La place d’Armes de Poitiers sous l’Occupation

L’Aktion Theoderich dans la Vienne

Au début de l’Occupation, 3000 Allemands s’installent à Châtellerault le 23 juin 1940. Dans le cadre de la réorganisation administrative opérée par Vichy le 19 avril 1941, Poitiers devient la capitale de la «région de Poitiers», qui comprend les départements de la Vienne, la Vendée, les Deux-Sèvres, la Charente et la Charente Maritime. 

« En quelques jours, la Vienne est coupée en deux par la ligne de démarcation. Châtellerault, Poitiers, Loudun et Civray sont dans la zone d’occupation allemande. Montmorillon, l’Isle Jourdain, La Roche Posay et Pleumartin sont en zone libre mais sous le contrôle du gouvernement de Vichy. Il est impossible de franchir la ligne de démarcation sans laisser-passer » (in site « Vienne Résistance Internements Déportation »).

Les premiers actes de résistance ont lieu dans la Vienne dès l’année 1940. Certains résistants utilisent le biais des associations sportives pour se rassembler (comme «la Joyeuse» à Saint Clair, dirigée par Firmin Sapin et Jean Roy), ou usent de la clandestinité pour propager mots d’ordre et actions antiallemandes. Une feuille ronéotypée hebdomadaire «Le libre Poitou» paraît régulièrement (63 numéros) entre le 11 novembre 1940 et novembre 1942, date de l’arrestation du réseau Louis Renard (10 condamnés à mort, décapités le 3 décembre 1943 à la prison de Wolfenbüttel). Des groupes clandestins se créent parmi les membres du Parti communiste, interdit depuis septembre 1939 : dès ce mois, Alfred Méniens et Alphonse Rousseau distribuent des tract pour dénoncer la « drôle de guerre » et la « cinquième colonne » (Aristide Pouilloux1).

L’Organisation spéciale (OS) du Parti communiste, mise en place en octobre 1940, est à l’origine de l’incendie du parc à fourrage de Poitiers. Parmi ces militants se trouve René Amand, ancien secrétaire à l’organisation de la fédération de la Vienne du Parti communiste, chez qui se tiennent les réunions de la direction clandestine (Maria Rabate**), « l’un des dirigeants de la Résistance » dans la région »(2).
Des jeunes communistes, comme Paul Bailly, Jacques Moron et Marcel Pilorget participent aux premières inscriptions antifascistes sur le Pont Henri IV, le 1er mai 1941. A Saint Clair, Firmin Sapin (fusillé à Biard le 4 octobre 1943), très proche du maire communiste Georges Fouret, contribue à la mi-1942 à la création des FTPF du secteur de Chatellerault-Poitiers.
Les autorités allemandes sont sur le qui-vive. Des militants sont appréhendés, puis relâchés après le 1er mai 1941 (Raymond Montégut le 4 mai, Maurice Rideau le 6 mai). Mais c’est avec l’attaque de l’URSS par l’Allemagne que la répression franchit une nouvelle étape.

Le 23 juin 1941, 33 communistes sont arrêtés(*) dans le département de la Vienne. Ces 33 militants et militantes sont tous arrêtés à leur travail ou leur domicile par des éléments de la 4ème brigade de police mobile d’Angers, « conduite par Poupert, Guilbaud etc…» (selon Denise Amand), accompagnés de militaires allemands (Feldkommandantur 677).
Ces arrestations ont lieu dans le cadre de la grande rafle commencée le 22 juin, jour de l’attaque hitlérienne contre l’Union soviétique. Sous le nom « d’Aktion Theoderich », les Allemands arrêteront plus de mille communistes dans la zone occupée, avec l’aide des forces de police françaises.

Outre leur appartenance au Parti communiste ou au mouvement syndical, certains sont soupçonnés par la police d’ « activités de sabotage, de rédaction, d’impression, de transport de tracts et de journaux et pour avoir fourni des locaux pour des réunions clandestines » (Alphonse Bouloux)8.Les listes sont prêtes : 3 institutrices et un instituteur (Loudun, Chatellerault et Saint-Jean de Sauves), fichés comme communistes, sont arrêtés. « Pour Chatellerault, ils n’ont pas eu à se donner grand mal. Tous ceux qui ont été arrêtés faisaient partie du Comité de section du PC en 1939(5) ».
Ils sont d’abord écroués à la caserne de la Chauvinerie à Poitiers, occupée par les Allemands. «Nous logions dans une baraque isolée, loin des casernes, entourée de barbelés. Nous étions gardés jour et nuit par des sentinelles. Chaque matin, nous étonnions nos gardiens par une séance d’éducation physique qui se prolongeait une heure durant. Eux savaient mieux que nous, sans doute, ce qui nous attendait, et notre comportement les surprenait. Le soir, lorsque dans la chambrée, tous ensemble, nous chantions, ils se penchaient aux fenêtres, nous regardant avec curiosité. (…)

La quasi-totalité d’entre eux (seul Raymond Logeron est libéré après son emprisonnement à la Pierre Levée à Poitiers), arrivent au camp allemand (le Fronstalag 122) de Royallieu à Compiègne (Oise), administré par la Wehrmacht, qui est devenu depuis l’Aktion Theoderik un camp de détention des “ennemis actifs du Reich”. Les 3 femmes sont également internées à Compiègne, puis à Romainville.Quand nous partîmes pour Compiègne (le 14 selon certains témoignages, le 12 juillet selon les fiches du Bureau des archives des victimes des conflits contemporains, mais très certainement le 11 juillet 1942, comme en témoigne la fiche d’internement ci-contre à Compiègne de Maurice Rideau), la nouvelle de notre départ avait couru pour la foudre et une foule de parents et d’amis encombrait la salle des pas-perdus de la gare.

Emile Lecointre

Lorsque nous descendîmes des camions, un grand silence se fit ; fortement encadrés, nous défilâmes devant la foule des hommes têtes nues, des femmes et des enfants pâles et angoissés. Pas un mot, pas un cri. Pas une supplication. Nous allions la tête haute, ils ne pouvaient se réjouir de notre angoisse (Emile Lecointre)(6) ».

Il semble que tous les Viennois aient été internés dans le bâtiment A4, avec Georges Cogniot le doyen du camp, Georges Varenne, responsable du bâtiment, et Louis Thorez, le frère de Maurice, qui est le voisin de lit de Marcel Couradeau. « Je suis certain de la liste qui a été donnée (celle d’Aristide Pouilloux).
A Compiègne, les camarades de la Vienne m’avaient choisi pour responsable. C’est moi qui partageais les colis, etc… Donc je les connaissais bien ».

Aristide Pouilloux
Marcel Couradeau

Marcel Couradeau(7)Avec les camarades de la Vienne, nous participâmes à la vie du camp en organisant un groupe théâtral : notre parodie de Blanche-Neige et la représentation de Clochemerle eurent beaucoup de succès(6)»(…)« Dans la chambrée, nous mettions tout en commun, achats à la cantine, argent, colis. Croyez-moi, ce n’est pas une chose facile de déposer ce colis préparé, avec amour par un être cher, sur la table, et que finalement une toute petite part sera pour vous(6)».

Quatorze des 33 militants arrêtés le 23 juin 1941 sont déportés à Auschwitz le 6 juillet 1942 (11 y sont décédés), 6 sont déportés à Sachsenhausen (2 y sont décédés), et 3 à Buchenwald (tous trois y sont décédés). Cliquer sur les noms soulignés pour accéder aux biographies des quatorze qui seront déportés à Auschwitz.Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à leur déportation, lire dans le blog «une déportation d’otages

En cas d’utilisation ou publication de cet article, prière de citer : « article publié dans le site  « Déportés politiques à Auschwitz :
le convoi dit des 45.000
» https://deportes-politiques-auschwitz.fr. Adresse électronique :  deportes.politiques.auschwitz@gmail.com 

A Châtellerault

  • Bailly Paul (« 45191 »),
  • Cerceau Louis (45347, rescapé),
  • Giraudeau Albert (déporté à Sachsenhausen),
  • Grandin Emile (déporté et mort à Buchenwald le 15 avril 1944),
  • Guilgaud René (libéré à Compiègne),
  • Imbert (libéré à Compiègne),
  • Lecointre Emile(6) (déporté à Sachsenhausen, rescapé),
  • Legeron Raymond (libéré à Poitiers),
  • Limousin Charles (« 45796 »),
  • Montégut Raymond (« 45892 », rescapé),
  • Moron Jacques (« 45000 »),
  • Perrin André (« 45000 »),
  • Picard Auguste (« 45000 »),
  • Pilorget Marcel Marcel (« 45990 »),
  • Pouilloux Aristide (déporté à Sachsenhausen, rescapé),
  • Quinqueneau Alfred (déporté à Sachsenhausen, rescapé),
  • Rideau Maurice (« 46056 », rescapé),
  • Rocher Derma (déporté, mort à Buchenwald le 17 septembre 1943),
  • Rousseau Alphonse 45.000 »).

A Poitiers

  • Amand René(« 45167 »),
  • Boisson Emile (déporté à Sachsenhausen Mort en déportation),
  • Boisson Simone (libérée à Romainville),
  • Couradeau Marcel(7) (déporté à Sachsenhausen, rescapé),
  • Failer Henri (hospitalisé au Val-de-Grâce, puis libéré),
  • Meniens Alfred (« 45869 »),
  • Massé Jeanne (libérée à Romainville),
  • Saillier Léopold (postier. Déporté à Sachsenhausen, mort le 9 avril 1945).

A Loudun et environs

  • Bedin Félix (« 45.000 »),
  • Douteau Isabelle (libérée à Romainville),
  • Fouret Georges (« 45555 »),
  • Huctin Léopold, Félix (déporté et mort à Buchenwald le 19 avril 1945),
  • Perrault (libéré à Compiègne),
  • Proust Edmond (libéré à Compiègne).

Cette répression se poursuivra tout au long de la guerre : le 15 décembre 1941 Daniel Perdrigé, 36 ans, de Châtellerault (ancien maire de Montfermeil), interné à la prison du Cherche-Midi puis aux camps d’Aincourt et de Compiègne, est exécuté au Mont-Valérien.

Sur le site « Vienne Résistance Internements Déportation » (http://www.vrid-memorial.com/), lire les nombreux articles consacrés à cette répression à l’encontre des résistants et maquis de la Vienne jusqu’à fin août 1944. Lire également l’ouvrage de Marie-Claude Albert « Chatellerault sous l’Occupation« , Geste éditions (2005).

Claudine Cardon-HametClaudine Cardon-Hamet

(docteur en Histoire, auteur des ouvrages : Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé) et de Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Autrement, Paris 2005)

Sources

  • (*) Selon la liste établie par Aristide Pouilloux(1) à la Libération, confirmée ensuite par Raymond Jamain(3), liste confiée à Maurice Rideau en 1971(4), puis à Roger Arnould pour les recherches sur les « 45.0000 », et par le travail de Michel Bloch(5) en 1973.
  • (**) A l’Occupation, Maria Rabaté fut avec son compagnon Octave, le contact du Comité central avec les militants de la Vienne. Elle fut députée à la Libération.
  • 1. Aristide Pouilloux, instituteur à Châtellerault, arrêté le 23 juin 1941. Déporté à Sachsenhausen, rescapé.
  • 2. Attestation des responsables communistes de la Vienne du 6 mars 1946, certifiée conforme par le commissaire de police le 30 mars 1946.
  • 3. Raymond Jamain, de l’ADIRP de la Vienne, arrêté le 23 juin 1941 à Nantes, déporté à Sachsenhausen, (1973).
  • 4. Maurice Rideau, 46.056, a entretenu une volumineuse correspondance avec Roger Arnould entre 1972 et 1973 au début de ses recherches.
  • 5. Michel Bloch. Historien, professeur honoraire à l’université de Poitiers. Ancien chef de cabinet de François Billoux en 1945-1946. A la demande de Roger Arnould, il a effectué des recherches en 1972-1973 auprès des militants communistes survivants.
  • 6. Témoignage d’Emile Lecointre, recueilli par Michel Bloch. Né à Châtellerault, conservateur au cimetière central St Jacques, avait été responsable local et départemental des Jeunes communistes. Il fit partie de l’organisation communiste illégale à Compiègne, et devait s’échapper lors le seconde vague d’évasion par le tunnel. A la découverte du tunnel après l’évasion du premier groupe le 22 juin 1942, les Allemands bombardent celui. Il fait partie des blessés dans le camp des politiques et celui des Russes blancs (devenu camp des Américains). Gravement blessé à l’abdomen, il est emmené à l’hôpital civil de Compiègne à 1 heure du matin. Ramené au camp après le départ des « 45.000 », il est déporté à Sachsenhausen le 24 janvier 1943, avec le convoi des femmes (les « 31.000 »), qui elles sont dirigées sur Auschwitz. A la Libération, il fut responsable de la FNDIRP. Il m’a laissé de précieuses informations sur les « 45.000 » de la Vienne.
  • 7. Marcel Couradeau, employé des PTT à Poitiers (bureau tri-gare), était membre du bureau fédéral du Parti communiste avec René Amand, avec lequel il suivit une école régionale à St Julien (Haute-Vienne). Son témoignage sur René Amand et la vie des Viennois à Compiègne m’ont été particulièrement utiles.
  • 8. Alphonse Bouloux, secrétaire politique de la Fédération de la Vienne du PCF entre 1934 à 1940. Secrétaire fédéral en 1946, député de la Vienne à la Libération.

Photos : Les Allemands à Poitiers ©  Médiathèque François Mitterrand de Poitiers (don de M. Gérard Simmat) et le site VRID pour les photos de militants.

2 Commentaires

  1. mon grand père ,Raymond Normand, né en 1903,habitant Poitiers, militant communiste. candidat aux élections cantonales de St George les Baillargeaux en 1937 a été interné au camp de Rouillé. je n’en sais pas plus .Il y est resté peu de jours , semble t il, grâce à des complicités (internes?, externes?) Je n’en sais pas plus. je ne connais pas non plus la date de son internement . y a t il un moyen de trouver ces renseignements ?

    1. Bonjour

      Je suis désolée mais je n’ai pas trouvé le nom de votre grand père sur les listes du camp de Rouillé en ma possession : celles-ci ne concernent toutefois que les internés de 1941 au 10 mai 1942, avant l’internement à Compiègne des futurs déportés à Auschwitz par le convoi du 6 juillet 1942. Pour le reste de l’année 1942 jusqu’à la Libération, vous pouvez tenter d’en faire la demande auprès du Mémorial de la Shoah (anciennement CDJC) Adresse : 17 rue Geoffroy l’Asnier – 75004 Paris, Tél : 01 42 77 44 72

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