Matricule « 46 250 » à Auschwitz

Maurice Marchal © Marcel Marchal
Maurice Marchal : né en 1921 à Sainte-Marguerite par Saint-Dié-des-Vosges (Vosges) ; il y est domicilié ; typographe ; responsable cantonal des Jeunesses communistes ; arrêté le 26 février 1941, condamné à un an de prison ; prison Charles III de Nancy, puis interné aux camps d'Ecrouves et de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il meurt le 4 septembre 1942

Maurice Marchal est né le 18 février 1921 à Sainte-Marguerite près de Saint-Dié-des-Vosges (Vosges). il habite au Pré Navet à Sainte-Marguerite (par Saint-Dié), au moment de son arrestation.

Il est le fils d’Anna Kellever, 19 ans, tréfileuse et de Maurice Marchal, 25 ans, électricien à la Compagnie Lorraine, son époux.
Il a un frère, Marcel, né en 1924 à Sainte-Marguerite et une sœur, Irénée, née en 1932 à Sainte-Marguerite. Leur père est membre du Parti communiste.
Maurice Marchal est célibataire (il a une amie surnommée Loulou) et travaille comme typographe, après avoir été apprenti en 1936 chez Cuny. Il est surnommé « Bibi ».
En 1936, les cinq membres de la famille Marchal habitent au 116, Pré Navet à Sainte-Marguerite.
Secrétaire des Jeunesses communistes de Saint-Dié en 1936, Maurice Marchal devient, en 1937, secrétaire cantonal des Jeunesses communistes, et adhère au Parti communiste la même année.

Soldats allemands à Saint-Dié

La « drôle de guerre » prend fin le 10 mai 1940 avec l’attaque allemande aux Pays-Bas, au Luxembourg et en Belgique. Après la percée allemande à Sedan, les troupes allemandes envahissent la Lorraine. Au mois de juin 1940, le génie fait sauter les ponts d’Épinal défendus par les troupes Françaises en retraite. Le 11 juin 1940, les Allemands bombardent le viaduc de Bertraménil. Saint-Dié est occupé le 20 juin. Le 22 juin 1940, l’armistice est signé. Le département des Vosges se trouve désormais dans la « zone interdite » allemande qui s’étend de la mer du Nord à la frontière suisse, sans qu’aucune mention spécifique n’en ait été faite dans les conventions d’armistice.
Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).

Pendant l’Occupation, Maurice Marchal est membre d’un groupe de l’O.S. (Organisation Spéciale du Parti communiste clandestin), ainsi que son père, sa mère, son oncle et son frère Marcel (1). Son père et son frère seront arrêtés le 12 juin 1942 et déportés comme « NN » à Hinzert (Marcel récupérait des armes).

Maurice Marchal fabrique des tracts anti-allemands et favorables à De Gaulle (« imprimés sur du papier à rayure qui était dans le grenier, et trouvés dans son vestiaire » selon le témoignage de Roger Jacquemin (âgé de 20 ans, condamné à 3 mois lors du même procès le 15 mai 1941.
Son témoignage est recueilli après guerre par son frère). « Il utilisait sa propre machine qu’il déplaçait souvent pour ne pas se faire repérer. Il en avait une deuxième cachée sous l’escalier » (Marcel Marchal).
Cette machine et ses tracts ont été confiés au Musée de Saint-Dié.

Jugement en appel 13 juin 1941
L’Echo de Nancy  27 juin 1941

Le 26 février 1941, Maurice Marchal est arrêté à Saint Dié pour reconstitution du Parti communiste, en même temps que Marius Zanzi.
Il est jugé avec 23 autres inculpés (et 2 autres en fuite) à Saint-Dié le 15 mai 1941 pour « reconstitution de ligue dissoute« .
Sept prévenus sont relaxés, dont Emile Marchal (qui est peut-être son oncle).

Maurice Marchal est condamné en première instance à 1 an de prison et 100 F d’amende.
Il interjette le jugement en appel.
Le jugement est confirmé : Maurice Marchal est condamné le 13 juin 1941 à un an de prison et 100 F d’amende (comme Raymond Ruffet (2) et Marius Zanzi, qui sera déporté avec lui à Auschwitz).
Henri Noguères, dans son livre Histoire de la Résistance en France, relate ces condamnations et mentionne Maurice Marchal (note « fp »).

L’Echo de Nancy du 27 juin 1941

Maurice Marchal est incarcéré à la prison Charles III de Nancy, puis au camp d’Ecrouves (Meurthe-et-Moselle), près de Toul, d’où Il écrit à sa famille les 1er et 20 mars 1942.

