Matricule « 45 521″ à Auschwitz

Maurice Elet © Raymond Elet
Le 8 juillet 1942 à Auschwitz

 

Maurice Elet : né en 1921 à Ezy-sur-Eure (Eure) où il habite ; plombier couvreur ; militant Cgt ; communiste ; arrêté le 23 octobre 1941 ; interné à Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt le 24 septembre 1942.

Maurice, Georges, Léon Elet est né le 15 janvier 1921 rue Grande à Ezy-sur-Eure.
Il habite 8, rue Raspail, à Ezy-sur-Eure au moment de son arrestation (cette rue porte désormais le nom de Clovis Vigny (un des « 31 » de l’Eure), artisan charpentier qui y habitait en 1936 : il est fusillé au Mont Valérien le 30 mars 1944).
Maurice Elet est le fils d’Augustine Baron, peignière (1), née le 11 juin 1892 à Ezy et de Fernand, Jules Elet, ponceur, son époux, né le 28 juillet  1891 à Boncourt (Eure). Le mariage de ses parents a lieu le 7 juin 1919 à Ezy, alors que son père, domicilié à Achères (Seine et Oise) est encore sous les drapeaux au 28è RI.
Il a une sœur cadette, Paulette (2), Fleurida, Alice, qui naît le 21 décembre 1923 à Ezy.
En 1931, la famille Elet habite au 82, rue Grande à Ezy. Le père est chauffeur chez Desmousseaux. Devenus orphelins de père (il a été intoxiqué par les gaz de combat pendant la guerre de 1914-1918), Maurice Elet et sa sœur sont « adoptés par la Nation » (le 30 juin 1934 pour Maurice).
Maurice Elet est plombier-couvreur dans l’entreprise de Joseph Angst, rue Pasteur à Ezy.
Son fils pense qu’il était adhérent à la CGT.
Il est membre des Jeunesses communistes, puis est élu secrétaire de la section locale du Parti communiste, et connu comme tel par les services de police.

Le 8 de l’ancienne rue Raspail une plaque y honore son nom

Le 10 février 1940 à Sorel-Moussel (Eure-et-Loir) il épouse Denise, Rosine Lepin, ouvrière en peignes (1). Elle est née le 14 septembre 1920 à Sorel-Moussel. Le couple a un fils, Raymond (né le 13 août 1940), âgé de 13 mois au moment de l’arrestation de son père. Ils habitent au 8, rue Raspail.

Du 5 au 10 juin 1940, les grandes villes de l’Eure sont bombardées par la Luftwaffe. Le 11 juin, les troupes de la Wehrmacht entrent dans Évreux. Le 15 juin tout le département de l’Eure est occupé. Le 14 juin 1940, l’armée allemande d’occupation entre dans Paris. La ville cesse alors d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. L’armistice est signé le 22 juin.
Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).

Après l’armistice Maurice Elet a des activités au sein de la Résistance, et il cache des documents chez sa mère Augustine Elet (qui décédera de chagrin en 1945 selon le témoignage familial relaté par son petit-fils).
Son épouse est apprentie ponceuse à la fabrique de peignes après son accouchement.

Maurice Elet est arrêté par des Feldgendarmes le 23 octobre 1941, alors qu’il réparait une gouttière sur le toit de l’école des filles. A sa femme, qui assiste à l’arrestation, les Feldgendarmen disent qu’il s’agit d’un simple interrogatoire. Maurice Elet dira à sa femme «ne parle pas de mes chaussures ! Ma mère n’a jamais compris pourquoi. Cachaient-elles des documents ?» écrit son fils.
La famille a toujours pensé qu’il avait été dénoncé par un employé SNCF qui faisait du marché noir et avec lequel il avait été en conflit.
Toutefois, militant communiste connu avant guerre, son arrestation s’inscrit tout à fait dans la rafle de militants communistes qui concerne six département de la région militaire A (entre les 17 et 25 octobre 1941, plus d’une centaine, dont 66 d’entre eux seront déportés à Auschwitz), rafle qui fait suite à un ordre du Commandant de la région militaire A, daté du 14 octobre 1941, visant à l’arrestation de militants communistes. Cet ordre est mentionné sur plusieurs fiches d’otages de «45 000»).
Un des militants de l’Eure, Jean Even, arrêté le même jour que lui figure d’ailleurs sur une de ces listes d’otages (liste du 23 octobre 1941, CDJC
XLIII-72).
Maurice Elet est écroué à la prison d’Evreux. Son épouse enverra 10 colis à la prison d’Evreux (le premier à revenir pour «non distribution» lui sera retourné le 6 juillet 1942 !).
Car Maurice Elet a été remis aux autorités allemandes à leur demande et interné dès le 25 octobre 1941 au camp allemand de Royallieu à Compiègne (le Frontstalag 122) où il reçoit le matricule n° « 2000 »  (Jean Even et Roger Godeau de l’Eure, arrêtés le 23 octobre arrivent également le 25 octobre à Compiègne et portent les matricules 2005 et 2004).
A Compiègne, il est affecté au bâtiment A2, chambre 12, puis au bâtiment A6, chambre 8.
Denise Elet, son épouse, reçoit une aide de la Croix-Rouge pour la période du 11 novembre 1941 au 18 janvier 1942 (immatriculation Croix Rouge de Maurice Elet n° 30.754).
Sa mère et sa sœur font des démarches écrites pour essayer d’obtenir sa libération : auprès du Préfet, de De Brinon, de Pétain et de Laval.
Le nom de Maurice Elet figure sur la liste de recensement (datée de décembre 1941) des jeunes communistes du camp de Compiègne nés entre 1912 et 1922 « aptes à être déportés à l’Est », en application de l’avis du 14 décembre 1941 du commandant militaire en France, Otto von Stülpnagel (archives du CDJC IV 198). Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».

Depuis le camp de Compiègne, Maurice Elet est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks, responsables aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le Parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Il est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro matricule « 45 521 ».

Sa photo d’immatriculation (3) à Auschwitz a été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.

Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession.
Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.

D’après les « Death books from Auschwitz (tome 2, page 263), Maurice Elet est mort le 18 septembre 1942. Comme cent quarante huit «45.000» ont été déclarés décédés à l’état civil d’Auschwitz les 18 et 19 septembre et que la mort d’un nombre important d’autres détenus du camp est enregistrée à ces mêmes dates, on peut penser qu’ils sont morts gazés à la suite d’une vaste « sélection » interne des «inaptes au travail», opérée sans doute dans les blocks d’infirmerie.   

« Certificat » de décès du médecin SS © DAVCC Caen

Maurice Elet figure sur les liste de «décédés» à l’infirmerie d’Auschwitz, le 18 septembre 1942.
Lire dans le site : 80 % des « 45 000 » meurent dans les six premiers mois

Le « motif » du décès indiqué tout au bas de la fiche ci-contre est  « insuffisance du myocarde ». On sait que les médecins SS du camp signaient des piles de certificats de décès « en blanc », avec des causes naturelles.
Lire dans le site : Des causes de décès fictives

Son acte de décès en France indique « décédé le 30 novembre 1942 » : dans les années d’après-guerre, l’état civil français a fixé des dates de décès fictives (le 1er, 15 ou 30, 31 d’un mois estimé) à partir des témoignages de rescapés, afin de donner accès aux titres et pensions aux familles des déportés.
Maurice Elet a été déclaré « Mort pour la France » (12 juin 1946).
Selon son fils, un rescapé du convoi aurait témoigné auprès de sa grand-mère maternelle qu’il l’avait vu entrer à l’infirmerie, avec d’autres, atteint de dysenterie.
Le titre de «Déporté politique» lui a été attribué.

Selon les dernières volontés de sa mère, tous les documents et photos de famille ont été déposés dans sa tombe.

Son nom a été donné l’ancienne « rue Grande » d’Ezy, perpendiculaire à la rue Clovis Vigny, et une plaque a été apposée sur sa maison vers 1886 (information Raymond Elet).
Son épouse est décédée le 24 mai 2012, à Châteauneuf-en-Thymerais (Eure-et-Loir). 

  • Note 1 : Ezy est la capitale mondiale du peigne au début du siècle. Il y avait à Ezy-sur-Eure une manufacture de peignes et parures, devenue depuis un « Musée de la parure et du peigne».
  • Note 2 : Elle est mariée à Marcel Saintemême, prisonnier de guerre qui est déporté au camp disciplinaire de Rawa-Ruska, le camp 325, situé actuellement en Ukraine, où les nazis ont déporté les prisonniers de guerre considérés comme dangereux, en premier lieu les PG soviétiques. Le premier convoi de PG français y est déporté le 12 avril 1942.
  • Note 3 : 522 photos d’immatriculation des « 45 000 » à Auschwitz ont été retrouvées parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation du camp d’Auschwitz. A la Libération elles ont été conservées dans les archives du musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau. Des tirages de ces photos ont été remis par Kazimierz Smolen (ancien détenu dans les bureaux du camp d’Auschwitz, puis devenu après-guerre directeur du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau) à André Montagne, alors vice-président de l’Amicale d’Auschwitz, qui me les a confiés.

Sources 

  • Questionnaire biographique (contribution à l’histoire de la déportation du convoi du 6 juillet 1942), envoyé aux mairies, associations et familles au début de mes recherches, en 1987, rempli par son fils, Raymond Elet (14 juillet 1992), qui a effectué plusieurs pèlerinages à Auschwitz et témoigné dans la presse locale..
  • Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
  • Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen. Fiche individuelle consultée en mars 1992).
  • Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (Archives de Caen du ministère de la Défense). « Liste communiquée par M. Van de Laar, mission néerlandaise de Recherche à Paris le 29.6.1948« , établie à partir des déclarations de décès du camp d’Auschwitz. Liste V (N°31378), Liste S (n°99).
  • M. Jean Gatelais, Maire d’Ezy (24 juin 1992) communication du certificat de naissance portant mention marginale. Acte de décès (24 mai 1946).
  • La photo d’identité d’avant-guerre de Maurice Elet a été prêtée par son fils Raymond Elet, qui la gardait dans son portefeuille.
  • © Sitewww.mortsdanslescamps.com
  • © Site Internet Mémorial-GenWeb
  • © Denis Martin, président de l’Association de Recherche pour la Mémoire de la Résistance en Eure-et-Loir. Courriel de novembre 2011 à propos de Clovis Vigny

Notice biographique rédigée en avril 2011 (complétée en 2021 et 2024) par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : « Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 », Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com 

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