Matricule « 45 694 » à Auschwitz
Esprit Jourdain : né à Concarneau en 1916, où il habite ; sertisseur ; communiste ; arrêté le 11 juin 1941 ; interné à Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt en février 1943.
Esprit, Henri Jourdain est né à Concarneau, le 23 octobre 1916 et y habite au 11, rue de Malakoff au moment de son arrestation. Il est le fils de Victoria Le Dars, 35 ans, ménagère et de son mari, Joseph Jourdain, 35 ans, ouvrier boitier. Il est le cadet d’une fratrie de six enfants (1) : Pauline, est née 13 octobre 1904 (2), Marie, Victoria née 3 mars 1906, Louise née le 8 octobre 1907, Jeanne, Rosine, née le 3 juin 1909 et Marguerite, Jeanne le 18 octobre 1910. En 1921 la famille habite au 11, rue de Malakoff à Concarneau.
En 1931 son père est soudeur, sa sœur Jeanne est brodeuse.
En 1935, Esprit Jourdain est manœuvre sertisseur à l’usine de conserves Provost-Barbe à Concarneau, comme son camarade Victor Louarn.
Conscrit de la classe 1936, Esprit Jourdain est recensé pour l’Armée sous le matricule « n° 997 » à Quimper.
Esprit Jourdain adhère aux Jeunesses communistes en 1936 ou en 1937, puis rejoint le
Parti communiste en septembre ou octobre 1939.
Conscrit de la classe 1936, il est mobilisable en 1939.
Le 19 juin 1940, après une campagne éclair, les premiers soldats allemands entrent dans Quimper. Le 20 juin ils occupent Concarneau. Le 22 juin, l’armistice est signé : la moitié nord de la France et toute la façade ouest sont occupées. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ».
Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
Au début de l’Occupation, Esprit Jourdain prend part à la restructuration du Parti communiste clandestin et fait partie du premier groupe armé de l’OS (Organisation spéciale du Parti communiste).
Selon le témoignage d’un concarnois « Issu d’une famille très modeste, il était venu demander un lot de vêtements à la responsable des distributions à l’entraide sociale de Concarneau » (témoignage rapporté par Michel Gueguen).
Esprit Jourdain est arrêté, avec Victor Louarn, le 11 juin 1941.
Il est déféré devant le parquet de Quimper avec Victor Louarn et deux autres suspects, le 12 juin 1941 pour diffusion de tracts et propagande communiste (infraction au décret du 26/9/1939).
Sa condamnation et celles d’autres militants ( Victor Louarn 22 ans, à 6 mois de prison et privation des droits civiques, René Mouton, 19 ans, et Jean Glémarec 20 ans, à 3 mois de prison, est relatée dans la presse locale… dont l’hebdomadaire Arvor du 29 juin, dont la parution est autorisée par la Propaganda Staffel, paraissant en Breton entre 1941 er 1944).
Condamné à 6 mois de prison, il est emprisonné à Quimper. Si, comme l’a relevé M. Michel Gueguen, le commissaire spécial signale au moment de son arrestation que « l’expérience prouve que les condamnations ne dépasseront pas 3 mois de prison« , son nom ainsi que celui de Victor Louarn figure bien sur une liste de « militants communistes arrêtés ou internés » ainsi que 19 autres noms pour le Finistère, à la date du 27 novembre 1941, date correspondant aux 6 mois de prison.
Nous savons également par le témoignage de Victor Louarn , rescapé du convoi du 6 juillet 1942, que condamné comme Esprit Jourdain à 6 mois de prison, il est incarcéré à la prison de Quimper ou de Brest (Le Bourguen) entre le 12 juin 1941 et le 30 avril 1942.
C’est donc sans doute vers cette date, correspondant presqu’au double de sa peine, que les autorités allemandes le réclament et l’internent au camp allemand de Royallieu à Compiègne (le Frontstalag122), probablement le 30 avril 1942, en vue de sa déportation comme otage.
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Depuis le camp de Compiègne, Esprit Jourdain est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks, responsables aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le Parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Esprit Jourdain est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro matricule « 45 694 » selon la liste par matricules du convoi établie en 1974 par les historiens polonais du Musée d’Etat d’Auschwitz.
Sa photo d’immatriculation (3) à Auschwitz a été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession.
Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Esprit Jourdain, maintenu à Birkenau y meurt d’épuisement en février 1943, selon le témoigne de Victor Louarn, rescapé du convoi, qui l’a vu la veille de sa mort, au Revier (l’infirmerie) grâce à André Seigneur qui y était infirmier.
Son nom ne figure pas dans les « Registres des morts d’Auschwitz » qui, pour cette période, comporte une lacune entre le 8 et le 16 février 1943. Il serait donc probablement décédé entre ces deux dates.
La brochure « Concarneau sous l’occupation» mentionne son nom.
En septembre 1945, le Conseil municipal de Concarneau à majorité communiste donne son nom à une rue de la ville, ainsi que ceux de huit autres résistants.
Au cimetière de Concarneau, sur la tombe de son père figure une plaque « à la mémoire de Esprit Jourdain, mort à Auschwitz, 1942 ».
- Note 1 : Il est possible qu’il ait eu une plus nombreuse fratrie, car on trouve de nombreux patronymes « Jourdain » sur les tables décennales de Concarneau entre 1904 et 1916. Mais les actes de naissance n’étant pas consultables par internet après 1898, nous n’avons pu faire de vérification que par le biais des recensements à partir de l’année 1921.
- Note 2 : Pauline Jourdain : elle fut la secrétaire de Léopold Zborowski, poète et marchand d’art, elle même directrice d’une galerie d’art en 1948 (notice janvier 2021 in compte Facebook de Soutine Lebrun-Franzarolli reprenant les éléments et la photo de la présente notice (sans pourtant la citer) et le journal l’Aube du 22/12/1948).
- Note 3 : 522 photos d’immatriculation des « 45 000 » à Auschwitz ont été retrouvées parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation du camp d’Auschwitz. A la Libération elles ont été conservées dans les archives du musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau. Des tirages de ces photos ont été remis par Kazimierz Smolen (ancien détenu dans les bureaux du camp d’Auschwitz, puis devenu après-guerre directeur du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau) à André Montagne, alors vice-président de l’Amicale d’Auschwitz, qui me les a confiés.
Sources
- Témoignage de Victor Louarn.
- Archives municipales de Concarneau.
- Recherches de Michel Gueguen, historien (courrier 1993)
- Photo soldats allemands : brochure : Concarneau sous l’occupation » éditée par la ville de Concarneau en 1985 (recherches historiques Michel Guéguen et Louis-Pierre Lemaitre).
- Listes – incomplètes – du convoi établies par la FNDIRP après la guerre (archives de la F.N.D.I.R.P).
- Fiche FNDIRP remplie par la veuve de Victor Louarn (N° 21488 / 8387), qui en réfère aux témoignages de deux rescapés Charles Lelandais « 45.774 » et Eugène Beaudouin « 45.207 ».
- Fichier national de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen.
- AD 29 : état civil et recensements de Concarneau, Recherches Pierre Cardon.
Notice biographique rédigée en juillet 2001 (complétée en 2017, 2021 et 2024) par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : « Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 », Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice.
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