Le camp d’Ecrouves, in Rossolini

Un plan d’évasion est préparé. « Il espérait s’évader du camp d’Ecrouves, avec son oncle (et un autre interné). Les fausses cartes d’identité étaient faites, mais il fallait tirer sur un gendarme, ce qui n’a pas été fait » (Marcel Marchal). Ci-après le récit d’Alfred Rossolini sur cette tentative « La veille de Pâques 1942, avec les Déodatiens (habitants de Saint-Dié) se trouvant en Meurthe-et-Moselle et d’autres résistants de cette région, des F.T.P. de l’Ormont, avec Clauvelin et Klufts notamment, se livraient à une tentative de libération des prisonniers du camp d’Écrouves. Certains de ceux- ci dont Jean Gravelin, Maurice Marchal et Marius Zanzi de Saint-Dié, ainsi que Paul Durand et Joseph Dutreux de Plainfaing, étaient prévenus. Mais I’équipe chargée d’ouvrir une brèche dans la clôture du camp devait être repérée par les gardiens armés de fusils de chasse. L’un d’eux ayant ouvert le feu l’alerte générale fut déclenchée. Les résistants parvinrent à se retirer sans pertes mais la tentative avait échoué. Cet échec était d’autant plus regrettable que de nombreux prisonniers de ce camp étaient destinés à la déportation ».

Paul Durand, qui par la suite réussira à s’évader d’Écrouves, a noté au sujet de cette tentative de libération « Prévenus que les camarades devaient nous libérer nous sommes tous prêts – sauf les mouchards qui ne savent rien – et nous nous couchons tout habillé, les couvertures remontées jusqu’au cou afin que les gardiens ne se doutent de rien. Tout à coup, nous entendons un coup de feu. L’alerte est aussitôt donnée et nous sommes étroitement surveillés par une partie des gardiens. Dans une chambrée les détenus sont repérés habillés sous leurs couvertures ; ils seront tous mis en cellule. Il y eut perquisition générale et chacun fut fouillé. Les Allemands vinrent par la suite, Gestapo en tête, pour mener leur enquête. Les fils de fer barbelés avaient été coupés sur une largeur de deux mètres et les fils du téléphone avaient été rompus. Il y eut des sanctions disciplinaires ».  In « Résistance, engagement d’une cité ouvrière » de Alfred Rossolini et Extrait du livre « Résistance et collaboration » de André Sester dÉpinal.

Lettre du 2 juin 1942

Maurice Marchal est transféré à la demande des autorités allemandes au camp allemand de Royallieu à Compiègne (le Frontstalag 122), en mars 1942, toujours avec Marius Zanzi. 

Il reçoit le matricule « 3845 » et il est affecté au Bâtiment 1A. 
Son frère a conservé un des cahiers de Maurice Marchal à Compiègne, dans lequel il prenait des notes pendant les cours dispensés par le comité des loisirs du camp (voir dans le site : La solidarité au camp allemand de Compiègne) : littérature (« Georges Cogniot et Yves Jahan de l’Université » (13 avril 1942), Psychologie (cours d’Yves Jahan), Français (cours de Georges Cogniot), Philosophie et Russe.

Maurice Marchal devait faire partie de la deuxième vague d’évasion par le tunnel creusé à Compiègne (page 101, in «Triangles rouges à Auschwitz»).

2 juin 1942. Annonce codée  de l’évasion projetée

Dans une lettre datée du 2 juin 1942, il l’annonce de façon voilée à sa famille : « Loulou m’a écrit que son père était décédé, et que son frère Bibi allait venir en vacances dans une huitaine. Elle en est très heureuse« .  <

Pour la famille c’est limpide : Loulou est sa petite amie, dont le père est effectivement décédé.
Le « frère » Bibi, est en fait son propre surnom « qui viendra en vacances » signifie évasion.
Hélas le tunnel a été découvert après la première évasion de 19 responsables communistes (nuit du 21 au 22 juin) dont Georges Cogniot, André Tollet, Charles Désirat, Georges Thorez, et le camp bombardé en représailles (page 101, in «Triangles rouges à Auschwitz»).
Lire dans le site : 22 juin 1942 : évasion de 19 internés

Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».

Depuis le camp de Compiègne, Maurice Marchal est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942.
Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Il est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro « 46 250 ».
Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a pas été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.

Maurice Marchal meurt le 4 septembre 1942 d’après le registre d’état civil de la municipalité d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz, Tome 3 page 776).
Son acte de décès à Saint-Dié porte la date du 21 janvier 1943 (dans les années d’après-guerre, l’état civil français a fixé des dates de décès fictives à partir du témoignage de rescapés, afin de donner accès aux titres et pensions aux familles des déportés.
Marius Zanzi a dit à sa famille qu’il était mort du typhus en janvier 1943. Cette date a d’ailleurs été reprise («décédé en janvier 1943 à Auschwitz (Pologne») par l’arrêté du 24 juillet 1991 relatif à l’apposition de la mention «Mort en déportation» sur les actes de décès (J.O. du 17 septembre 1991.

