Papillon de juillet 1940 © Musée de Montreuil
Le procès de 9 jeunes communistes des 14ème et 15èmearrondissements a lieu le 1er mars 1941 devant la 15ème chambre du tribunal correctionnel de Paris. Inculpés d’infraction au décret du 26 septembre 1939, ils sont condamnés à des peines de prison allant de 3 à 6 mois. Arrêtés à nouveau le 28 avril 1942 trois d’entre eux seront déportés à Auschwitz (Jean Christian, Paul Gianni, Jean Nicolaï).

Leurs arrestations et inculpations ont lieu à la suite de l’interpellation le 15 décembre 1940 par des agents cyclistes rue des Volontaires (Paris 15ème), de deux jeunes en train de coller des papillons intitulés « Pour que vos enfants aient du pain ».
II s’agit de Camille Gianni et de Jean Christian. Si Camille Gianni réussit à s’enfuir, Jean Christian est arrêté et emmené au commissariat de police
Saint-Lambert du 15ème arrondissement.
« Les agents ramassèrent quatre exemplaires de l’affiche en question. Cinq exemplaires ronéotypés de l’Humanité. Un exemplaire du numéro 85 du même journal. Un écrit dactylographié de quatre pages intitulé « Union des comités populaires des jeunes chômeurs de Paris » qui donne des renseignements de nature à favoriser le développement des comités populaires de jeunes chômeurs. 15 bons à tarif réduit du comité populaire pour les jeunes chômeurs. Fouillé, Jean Christian fut trouvé porteur de quinze bons à tarif réduit, de deux papillons gommés portant la suscription « Pas de camp de Travail ! Du travail ! » (Extraits du Procès verbal d’arrestation).

Pendant qu’il est interrogé par le commissaire de police, le domicile de Jean Christian est perquisitionné : des écrits communistes sont saisis ainsi qu’un carnet de poche où il notait des noms et portait des indications sur les différents chefs de groupe. « C’est par la perquisition faite chez lui que Jean Christian avoua le rôle qu’avait chaque co-inculpé ici présent » (audience du 1er mars 1941).

Jean Christian reconnaît faire partie d’un groupe de quatre jeunes communistes : Jean Nicolaï, Paul Gianni et Jeannine Gagnebin âgée de 24 ans, dont il affirme qu’elle en est la responsable. Il désigne comme chefs de groupe Julien Baudois et Camille Gianni. Suzanne Helembrand serait la responsable politique de l’arrondissement et Jean Nicolaï chargé du secteur des jeunes chômeurs. Le flagrant délit, la perquisition et l’interrogatoire ont très certainement entraîné un marchandage entre Jean Christian et les policiers. Lors du procès, Suzanne Helembrand, dira d’ailleurs « j’ai la certitude qu’il nous a fait tous arrêter pour éviter l’arrestation d’un être cher ».
Paul Gianni, frère ainé de Camille Gianni et leur père, Antoine Gianni, ainsi que Roger Plagiau et Jean Richard sont arrêtés le 18 décembre par les commissariats Saint Lambert du 15ème et Plaisance du 14ème. Ils sont interrogés et envoyés au Dépôt de la Préfecture, puis à Fresnes.

Le 11 janvier 1941 ils sont réinterrogés en tant qu’inculpés d’infraction au décret du 26 septembre 1939 (le PV mentionne les noms de leurs avocats : pour les Gianni, c’est maître Rolnikas, pour Jean Nicolaï et Suzanne Helembrand ce sont maîtres Hajje et Santarelli, pour Jeannine Gagnebin, maître G. Rolin). Le 21 janvier 1941, se déroule un interrogatoire et confrontation devant le juge Angéras pour Suzanne Helembrand assistée de maîtres Hajje et Santarelli.
Le réquisitoire définitif est établi le 1er février 1941. Le jugement a lieu le 1er mars 1941 au tribunal de 1ère instance du département de la Seine,
police correctionnelle, 15ème chambre.
Jeannine Gagnebin (17 ans), Jean Nicolaï (19 ans), Paul Gianni (18 ans) et Julien Baudois (20 ans) sont condamnés à 3 mois de prison. Suzanne Helembrand (24 ans) est condamnée à 4 mois. Camille Gianni (17 ans et Jean Christian (19 ans) sont condamnés à 6 mois de prison. Ils sont envoyés au Dépôt puis à Fresnes. Le jeune Roger Plagiau (2) est « laissé libre ». Ils sont tous libérés à l’expiration de leur peine.

Jean Nicolaï

Jean Christian, Paul Gianni et Jean Nicolaï sont arrêtés à nouveau comme otages, le 28 avril 1942 lors d’une rafle organisée par l’occupant dans tout le département de la Seine.  Lire La  politique allemande des otages (août 1941 -octobre 1942).

Paul Gianni

Suivant cette politique des otages, les autorités d’occupation ordonnent l’exécution d’otages et arrêtent ce 28 avril 387 militants, arrêtés en région parisienne une première fois par la police française pour activité communiste depuis l’interdiction du Parti communiste (26 septembre 1939) ou depuis l’armistice et libérés à l’expiration de leur peine. Il s’agit de représailles à la suite d’une série d’attentats à Paris (le 20 avril un soldat de première classe est abattu au métro Molitor, deux soldats dans un autobus parisien, le 22 avril un militaire est blessé à Malakoff).

Jeannine Gagnebin a épousé Camille Gianni. En 1945, elle anime la chorale « Guy Moquet » du 14ème avec André Deslandes, qui en est le trésorier.  Grâce à des anciens de la chorale, André Deslandes a pu retrouver Camille et Jeannine Gianni et leur communiquer les informations qu’il avait obtenues à la Préfecture de Police sur leur procès.
Jeanine Gianni lui écrivait en 1998, après la publication de « Mille otages », qu’elle allait offrir le livre à ses enfants.

Claudine Cardon-Hamet. Docteure en histoire, auteure des ouvrages « Triangles rouges à Auschwitz » et de « Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 ». En cas de reproduction partielle ou totale de cet article, prière de citer les coordonnées du site https://deportes-politiques-auschwitz.fr  et le nom de l’auteur .

Note 1 : Les avocats, Antoine Hajje et Michel Rolnikas, sont arrêtés en juin 1941. Ils sont internés à Compiègne et fusillés le 20 septembre 1941 au Mont-Valérien. Lire leurs biographies dans le blog

Note 2 : Dans les documents de la Préfecture de Police c’est le nom de « Roger Pagiau » qui est mentionné. Toutefois Roger Plagiau, jeune militant communiste né le 30 mai 1918 au Creusot, ouvrier ajusteur qui habitait le quinzième arrondissement au 60 rue Berger, a bien été arrêté à cette période (témoignage recueilli par ses petites nièces auprès de leur tante âgée de 93 ans en 2015). Un document de 1953 (demande d’attribution du titre de déporté) précise son adresse dans le quinzième arrondissement. Il m’a été transmis par sa petite fille, Mme Cividino-Laurent. Il s’agit vraisemblablement d’une erreur de transcription du greffe ou du commissariat. Roger Plagiau a été à nouveau arrêté à Cerny (Seine-et-Oise), tout en ayant conservé son logement 60 rue des Bergers. Le 15 août 1944, il est déporté depuis le camp allemand de Compiègne vers le camp de Buchenwald où il reçoit le matricule 76853, puis au camp de Dora Mittelbau. Il est rescapé.

Claudine Cardon Hamet, à partir des persévérantes recherches faites pendant plusieurs années par André Deslandes en mémoire de son frère et des jeunes communistes des 14ème et 15ème arrondissements.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *