Matricule « 45 437 » à Auschwitz
Abel Delattre : né en 1913 à Maubeuge (Nord) ; domicilié à Paris (6ème) ; charpentier mécanicien ; arrêté le 27 mars 1941 par la BS1, relaxé, arrêté le 28 février 1942 comme otage communiste ; interné à Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il meurt, le 22 décembre 1942.
Abel, Henri, Joseph, Delattre est né le 20 août 1913 à Maubeuge (Nord). Au moment de son arrestation, il habite au 17, rue Séguier à Paris (6ème), où son épouse est concierge.
Il est le fils de Jeanne Louvrier, née le 7 avril 1881 à Hon-Hergies (Nord) et d’Albert, Henri Joseph, né le 22 février 1881 à Cousolre (Nord).
Il est charpentier mécanicien, reproducteur en chaudronnerie (1) à la Société anonyme de travaux « Dyle et Bacalan » à Saint-Denis (Seine / Seine-Saint-Denis).
Le 22 juillet 1933, à Maubeuge, il épouse Marie, Thérèse, Virginie Demay (elle est née le 12 novembre 1911 à Montreuil-sur-Mer, Pas-de-Calais. Elle décèdera en 1988). Le couple a un fils, Abel-Marius, qui naît le 20 janvier 1934 à Louvroil (Nord). Il est décédé le 17 juin 2003 à Lonjumeau (Essonne).
Le 14 juin 1940, les troupes de la Wehrmacht entrent dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français » et lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…)
Pendant l’Occupation, en mars 1941, l’augmentation de la diffusion de la propagande communiste à Saint-Denis et dans les communes voisines inquiète le préfet de police Camille Marchand, qui missionne la Brigade spéciale des Renseignements généraux pour en appréhender les auteurs. Lire dans le site La Brigade Spéciale des Renseignements généraux .
Les inspecteurs « Le… » et « Va… » effectuent filatures et enquêtes et notamment ils filent Abel Delatte et plusieurs autres militants dont Demerlé qui habite le même immeuble que lui, au 17, rue Séguier (et qui refusera de communiquer les noms de ses contacts). A l’issue de celles-ci, les inspecteurs écrivent : « A la suite d’une nouvelle recrudescence de tracts d’inspiration communiste dans la circonscription de Saint-Denis, nous avons appris que Delattre entretenait des relations suivies avec des communistes et se livrait, dans son entourage à la propagation des mots d’ordre de la IIIème Internationale en diffusant des tracts subversifs ». « Nous savions qu’il détenait chez lui des brochures et des tracts de propagande ».
Abel Delattre est arrêté le 27 mars 1941 à 17 h 30 à son travail, 164, rue du Landy à Saint-Denis. Cinq tracts communistes et quatre brochures de Karl Marx sont saisis au cours de la perquisition effectuée à son domicile. Abel Delattre est interrogé le 28 mars 1941 et nie toute participation à des activités politiques et refuse, comme son voisin Demerlé, de donner le nom des militants qu’il a rencontré depuis la dissolution du Parti communiste. L’énumération des scellés montrent qu’il s’agit de documents achetés avant-guerre (Travail et capital, Salaires, prix et profits, La journée de travail, Le marxisme et la question nationale), et de périodiques imprimés clandestinement depuis la dissolution du Parti communiste (La Vie Ouvrière, n° 21 du 25 janvier 1941 et n° 23 du 8 février 1941) et de trois tracts (Peuple de France, Français ! Françaises…, Il faut faire payer les riches…).
Il est inculpé par le commissaire André Cougoule (2) d’infraction aux articles 1 et 3 du décret du 26 septembre 1939 (dissolution du Parti communiste) et conduit le 29 mars au Dépôt à la disposition du procureur.
Ecroué à la Maison d’arrêt de la Santé, il est relaxé à la Préfecture le 5 mai 1941. Mais, il est désormais parmi les suspects d’activités communistes dans les fichiers de la Préfecture.
