Pour avoir dérobé deux pains, quatre "45.000" sont internés dans une Stehzelle ("cellule à rester debout") du block 11 pendant 27 heures. La mort par privation de nourriture les attend : ils ne doivent la vie qu’à un manquement à la procédure du Blockfürher…  

Quatre « 45 000 », condamnés à la Stehzelle du block 11, sont également sauvés par l’installation du nouveau commandant d’Auschwitz.

Un jour, Robert Gaillard, Louis Eudier, Eugène Beaudoin et un Bordelais (sans doute Gabriel Torralba) sont désignés pour aller chercher les pains destinés aux détenus du block 11. Ils  projettent d’en « organiser » pour leurs camarades de la Wäscherei, la blanchisserie, située juste en face du block 11.

Louis Eudier : « Nous avions décidé de faire sortir sous le nez de notre SS et de celui du magasin deux boules de pain pour la solidarité (…) Le SS du magasin comptait les boules de pain que nous mettions dans notre trag (1). Notre SS, qui, lui, les recevait, les comptait aussi, puis le kapo du magasin à pain, avec notre chef de block, eux aussi contrôlaient notre travail. Les deux pains leur passèrent néanmoins sous le nez, sans qu’ils s’en aperçoivent. Evidemment, il nous fallait faire disparaître les pains avant de rentrer au block 11. Si, au magasin, notre travail fut relativement facile, (…) pendant le trajet du magasin au block 11, il pouvait y avoir des dizaines de paires d’yeux que nous ne pouvions pas surveiller. C’est ce qui fit capoter notre deuxième opération qui consistait à retirer de la trag, avant notre arrivée au block 11, les deux pains supplémentaires ».

« Un Stubedienst polonais du block 11 voit de loin notre manège. Il informe le Rapportführer que les Français ont passé du pain à ceux de la Wäscherei. A notre retour au block 11, nous sommes accueillis à « bras ouverts ». Le SS avait appelé Jacob, l’énorme bourreau du block et il se mit en tête de nous faire avouer. Après une corrida terrible – Jacob nous jetait contre les murs – on volait dans les airs dans le bureau du Rapportführer – le plus lourd d’entre nous pesait peut-être 65 kilos ». Robert Gaillard.

Jacob était un colosse de 1m 95 qui, d’après la rumeur du camp, aurait été le sparring partner de Max Schmelling, le champion du monde de boxe poids lourds : C’était un homme énorme. Il pesait peut être 135 – 140 kilos. En plus des tortures auxquelles il participait au block, il allait sur les places publiques pour donner des exemples aux populations des pays occupés, pendre des résistants et même couper la tête des suppliciés. Cela nous fut raconté dans le camp ». Louis Eudier.

Mais, pour Hermann Langbein, Jacob était loin d’être un valet zélé des SS : Jakob Kozelczuk avait frappé les SS par sa carrure athlétique et sa taille quand il était arrivé à la fin de 1942, avec un transport de Juifs venant de Pologne orientale. En raison de ces avantages physiques hors du commun, ils firent de lui une manière de garçon de salle au Bunker, responsable non seulement de l’ordre dans les cellules, mais des exécutions qui avaient lieu régulièrement devant le « Mur noir ». Il devait aussi assister à celles qui avaient lieu sur la place d’appel. En échange de quoi, il avait assez à manger et à boire et disposait d’une chambre à lui dans le block du Bunker. Il ne tarda pas à circonvenir habilement les SS de service, si bien qu’il finit par avoir une grande liberté de mouvements. Désigné comme bourreau par les SS – et ainsi appelé dans tout le camp -, Jakob a aidé beaucoup de détenus, selon ses possibilités et pas seulement ses coreligionnaires. Pourtant son comportement a été jugé de façon très diverse. Auprès de ceux qui ne l’avaient pas connu personnellement au Bunker, il avait mauvaise réputation (…). Je ne suis pas le seul, moi qui l’ai vu à l’œuvre dans le Bunker, à attester qu’il a aidé beaucoup de prisonniers avec courage (…). Je suis convaincu que Jakob a fait plus : il s’est servi de son rôle de bourreau pour pouvoir aider, c’est pourquoi nombreux ont été les témoins à décharge, quand, après la guerre, une instruction fut ouverte contre lui en Israël » (Hermann Langbein).

Cependant, ce jour-là, les quatre « 45 000 » doivent endurer ses coups : « Battus à coups de câble d’acier et de bottes ferrées, nous sommes envoyés sanglants au Bunker. Là, il fallut nous mettre nus. A coup de schlague et de bottes, le Blockführer nous fait entrer dans une cellule en ciment : un mètre 80 de haut sur 90 de large. Il nous dit que nous n’en sortirons pas vivants. Il est vrai qu’à quatre dans un réduit pareil, on ne tarderait pas à manquer d’air. Nous y sommes restés 27 heures, sans nourriture, avec un petit seau ébréché de 3 litres pour nos besoins et à cinq. En effet quelques heures après, nous est arrivé un Russe qui venait d’être battu et, certainement, torturé. Comprenant que nous étions Français, il nous a expliqué qu’il est Stubedienst et qu’il a été vu, revenant avec une lettre de résistant qui se trouvait dans les caves. Il pense: « Nach Appel, on sera fusillés ». On raconte notre vie, chacun s’assoit à son tour sur le seau rapidement rempli : car on a tous la diarrhée » Robert Gaillard 

Les exécutions par suppression de nourriture dans les cachots du block 11 faisaient partie de l’arsenal répressif du camp. En 1941, elles servaient de punition collective en cas d’évasion. Une dizaine de détenus (ou davantage), qui appartenaient au kommando ou au block de l’évadé, étaient choisis pendant l’appel et conduits au block 11. Privés d’eau et de nourriture, ils mouraient au bout de quelques jours, une quinzaine tout au plus, dans de terribles souffrances. Ces « sélections » furent abandonnées en août 1941, à la suite du sacrifice du père franciscain Maksymilian Kolbe. Celui-ci avait demandé à prendre la place d’un père de famille. Au bout de deux semaines, les SS le liquidèrent avec les trois autres survivants par une piqûre d’acide carbonique. Cependant, la peine de mort par la faim continua d’être appliquée à l’encontre de prisonniers coupables de délits de discipline -.

Robert Gaillard : «Finalement, on s’en est tous sortis. Parce que le Blockführer du block n’avait pas consigné notre internement au Bunker et que le commandant du camp qui visitait le block 11 venait de demander le registre du Bunker. Il a envoyé un soldat pour nous faire sortir avant que le commandant ne soit descendu et ne constate qu’une sanction avait été prise sans autorisation.  Louis Eudier confirme également la venue du commandant du camp «Comme le Blockfürher avait oublié de nous inscrire sur le registre, un soldat descendit pour nous faire sortir, avant que le commandant ne soit descendu dans les caves du Block 11. Nous l’avions échappé belle, le camarade soviétique aussi».

L’épisode se situe donc le 23 novembre 1943 : Liebehenschel avait interdit d’enfermer des détenus dans les cachots du block 11 sans l’accord du commandant ou, du moins, du Lagerführer, son adjoint immédiat.

  • Note 1 : Trag : sorte de caisse en bois avec des poignées qui, une fois pleine, pesait plus de 150 kg.

Sources

  • Extraits de Claudine Cardon-Hamet,«Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942», pages 259-260. Editions Autrement, 2005 Paris.
  • Témoignages de Robert Gaillard (cassette audio enregistrée en mai 1987 au block 11, lors d’un pèlerinage à Auschwitz et questionnaires rempli à Cracovie le 16 mai 1987).
  • Extraits du livre de Louis Eudier, «Notre combat de classe et de patriotes (1934-1945»), Le Havre, Imprimerie Duboc, sd., p. 101-102.
  • Hermann Langbein,La Résistance, p. 233 et 234.
  • Patricia Treece, Un homme pour les autres, Maximilian Kolbe, éd. Pygmalion, Paris, 1984.
  • Photo Stehzelle im Bunker des Blocks 11 Photos from Antifascistess …

En cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique, prière de mentionner les références : Claudine Cardon-Hamet, in site deporte-politiques-auschwitz.fr

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