinq autres Loir et Chériens arrêtés le 22 juin 1941 et déjà à Compiègne depuis plusieurs mois), du fameux convoi du 6 juillet 1942 pour Auschwitz». Dans « Combattants de la Liberté – La Résistance dans le Cher » Marcel Cherrier relatant le 1er Mai 1942 évoque cet évènement « le hasard veut qu’au même moment, à Romorantin, une équipe de jeunes conduite par Max Tenon exécute deux Feldgendarmen » et il cite le nom des huit militants fusillés parmi les quarante otages arrêtés dans le Cher à cette occasion (c’est la même région militaire, les représailles sont décidées par les Allemands).
Sources
- Questionnaire biographique (contribution à l’histoire de la déportation du convoi du 6 juillet 1942), envoyé aux mairies, associations et familles au début de mes recherches, en 1987, rempli par la mairie de Villefranche-sur-Cher (juillet 1990).
- « La Résistance dans le Loir-et-Cher « , Op. édité par l’ANACR en 1964.
- Liste établie en 1977 par le président de l’ADIRP du Loir et Cher, Georges Larcade, et communiquée à la commission d’histoire de la FNDIRP.
- Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
- Liste (incomplète) par matricule du convoi du 6 juillet 1942 établie en 1974 par les historiens du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau indiquant généralement la date de décès au camp (Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), Ministère de la Défense, Caen).
- Témoignage d’Henri Peiffer.
- Site « Les plaques commémoratives, sources de mémoire ». © Photo Jean Jacques Guilloteau.
- © Site Site Internet Mémorial-GenWeb
- © Site www.mortsdanslescamps.com
- Registres matricules militaires du Loir-et-Cher en ligne.
- Photo de la plaque de rue à Villefranche © Pierre Cardon
Notice biographique rédigée en février 2011, complétée en 2015, 2017 et 2021, par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : « Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 Paris et de « Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 » », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com