Il est de nouveau arrêté le 28 avril 1942, à son domicile, comme otage communiste, lors d’une rafle concernant tout le département de la Seine et visant des militants du Parti communiste clandestin ou considérés comme tels. Lire dans le site La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942). Suivant cette politique des otages, les autorités d’occupation ordonnent l’exécution d’otages déjà internés et le 28 juin, arrêtent 387 militants (avec le concours de la police parisienne), dont la plupart avaient déjà été arrêtés une première fois par la police française pour « activité communiste » depuis l’interdiction du Parti communiste (le 26 septembre 1939) et libérés à l’expiration de leur peine. Les autres sont connus ou suspectés par les services de Police. Il s’agit de représailles ordonnées à la suite d’une série d’attentats à Paris (le 20 avril un soldat allemand de première classe est abattu au métro Molitor, deux soldats allemands dans un autobus parisien, le 22 avril un militaire allemand est blessé à Malakoff). Lire le témoignage de Claude Souef : La rafle des communistes du 28 avril 1942 à Paris. Les hommes arrêtés sont rapidement conduits au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (le Frontstalag 122).
Le 28 avril au soir, Abel Delattre est interné avec ses camarades au camp allemand (le Frontstalag 122) de Royallieu à Compiègne, Oise. A Compiègne, il est affecté à la chambre 8, bâtiment C5.
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Depuis le camp de Compiègne, Abel Delattre est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Abel Delattre est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro «45 437» selon la liste par matricules du convoi établie en 1974 par les historiens polonais du Musée d’Etat d’Auschwitz. Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a pas été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ». Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Abel Delattre meurt à Auschwitz le 22 décembre 1942 selon la liste établie par les historiens polonais.
La mention Mort en déportation est apposée sur son acte de décès (arrêté du 16 janvier 2008 paru au Journal Officiel du 30 janvier 2008). Cet arrêté qui corrige le précédent qui indiquait « mort 24 juin 1942 à Compiègne » mentionne néanmoins une date erronée : « décédé le 29 juin à Auschwitz (sans autre renseignements ».
Il est homologué comme « Déporté politique », « Mort pour la France ». Abel Delattre (GR 16 P 168377) est homologué au titre de la Résistance intérieure française (RIF) comme appartenant à l’un des mouvements de Résistance.
- Note 1 : Le reproducteur en chaudronnerie déforme ou découpe après traçage le métal (métal en feuille, tôle, tube, profilé) et autres matériaux, à partir de plans, schémas ou pièces-modèles. Il utilise des outils à main et des machines appropriées (cisaille, rouleuse, plieuse, lunette de géomètre).
- Note 2 : André Cougoule, est inspecteur principal en novembre 1940. Son zèle anticommuniste lui vaut de passer rapidement commissaire principal (dès juin 1941, c’est lui qui a la responsabilité de la « Brigade spéciale n°1 »).
Sources
- Archives de la Préfecture de police de Paris, Cartons occupation allemande, BA 2374. Fichier des Brigades spéciales.
- « Affaire Delattre », carton Brigades Spéciales des Renseignements généraux (BS1), Archives de la Préfecturede police de Paris.
- Liste (incomplète) par matricule du convoi du 6 juillet 1942 établie en 1974 par les historiens du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau (Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (Ministère de la Défense, Caen) indiquant généralement la date de décès au camp et site du Musée-Mémorial d’Auschwitz-Birkenau.
- Fichier national du Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), Ministère de la Défense, Caen. Fiche individuelle consultée en juin 1992.
- © Site Internet Légifrance.gouv.fr
- © Site Internet WWW. Mortsdanslescamps.com
- © Photo de la porte d’entrée du camp d’Auschwitz : Musée d’Auschwitz-Birkenau.
Notice biographique mise à jour en 2010, 2013, 2019 et 2021 à partir d’une biographie rédigée en janvier 2001 pour l’exposition organisée par l’association « Mémoire Vive » à la mairie du 20ème arrondissement, par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages :Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 »,éditions Autrement, Paris 2005) et de Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé), qui reproduit ma thèse de doctorat (1995). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com
merci a tous ceux qui ont écrit en la mémoire d'un combattant pour la liberté
mon grand père un homme que je n'ai
pas connu
Merci d’avoir relaté la vie de mon grand-père Abel Henri Joseph Delattre nous en savions un peu mais pas tout. L Delattre fille de Abel Delattre.