Lettre de Marcel Marchal avec la photo de son frère

Maurice Marchal a été déclaré « Mort pour la France ». La Croix de guerre et la Médaille militaire lui sont décernées à titre posthume, le 3 juin 1960. Il est homologué (GR 16 P 391665) au titre de la Résistance intérieure française (RIF) et DIR (Déportés et Internés Résistants) comme appartenant à l’un des mouvements de Résistance.

Une rue de Sainte-Marguerite porte son nom, qui est honoré sur le monument aux morts de la commune, place des Anciens Combattants.

  • Note 1Marcel Marchal, son cadet est né le 28 mai 1924 à Saint-Dié.
    Il est déporté « NN » (Nuit et Brouillard) – matricule 5027 – avec 28 français – dont son père Maurice Marchal – et un belge, au SS-Sonderlager Hinzert le 28 août 1942 depuis les prisons parisiennes. Transféré à puis à Wittlich, près de Cologne (lieu où les « NN » venant d‘Hinzert sont jugés au tribunal de Cologne). Il est alors transféré à Breslau (Silésie) où siège le tribunal chargé des affaires « NN » venant de France. Transféré à Schweidnitz, près de Breslau (prison d’application de peine pour les « NN » jugés à Breslau). En février 1945, la prison est évacuée sur la prison d’Hirschberg. D’où il est libéré le 8 mai 1945.
  • Maurice Marchal père est né le 14 novembre 1896 (incertain) à La Petite Fosse (Vosges). Il est déporté « NN » (Nuit et Brouillard) – matricule 5028 –  avec 28 français – dont son fils Marcel Marchal – et un belge au SS-Sonderlager Hinzert le 28 août 1942 depuis les prisons parisiennes. Transféré à puis à Wittlich, près de Cologne (lieu où les « NN » venant d’Hinzert sont jugés au tribunal de Cologne). Il est alors transféré à Breslau (Silésie) où siège le tribunal chargé des affaires « NN » venant de France. Transféré à Schweidnitz, près de Breslau (prison d’application de peine pour les « NN » jugés à Breslau). En février 1945, la prison est évacuée sur la prison d’Hirschberg. D’où il est libéré le 8 mai 1945, comme son fils.
  • Banderole de l’UJRF de Saint-Dié, cercle Raymond Ruffet

    Note 2 : Raymond Ruffet est fusillé à La Malpierre. A la libération, le cercle de l’UJRF (Union de la Jeunesses Républicaine de France) de Saint Dié porte son nom. Sur la photo, à l’extrême droite, Jean Gravelin, arrêté en 1942 et emprisonné à Ecrouves (envoi de Michel Savoy, photo prise par son père).

Sources

  • Questionnaire biographique (contribution à l’histoire de la déportation du convoi du 6 juillet 1942), envoyé aux mairies, associations et familles au début de mes recherches, en 1987, rempli par son frère Marcel (4 octobre 1993) que j’ai rencontré rue Leroux au siège de la FNDIRP.
  • Deux brèves lettres de son frère Marcel à Roger Arnould (3 et 9 février 1972).
  • Courrier de l’ADIRP de Saint Dié, M. Thalman (15 novembre 1991)
  • Lettre d’André Sesters, âgé lui aussi de 20 ans lors du même procès, qui subit une peine de 18 mois de prison, commuée en un an après l’interjection de jugement, comme Maurice Marchal (FNDIRP d’Epinal, avril 1973).
  • Courrier de l’abbé de La Martinière, fondateur du Musée de Besançon (1er juin 1993) à propos de Marcel Marchal, déporté « NN » comme lui.
  • Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
  • Fichier national de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen. Fiche individuelle consultée en octobre 1993.
  • Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, Le Maitron, Claude Pennetier (dir), éditions de l’Atelier, tome 35, page 278, et CD-Rom édition 1997.
  • Liste (incomplète) par matricule du convoi du 6 juillet 1942 établie en 1974 par les historiens du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau (Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (Ministère de la Défense, Caen) indiquant généralement la date de décès au camp.
  • © Site Mémorial an Museum Auschwitz-Birkenau.
  • © Site Internet Mémorial-GenWeb
  • © Sitewww.mortsdanslescamps.com
  • Photo de Maurice Marchal, envoi de son frère Marcel (en 1994).

Notice biographique rédigée à l’occasion de l’exposition organisée en octobre 2001 par l’AFMD de la Vienne à Châtellerault, complétée en 2011 et 2022 par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : «Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942», Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce siteg) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *