Matricule « 45 892 » à Auschwitz    Rescapé

 

Raymond Montégut à Buchenwald

 

Raymond Montégut : né en 1906 à Bordeaux (Gironde) ; domicilié à Châtellerault (Vienne) ; serrurier ; communiste ; arrêté le 3 mai 1941, puis le 23 juin 1941 ; interné à Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, Buchenwald ; rescapé ; décédé le 23 janvier 1978.

Raymond Montégut est né le 10 septembre 1906 à Bordeaux (Gironde). Il habite au 21, Boulevard Aristide Briand à Châtellerault (Vienne) au moment de son arrestation.
Il est le fils de « demoiselle » Montégut, domestique. Il a un frère de 5 ans son aîné. Leur mère vit seule et peine à élever ses enfants. Raymond Montégut connaît une enfance douloureuse. Sa mère est malade. « Ma mère qui était domestique m’avait mis auprès d’étrangers… Très jeune, j’ai souffert de privations, à 8 ans je travaillais déjà».

Secours du  bureau de bienfaisance du Conseil général de la Gironde

Sa mère « atteinte de métrite, ne peut se livrer à aucun travail ». En 1915, elle reçoit une aide (un secours) de 12 francs par mois du Secours du bureau de bienfaisance du Conseil général de la Gironde (document ci-contre)

Il épouse Simone Pétronille Paulin. 

Devenu serrurier de métier, Raymond Montégut travaille à partir de mai 1933 à l’usine Krier et Zivy à Montrouge (Seine / Hauts-de-Seine), dont il est dit-il le secrétaire de la cellule communiste.
En mai-juin 1936, il organise la grève dans son entreprise. Il se dit « disciple de Guesde et de Marx, parce que foncièrement chrétien » (page 15 de son livre).

Devenu veuf, Raymond Montégut épouse Marguerite Biard à Montrouge, le 18 septembre 1937. Elle est née le 17 novembre 1908 à Paris 13°. Journalière, elle est divorcée d’Albert Dubois, et elle est domiciliée à la même adresse que Raymond Montégut.
Le couple a deux enfants.
Raymond Montégut est licencié de chez Krier et Zivy après la grève du 30 novembre 1938.
Il est inscrit alors au bureau de chômage de Montrouge du 7 décembre 1938 au 10 septembre 1939.
Après la déclaration de guerre, il est mobilisé en novembre au 77è régiment d’infanterie, en tant que sergent-chef de réserve. Son régiment est positionné dans l’Est, « en première ligne, en plein « no man’s land », les lignes allemandes étaient à quinze cent mètres en avant des nôtres » écrit-il (page 194 de son livre).

Le 14 juin 1940, les troupes de la Wehrmacht entrent dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Le 22 juin, l’armistice est signé. Les 23 et 24 juin 1940, les deux principales villes de la Vienne – Châtellerault et Poitiers – sont occupées par la Wehrmacht (3000 soldats à Chatellerault). Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français » et lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…)

La « Manu » à Chatellerault
Texte manuscrit de Raymond Montégut racontant sa première arrestation

Après l’exode, il regagne Paris à Bicyclette. Raymond Montégut est embauché à la Manufacture d’armement de Châtellerault, à l’atelier des gazomètres, de janvier 1941 à juin 1941.
« L‘établissement dépendait désormais d’une firme privée, à laquelle le gouvernement allemand avait confié l’exploitation. Cependant, la manufacture demeurait sous la direction de l’ingénieur français Lucien Vergnaud, responsable devant l’autorité allemande. Une direction française exploitait donc l’établissement sous l’autorité d’une firme privée allemande qui contractait des commandes exclusives » (in Manufacture d’armes
à Châtellerault par Jean-Claude Raymond).
Raymond Montégut s’installe alors à Châtellerault au 21, Boulevard Aristide Briand.
Sans contacts avec les anciens militants communistes ou les militants clandestins de la MAC, Manufacture de Chatellerault, il crée, écrit-il, dans son atelier un groupe clandestin.
Quelques jours après qu’il ait distribué des tracts communistes qu’il avait emportés de Montrouge en janvier 1941, avant son embauche à la « Manu », il est arrêté, à son travail, le 3 mai, par des policiers français et allemands.

Selon son témoignage, il est conduit à la prison de Châtellerault, frappé et interrogé durant six heures. Une perquisition est effectuée dans les vestiaires de son atelier et à son domicile. Les renseignements sur lui provenaient, d’après lui, de la Sûreté nationale de Montrouge. Ses camarades d’atelier stoppent les machines et alertent Albert Giraudeau, ancien responsable communiste de Châtellerault, membre du Comité d’entreprise qui existait encore à  la Manufacture. Celui-ci intervient auprès de l’ingénieur général Vergnaud, qui dirige l’entreprise. Raymond Montégut est relâché le lendemain et mis en résidence surveillée après « un nouvel interrogatoire à la Manufacture par des policiers français, flanqués de policiers allemands ». L’ingénieur général Brisorgueil, sous-directeur de la Manu, témoignera de cet interrogatoire à la Libération selon René Montégut « Montégut ne renia rien de son passé et son attitude fut celle d’un grand Français, d’un grand patriote« .

Raymond Montégut est de nouveau arrêté le 23 juin 1941, par des soldats allemands et des policiers français,dans le cadre de la grande rafle commencée le 22 juin,jour de l’attaque hitlérienne contre l’Union soviétique, sous le nom «d’Aktion Theoderich». Lire dans le site l’article «L’Aktion Theoderich dans la Vienne», sur l’arrestation des 33 militants communistes et syndicalistes de la Vienne. Liste et récits des internements à Poitiers et à Compiègne.

Il est enfermé durant 24 heures à la Prison de la Pierre Levée de Poitiers sous autorité de Vichy, puis envoyé au camp allemand de Poitiers la Chauvinerie.
Il est transféré le 11 juillet 1941 avec les autres viennois arrêtés le 23 juin au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Frontstalag 122). «Le 23 août 1941, le camp de Compiègne devenait un camp d’otages et dès cette date, il ne se passe pas de mois sans que nous eûmes à déplorer des victimes (…) Pour ma part, j’ai eu faim à Compiègne, je n’ai reçu que très peu de colis et jamais un sou».
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».

Depuis le camp de Compiègne, Raymond Montégut est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Il est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro « 45 892 » qui lui sera tatoué sur l’avant-bras gauche, au début de l’année 1943.
Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a été pas retrouvée parmi les 522 photos que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.

Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
A Birkenau Raymond Montégut est affecté au Kommando Kanal jusqu’au 13 juillet, date où le convoi est scindé en deux.
Comptetenu de sa qualification professionnelle, il retourne à Auschwitz-I où il est affecté au Kommando «Schlosserei» (travail du fer, ajustage) avec 80 autres «45 000» métallos. Il y est le témoin de l’éviction de la plupart de ses camarades affectés à ce Kommando : l’atelier comprenait en effet environ 150 ouvriers… et l’arrivée de 80 nouveaux déportés posa problème. «Beaucoup changèrent d’établis… Je fus de ceux-là, mais heureusement je réussis un premier, puis un second et un troisième burin».
Le Vorarbeiter raye son numéro ce qui lui évite d’être renvoyé au terrassement et l’affecte à la « colonne Strougy » (établi d’ajustage), puis à la boulonnerie. Il n’y a plus que 33 Français. Il est, écrit-il, « relativement peu battu à la Schlosserei, à l’abri des intempéries (…). Malgré cela seize de nos camarades devaient y «crever» dès les cinq premiers mois. La plupart, pour ne pas dire tous de la faim. Jambes enflées, dyssentrie » Il est au Block 22 puis au block 15. En septembre 1942 il est témoin de la tentative d’évasion d’Antoine Corgiatti et de sa mort.
Le 1er novembre 1942, tous les Kommandos sont affectés au déchargement de trains de pommes de terres à la gare de marchandises d’Auschwitz.

Le récit dactylographié de sa déportation, verso
Le récit dactylographié de sa déportation, recto

A l’hiver 1942, Raymond Montégut, se trouve entraîné dans la confection de serrures, à la demande d’un détenu polonais de la Schlosserei qui l’avait pris sous sa protection : « Mon Vorarbeiter polonais qui m’en fit exécuter pour lui et cela durant plusieurs mois. Quelques caïds du block m’en commandèrent. C’est ainsi que je recevais une soupe par-ci, un morceau de pain par-là. C’est ma serrure qui me fit entrer en rapport avec (…) d’autres Polonais. Elle allait consolider ma place et participer, elle aussi, à mon sauvetage. Dès le premier jour, j’associais à mes travaux mon ami Auguste (Monjauvis) et par la suite, Petitjean, qui devait renforcer le groupe. Je fis même un apprenti, le jeune Robert Lambotte (…). Le travail pour mon Vorarbeiter ne me rapportait rien. L’avantage que j’en tirais, c’est que lorsque j’en fabriquais une pour lui, j’en fabriquais une pour moi. (…) Nous décidâmes Auguste et moi, d’aller les placer dans d’autres blocks. Nous réussîmes, mais nous fûmes quelquefois payés, souvent volés, toujours exploités. (…) Un jour, ce fut le krach de l’entreprise, les serrures ne se vendirent plus. Le doyen du camp perquisitionna dans les blocks, fit sauter toutes les serrures de placards et d’armoires (seuls les Kapos et les Prominent avaient le droit à des armoires). Elles nous avaient tout de même permis de passer une partie de l’hiver 1942-43 à l’abri des intempéries, elles allaient me permettre d’entrer comme laveur de vaisselle et balayeur de planchers dans une chambre de caïds polonais. Emploi très recherché par tous ceux qui avaient faim».

Entre le 14 août 1943 et le 12 décembre 1943, il est en quarantaine au Block 11 avec la quasi totalité des français survivants. Lire l’article du site «les 45000 au block 11».

Dès 1944, devant l'avancée des armées soviétiques, les SS commencent à ramener vers le centre de l’Allemagne les déportés des camps à l’Est du Reich, dont Auschwitz. Les premiers transferts de "45.000" ont lieu en février 1944 et ne concernent que six d’entre eux. Quatre-vingt-neuf autres "45 000" sont transférés au cours de l'été 1944, dans trois camps situés plus à l'Ouest - Flossenbürg, Sachsenhausen, Gross-Rosen - en trois groupes, composés initialement de trente "45 000" sur la base de leurs numéros matricules à Auschwitz.  Une trentaine de "45 000" restent à Auschwitz jusqu'en janvier 1945.  Lire dans le site : "les itinéraires suivis par les survivants".
Fiche d’Auschwitz transmise à Buchenwald

Raymond Montégut est transféré à Buchenwald, le 23 février 1944, avec Lucien Penner, Robert Lambotte et Camille Nivault, lors d’un transfert de main d’œuvre de la DAW.
Il est affecté au Block 14 et travaille au Kommando « Die Deutshes Arbeitfront, Gawaltung Thüringen »
Lire dans le site « les itinéraires suivis par les survivants ».

Il témoignera à la Libération être allé voir Charles Limousin, ancien de la Manufacture d’armement de Châtellerault, arrivé à Buchenwald le 5 février 1945.

Récit écrit à Buchenwald

Il avait été informé de sa présence à l’infirmerie du camp. Selon Raymond Montégut, ce dernier serait mort le dernier dimanche du mois de mars 1945 (le 30).

Bordereau de la DAW

Il commence à écrire le récit de sa déportation à Buchenwald, sur des bordereaux de commande de la DAW dissimulés dans sa paillasse et dans le parquet de l’atelier (photos ci contre) qui seront la base d’un livre de 350 pages qu’il publiera à compte d’auteur, en 1973, sous le titre « Arbeit macht Frei».

Il participe à l’insurrection armée du camp de Buchenwald, libéré le 11 avril 1945 : « Avec d’autres détenus, j’ai participé, les armes à la main, à la libération de ce camp ». Il regagne la France le 6 mai 1945.

Il fonde alors une entreprise artisanale de serrurerie à Champagne-sur-Seine (Seine-et-Marne).

Février 1965 Champagne sur Seine
Février 1965 Champagne sur Seine

Il est l’un des organisateurs d’une exposition et manifestation du Souvenir de la Déportation, en février 1965 (photo ci-contre) à laquelle participe Roger Arnould pour la FNDIRP «Un des plus beaux résultats obtenu : le conseil municipal de Champagne, dans le cadre de notre exposition, a voté à l’unanimité un vœu contre la prescription des crimes nazis», lui écrit-il quelques jours après.
Il retourne dans la Nièvre, à Bonneuil-Matours, pour y finir ses jours. Son livre est accueilli par ses anciens compagnons de déportation avec certaines réticences, car même s’il comporte de précieux renseignements sur Auschwitz, notamment dans ses terribles témoignages sur l’enfer nazi – que j’ai largement utilisés-, il recèle aussi des « jugements injustes » à l’encontre de ses camarades. Roger Arnould, qui l’a connu à Buchenwald, dépeint Raymond Montégut comme un homme sensible, écorché vif, se croyant toujours rejeté par les autres.

Raymond Montégut est mort à Châtellerault le 23 janvier 1978.

Sources

  • Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, Le Maitron, Claude Pennetier (dir), éditions de l’Atelier, CD-Rom édition 1997. Tome 37, page 44 (article de Claude Pennetier).
  • « Arbeit macht Frei ». Ed. du Paroi, 1973.
  • Correspondance avec Roger Arnould à propos de son ouvrage (1972, 1973,1979). Correspondance entre Roger Arnould et Maurice Rideau à propos de la personnalité de Raymond Montégut.
  • Etat civil de la mairie de Bordeaux.
  • © Photo nb jcraymond.free.fr/…/Chatellerault/…/Manufacture/Manufacture
  • Photo de Raymond Montaigut à Buchenwald © International Center on Nazi Persecution, Bad Arolsen Deutschland

Notice Biographique rédigée à l’occasion de l’exposition organisée en octobre 2001 par l’AFMD de la Vienne à Châtellerault, et complétée en 2011,  2021 et 2024 par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : «Triangles rouges à Auschwitz, le convoi politique du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 »,
Pour compléter ou corriger cette notice biographique, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *