Militants communistes et résistants dans leur très grande majorité, la plupart de ceux qui allaient devenir les "45 000" à Auschwitz vont maintenir durant leurs internements et Déportation la combativité qui les animait et acquérir une expérience des luttes en milieu carcéral. Ils connaissent, en effet, de longs mois d'enfermement avant leur départ pour Auschwitz : un "45.000" sur six avait été arrêté avant novembre 1940, un sur deux avant août 1941 et trois sur quatre avant janvier 1942.

Le camp est divisé en plusieurs secteurs, entourés chacun de barbelés.
Jusqu’en décembre 1941, on y distingue trois « sous-camps » : celui des « politiques », dont le noyau initial est constitué par les communistes arrêtés au moment du déclenchement de l’attaque allemande contre l’URSS ; le camp russe peuplé par des Soviétiques et des Russes « blancs » et le camp des Anglais dont les effectifs sont renforcés avec l’arrivée, en décembre 1941, de citoyens des Etats-Unis. Dans la nuit du 12 au 13 décembre 1941, l’internement de 1000 « otages juifs » de la Région parisienne amène la création du « camp juif ».
Dans ce camp allemand de détention, l’organisation communiste clandestine qui se met en place et à laquelle participent de nombreux futurs « 45000 », renforce un état d’esprit combatif et solidaire que connaissaient nombre d’entre eux, ayant eu une expérience carcérale en 1939 et 1940.

Les communistes arrêtés dans l’opération « Aktion Theoderich » sont transférés à Compiègne à partir du 27 juin 1941. Parmi eux se trouvent de nombreux futurs « 45000 ». A la fin août 1941, ils sont plus de 200 ; 330 à la fin octobre ; et plus de 600 au 1er mai 1942. A la mi-juin 1942, la totalité des hommes qui vont constituer le convoi du 6 juillet 1942 est rassemblée à Compiègne.

Administré par la Wehrmacht, le camp de police de Compiègne fonctionne selon un système de gestion où les internés assument certains postes de responsabilité. De cette manière, les officiers allemands ont, en face d’eux, des interlocuteurs qui se chargent de l’encadrement de leurs compagnons, de l’organisation et de la bonne exécution des corvées. A la tête de ce système hiérarchisé se trouve un doyen chef de camp (Lagerältester) secondé par des chefs de bâtiment, des chefs de chambrée, des chefs de services et même un service d’ordre, sorte de police intérieure du camp.

Le Comité du camp des « politiques »

Michel Rolnikas
Georges Cogniot

Dès leur arrivée à Compiègne, les communistes mettent en place leur organisation en triangles, dont la direction est d’abord assurée par Georges Cogniot, agrégé de l’Université, ancien rédacteur au journal l’Humanité, et l’avocat Michel Rolnikas. Affaibli par la maladie, Georges Cogniot s’entend avec Michel Rolnikas pour que celui-ci dirige « le travail politique » et devienne Lagerältester. Mais le 19 septembre 1941, Michel Rolnikas est emmené pour être fusillé comme otage au Mont-Valérien, en représailles d’un attentat commis le 6 septembre, boulevard de Strasbourg. Lire dans le site : Trois avocats des « 45000 » fusillés à Compiègne

Georges Cogniot lui succède alors jusqu’au 10 juin 1942 et comme son prédécesseur, couvre de ses activités de service la direction du travail politique clandestin. Son premier soin est de désigner des hommes sûrs pour occuper tous les postes de responsabilité.

Georges Varenne
Roger Poujol, in l’Avenir du Havre, nos Martyrs, 1946

Le triangle de direction est composé de Georges Cogniot et de deux instituteurs, Roger Poujol de Petit-Couronne, près de Rouen (déporté à Buchenwald en 1943) et de Georges Varenne.

D’autres futurs « 45000 » participent au groupe de résistance et sont choisis comme chef de chambrée par leurs compagnons. Puis, au fur et à mesure de leur arrivée, les nouveaux arrivants prennent leur place, dans la vie tant officielle que secrète du camp.
La direction communiste clandestine se donne deux objectifs : maintenir le moral et la combativité des internés et améliorer leurs conditions de détention. Pour assurer la vie interne du camp des politiques, un Comité est mis en place. Celui-ci s’occupe de l’application des règlements, de la caisse de solidarité, des cours (langues étrangères, espéranto, mathématiques, dessin, histoire et géographie, techniques), de l’organisation du sport, des jeux et des loisirs. « Le théâtre fonctionne deux ou trois fois par semaine, même le jour ou le lendemain où les Boches venaient chercher des camarades pour les fusiller » écrit Claude Chassepot dans son journal.
« C’était pour remonter le moral des autres et pour prouver aux Boches combien, nous Français, nous avions du courage, même au pied de la mort » René Maquenhen.

Nombre de « 45 000 » s’inscrivent à plusieurs cours dont ils envoient les cahiers à leur famille avant leur départ en déportation. Quelques-uns en sont les professeurs, car appel est fait à toutes les compétences : non seulement à celles des enseignants de métier comme Pierre Lavigne, Yves Jahan, Georges Varenne, mais aussi à celle de l’architecte Antoine Molinié, du marin-pêcheur Charles Delaby, secrétaire du syndicat CGT des pêcheurs de Dieppe etc…

Caisse de solidarité

Des expositions d’objets fabriqués par les détenus alimentent la caisse de solidarité, crée dès juillet 1941. A cette date, une liste de souscription circule dans la chambre 6 du bâtiment A5 : camarades, portez toujours plus haut l’effort de solidarité : grâce aux versements de la deuxième quinzaine de juillet, nous avons pu répartir 650 francs entre trois familles de camarades, totalisant 13 enfants, qui sont dans une situation poignante de détresse. En outre nous avons réparti diverses denrées entre 80 camarades environ, dont la situation ne leur permet pas de recevoir des colis ».

Suivent les noms et le montant des dons : Delvaro Rossi, Venturini, Bertolani, Arcari, Pelegrini, Montagnoli, Volterra, Ferroni, Farinay, Mircy, Valois, Nicolas, Renaud Charles (46047), Jean Damichel (fusillé au mont Valérien le 15 décembre 1941), Claude Chassepot (45358), Merccherini, Paul Girard (45606 ?)…

Caisse de solidarité

Le responsable de la chambrée, Delvaroy écrit « nous présentons deux camarades : Baveux et Miszowki que nous jugeons dignes de recevoir des secours de la caisse de solidarité. Il ajoute : Prière de signaler au camarade Larcade, chambre 5, les camarades dont la famille est dans une situation particulièrement misérable et ceux qui sont au camp depuis plus d’un mois et qui n’ont pas encore reçu de colis ». Il faut savoir que les nouveaux venus n’ont pas le droit d’écrire avant un mois, ni de recevoir des colis. Or le contenu de ces colis est indispensable pour compléter la maigre nourriture du camp. La solidarité envers les plus démunis, entre « camarades », est une des données fondamentales de la culture communiste et des pratiques du monde ouvrier d’avant-guerre.

A Compiègne, la caisse de solidarité lui confère un statut quasi officiel et une grande efficacité : « Je me souviens – écrit Georges Cogniot – que, du 1er février au 15 mars 1942, elle acheta, par l’intermédiaire de la cantine, pour 4850 francs de denrées, qui furent réparties entre 220 internés dénués de ressources ou nouveaux arrivants. La caisse, à cette date du 15 mars, avait envoyé, par l’intermédiaire de la Croix-Rouge, 175 secours à des familles d’internés pour une somme de 46000 francs. La caisse, à laquelle se dévouaient des camarades comme René Roux de l’Eure, jouait un rôle essentiel pour le maintien de la cohésion morale des détenus ».

Menu du repas fraternel du jour de l’an 1942

Pour Noël 1941 et le jour de l’An 1942, dans chaque baraquement, les internés organisent des « repas fraternels » auxquels le contenu des colis vient apporter une note de fête. Les menus sont inscrits sur des cartes décorées à la main – chaumière sous la neige, vues du camp ou tout autre dessin inspiré par l’imagination du dessinateur – . Le « groupe solidarité alimentaire« , de la chambre 3 du bâtiment A1, place en haut de son menu du 4 mai 1942 , la devise : Ici l’égoïsme est banni. Le vol aussi était banni, comme l’explique Jules Huon dans une lettre dans laquelle il décrit l’atmosphère du camp en juin 1942 : « Il y a une grande solidarité qui joue. Une discipline de fer. Il y a une police pour les vols. Sanction : privé de tabac pendant un mois par exemple et puis on fait défiler le voleur devant tous les camarades à l’appel du soir ».

La solidarité pour les Juifs du camp C

Cette solidarité ne s’applique pas uniquement aux internés du « camp des politiques » : cliquer sur l’article du site Les otages Juifs du convoi.

[La] solidarité ne s’applique pas uniquement aux internés du « camp des politiques ». Elle s’exerce aussi en direction des mille Juifs arrivés dans la nuit du 12 au 13 décembre 1941, comme le raconte Jean-Jacques Bernard qui se trouve parmi eux : Les communistes et les Russes (…) furent, les premiers jours, chargés de notre subsistance et marquèrent à notre égard, les uns comme les autres, des sentiments inoubliables. S’il y eut, les premiers temps du moins, des adoucissements à notre sort, c’est à eux que nous les dûmes. Notre ordinaire se composait d’une soupe à midi et nous touchions le soir un quart de boule de pain avec un petit morceau de margarine.(…) Nous eûmes le premier jour cette surprise agréable qui se prolongea une partie de la première semaine. Bien mieux, les communistes, ayant touché suffisamment de légumes, proposèrent de nous envoyer une seconde soupe le soir, comme pour eux-mêmes. Je dois dire que le commandant du camp ne se montra pas inhumain et donna son consentement. Trois jours de suite, nous bénéficiâmes de cette soupe supplémentaire. Puis nous apprîmes qu’elle est supprimée.
La Kommandantur de Compiègne, mise au courant, avait interdit cet adoucissement. On entoura notre camp de barbelés. Interdiction de pénétrer chez les politiques et aux politiques de pénétrer chez nous, sauf nécessités de service indispensables. Ces nécessités se firent de plus en plus rares. Notre camp fut transformé peu à peu en camp autonome pour les corvées, pour la cuisine, pour l’infirmerie. (…). Nous perdîmes beaucoup au change
 ».

La situation déplorable du camp juif inquiète Georges Cogniot : L’état d’esprit n’y est pas bon ; un climat de peur et de désespoir tendait à y prévaloir (…). Nous fîmes passer quelques vivres, des encouragements, des informations, des témoignages de solidarité. (…) Quand vint le jour de Carnaval, nous organisâmes une grande mascarade, mais, comme par hasard, nous nous arrangeâmes pour qu’elle se déroule au fond de la cour, sous les fenêtres du camp juif. Les détenus de ce camp, d’abord surpris, goûtèrent fort le divertissement ; ils se pressaient aux fenêtres et applaudissaient.
Quant aux Allemands, ils mirent une heure avant de s’apercevoir que nous nous jouions d’eux et que nous tournions en dérision l’interdiction d’avoir des rapports avec les Juifs ; quand ils intervinrent pour nous disperser, la fête est finie
.
Ce défilé est décrit par Maurice Foubert à la date du dimanche 15 mars 1942. Douze jours plus tard, la quasi-totalité des internés juifs est déportée à Auschwitz.

Claudine Cardon-Hamet, extraits de « Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 ».
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