Matricule « 45 695 » à Auschwitz

Orphée Journel, Photo © Argus Journel D.r.
Orphée Journel, le 8 juillet 1942

 

Orphée Journel : né en 1896 à Allenay (Somme) ; domicilié à Cayeux-sur-mer (Somme) ; tourneur sur métaux, artisan ; maire communiste d’Allenay (Somme) ; arrêté le 23 octobre 1941 ; interné au camp de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il meurt le 13 août 1942.

Orphée Journel est né le 6 août 1896 au domicile de ses parents à Allenay (Somme). Il habite à Cayeux-sur-mer (Somme) au moment de son arrestation.
Il est le fils de Marie, Pascaline, Célestine Delettre, 28 ans, serrurière et d’Edmond, Lépold, Albert Journel, limeur en cuivre, conseiller municipal, 31 ans, son époux.
Il a un frère aîné, Argus, Jules, Constant, né le premier septembre 1890 (mobilisé au 128ème RI, il est blessé à La Renarde et meurt le 15 septembre 1914 à Vienne-la-Ville (Marne).
Au moment du conseil de révision, Orphée Journel habite Allenay, chez ses parents. Il travaille alors comme tourneur sur métaux chez Cagé.
Son registre matricule militaire indique qu’il mesure 1m 76, a les cheveux châtain, les yeux bleus, le front large et le nez rectiligne et long, le menton saillant, le visage large. Il a un niveau d’instruction « n°3 » pour l’armée (sait lire, écrire et compter, instruction primaire développée).
Conscrit de la classe 1916, il est mobilisé par anticipation (le 8 avril 1915) comme tous les jeunes hommes de sa classe depuis la déclaration de guerre, et il est incorporé le 11 avril au 120è régiment d’infanterie.
Il est détaché au chantier de Penhoët à Saint-Nazaire le 16 août 1915 : il rentre au dépôt du 120è RI le 2 décembre 1916. Il passe au 77è
régiment d’infanterie le 26 avril 1916, puis au 264è régiment d’infanterie, sur le front, le 19 septembre 1916. Son régiment a quitté la Somme et remonte au front dans le secteur de Vic-sur-Aisne. Nouvron et Vingré.

Croix de Guerre étoile de bronze

Le 5 novembre 1916, Orphée Journel est cité à l’ordre du régiment (OJ n° 104) «  A défendu avec acharnement un barrage de boyaux, interdisant à l’ennemi toute progression » Il est décoré de la croix de guerre avec étoile de bronze. Le 10 avril 1918, passé
dans la réserve de l’armée active, il est maintenu au corps en vertu du décret de mobilisation. Il passe au 91è régiment d’infanterie le 18 février 1919, puis au 501è régiment de chars d’assaut le 22 avril 1919.
Il est démobilisé le 30 août 1919, « certificat de bonne conduite » accordé. Il « se retire » à Allenay. Il est titulaire de la médaille militaire et de la Croix de guerre, étoile de bronze pour faits d’armes.

Orphée Journel épouse Marie, Emilienne, Rachel Monard le 25 octobre 1919 à Saint-Quentin-La Motte-Croix au Bailly (Somme). Elle est née dans cette commune le 20 avril 1892 et décédera le 26 juin 1981 à Cayeux.
Le couple a 9 enfants. Gilbert (1915), Alphonse (1918), tous deux nés à Saint-Quentin-La Motte-Croix au Bailly, Gaby (1924), Argus (1928), Ariane, 1930, Gad (1931), Alix (1933), Joël (1934), tous nés à Allenay.
Le 18 avril 1932, déjà père de 7 enfants, il est dégagé de toute obligation militaire.
Il est président de la Société sportive « l’Allenaysienne » et y développe le jeu de tamis ou balle au tamis (un jeu de balle issu du jeu de paume) qui prend une grande importance dans la région (on réfère un championnat à Allenay en 1913).

Militant communiste et syndicaliste CGT, Orphée Journel est élu conseiller municipal d’Allenay aux élections partielles de 1926, sur la liste présentée par le « Bloc ouvrier et paysan » à l’initiative du Parti communiste.
En 1931 il est réélu conseiller municipal, puis maire-adjoint, puis élu maire en 1934 de ce village de 244 habitants en 1926 et 243 en 1936. Son fils rapporte qu’à partir de ces dates il est fiché par la police. Il œuvre tout particulièrement pour la mémoire des victimes de la Grande guerre (édification du monument aux morts et de la salle des fêtes de l’Union fraternelle des anciens combattants d’Allenay).

Lors du recensement de 1931, le registre indique qu’il est « industriel » (ce qui signifie en fait qu’il a monté un atelier de métallurgie : il est tourneur sur métaux de profession). La famille habite au n° 70 d’une des deux rues du village (elle portera son nom à la Libération).  Gilbert, le fils aîné est tourneur chez son père.
A la suite d’un changement de travail, Orphée Journel s’installe dans une ferme rue Le Montois à Cayeux-sur-Mer (Somme) où il travaille comme manœuvre à la ville en 1936.  Son épouse est alors indiqué comme « débitante ». Selon son fils, Argus Journel, il est ensuite à nouveau artisan (en liquidation judiciaire à la déclaration de la guerre).
Orphée Journel est secrétaire de la section communiste de Cayeux-sur-Mer en 1939.

Amiens juin 1940

La « drôle de guerre » prend fin le 10 mai 1940 avec l’attaque allemande aux Pays-Bas, au Luxembourg et en Belgique. Après la percée allemande à Sedan, les troupes allemandes se ruent vers Amiens. Située sur la Somme elle est le dernier obstacle naturel avant la Seine et Paris : la ville est un nœud ferroviaire et routier de première importance. Le 19 mai 1940, les Allemands sont aux portes d’Amiens. Malgré une résistance acharnée des armées françaises, Amiens est prise le 20 mai. La prise d’Amiens ouvre à la Wehrmacht la route de Paris et lui permet de poursuivre son offensive vers le sud. Les conditions d’occupation sont très dures. Abbeville, est prise par les Allemands de la 2ème Panzerdivision le 20 mai 1940 et Le Tréport le 10 juin. Dès l’été 1940, une poignée d’hommes et de femmes forment les premiers groupes de Résistance dans le contexte de la défaite militaire, de l’occupation, de la mise en place du régime de Vichy. Au PCF, dans la clandestinité depuis septembre 1939, les premières structures de résistance sont opérationnelles à l’automne 1940.

Pendant l’Occupation, il est arrêté à son domicile à Cayeux-sur-Mer, le 23 octobre 1941 par les Allemands et un gendarme français de la Brigade de St Valéry-sur-Somme (Somme) lors d’une vague d’arrestations qui touche le département (son fils mentionne parmi les personnes arrêtées M. Thomas de Saint-Quentin-la-Motte-Croix, le père et le fils Hurtelle, Julien Hesdin et Cléophas Brutelle).
Orphée Journel est conduit devant le tribunal de la Feldkommandantur 580 siégeant dans une salle de l’Hôtel de Ville d’Abbeville (Somme). Le rapport d’enquête, fourni par la police française, fait état de ses activités politiques depuis 1926, date de son élection à Allenay.

Orphée Journel est interné au camp allemand de Royallieu à Compiègne (le Frontstalag 122), quelques jours après ceux « du groupe du Vimeu« .
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».

Depuis le camp de Compiègne, Orphée Journel est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Il est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro « 45695 » selon les registres du camp.

Il est immatriculé à Auschwitz le 8 juillet 1942

Sa photo d’immatriculation (1) à Auschwitz a été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.

Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».  Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
René Maquenhen, que son fils a bien connu, lui a dit que son père « atteint de dysenterie à Auschwitz, a été transporté à l’infirmerie en août,  [puis] on ne l’a jamais revu« .

Orphée Journel meurt à Auschmitz le 13 août 1942 d’après son certificat de décès établi au camp pour le registre d’état civil d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz Tome 2 page 530). La mention “Mort en déportation” a été apposée sur son acte de décès (J.O. du 21-10-1994).
Il est homologué « Déporté politique » (services du Colonel Dumoin, d’Amiens).
Il est homologué (GR 16 P 313164 J) au titre des Forces Française de l’Intérieur (FFI) comme appartenant à l’un des mouvements de Résistance .

La rue principale d’Allenay porte son nom.

Une stèle au cimetière de Cayeux honore Orphée et Guy Journel et trois autres martyrs

Il est inscrit sur la plaque des monuments aux morts de Cayeux-sur-Mer et d’Allenay. Une plaque du souvenir est apposée au siège de la Société sportive «l’Allenaysienne» (« l’Allenaysienne à son président Journel Orphée, victime du nazisme »).

Son cinquième fils, Guy, âgé de 16 ans, résistant FTPF du groupe André Pagnou de Mers-les-bains, est arrêté le 14 juin 1944 à Cayeux-sur-Mer et torturé par les nazis.
Déporté à Flossenbürg, il y est fusillé le 29 mars 1945.

Note 1 : 524 photos d’immatriculation des « 45.000 » à Auschwitz ont été retrouvées parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation du camp d’Auschwitz. A la Libération elles ont été conservées dans les archives du musée d’Etat d’Auschwitz. Des tirages de ces photos ont été remis par Kazimierz Smolen (ancien détenu dans les bureaux du camp d’Auschwitz, puis directeur du Musée d’Etat d’Auschwitz) à André Montagne, alors vice-président de l’Amicale d’Auschwitz, qui me les a confiés.

Sources

  • Questionnaire biographique (contribution à l’histoire de la déportation du convoi du 6 juillet 1942), envoyé aux mairies, associations et familles au début de mes recherches, en 1987, rempli par M. Argus Journel, le 4° de ses 9 enfants (22 septembre 1990) qui me joint une photo d’avant guerre de son père et un tirage de sa photo d’immatriculation à Auschwitz.
  • Témoignages de René Maquenhen (1945).
  • Liste des décédés à Auschwitz, convoi du 6 juillet 1942, du 18 juillet 1942 au 19 août 1942. Ref ACVG 1/19, liste N°3
  • «Death Books from Auschwitz», Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Paris 1995 (basés essentiellement sur les certificats de décès, datés du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, relatifs aux détenus immatriculés au camp d’Auschwitz. Ces registres sont malheureusement fragmentaires.
  • Liste (incomplète) par matricule du convoi du 6 juillet 1942 établie en 1974 par les historiens du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau (Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (Ministère de la Défense, Caen) indiquant généralement la date de décès au camp.
  • © Site Internet Mémorial-GenWeb
  • © Sitewww.mortsdanslescamps.com
  • Archives départementales de l’Aisne, commissariat régional aux Renseignements généraux, partis politiques des départements voisins : Ardennes, Somme et Oise .
  • © Archives en ligne de la Somme, état civil , registre matricule militaire et recensements.

Notice biographique rédigée en juillet 2011, complétée en 2015, 2018 et 2022 par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : «Triangles rouges à Auschwitz, le convoi politique du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce blog) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice. Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com

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