Article rédigé à partir d’extraits de mon intervention aux journées d’étude du témoignage oral des déportés et internés dans les établissements scolaires, organisées par la FNDIRP et l’Association des Professeurs d’Histoire et géographie (APHG) les 23 et 24 novembre 1990 à la Sorbonne.
Ces journées étaient présidées par Marie-Claude Vaillant-Couturier et Marie-Jo Chombart de Lauwe.
Une brochure a été produite à l’issue de ces journées.
Professeur au lycée Honoré de Balzac à Paris, je préparais alors ma thèse sur les débuts de la déportation de répression à travers l’histoire du convoi d’otages majoritairement communistes parti de Compiègne le 6 juillet 1942 pour Auschwitz.
Le professeur et le témoin : Le témoignage et le cours (p.47 et 48)
« A plusieurs reprises, j’ai retouché l’organisation de mes rencontres élèves-déporté(s) afin d’en améliorer la formule.
Il me semble indispensable de préparer l’entrevue avant la venue du ou des déportés. Je m’entends d’abord avec lui sur
la façon dont il va aborder les questions des élèves.
Je considère que c’est au professeur de s’informer et d’informer ses élèves sur les sujets d’histoire qui leur permettront de comprendre la déportation de celui qui viendra leur parler.
C’est pourquoi je fais au préalable un cours sur le nazisme, le régime de Vichy, puis je leur passe un film. Lorsque vient le rescapé de la déportation, les élèves possèdent ainsi des connaissances sur le système concentrationnaire et surtout sur ses objectifs politiques, militaires et raciaux (notamment, sur « la solution finale du problème juif en Europe »).
Le déporté apporte de son côté son expérience, son vécu, qui sont irremplaçables. Je lui réserve donc ce qui est la partie vécue de l’univers
concentrationnaire. Ce qui évite les pertes de temps que constituent souvent les « leçons d’histoire » faites par le déporté.
Je lui demande à chaque fois qu’il fasse un exposé préliminaire où il se présente, de façon à faire apparaître aux élèves qu’il était alors quelqu’un de leur âge, ce qui est très important pour la qualité de leur écoute.
Je lui demande de dire pourquoi il a été arrêté, dans quelles conditions, et pour les résistants, quel était le sens du combat qui l’a emmené vers la
déportation. Je lui demande aussi d’évoquer ses internements en France, un fait généralement méconnu des élève). Il évoque ensuite sa déportation, les camps où il a survécu, son retour en France.
J’estime que cet exposé préliminaire est important parce qu’il crée un lien personnel immédiat entre le déporté et les élèves. Il permet à ceux-ci de se situer par rapport à lui et peut être de s’identifier un peu à lui, dans la mesure où il était un jeune comme eux quand il a été déporté.
Ensuite, il répond à leurs questions. Cette première prise de parole est importante, car elle lui permet de leur dire immédiatement ce qui est essentiel pour lui, sans être à la merci de leurs seules questions. (…)
Après cette entrevue, je distribue un questionnaire individuel à mes élèves, car je me suis aperçue que c’était une façon de bien évaluer l’importance et l’impact de la rencontre. Le questionnaire comporte le nom, le prénom de l’élève et sa classe, mais j’indique qu’il peut rester anonyme.
1″ question : Considérez-vous cette entrevue comme très bonne, bonne, passable, médiocre ? Que vous a-t-elle apporté au niveau de la connaissance du système concentrationnaire et de l’univers concentrationnaire ? Que vous a-t-elle apporté au plan humain ? Les réponses convergent pour dire l’intérêt du contact direct.
2ème question : la formule existante vous convient-elle ? Désirez-vous des améliorations ? Généralement, les élèvent sont satisfaits. Certains suggèrent d’organiser un pèlerinage dans un camp de concentration.
3ème question : Qu’avez-vous envie de dire à notre invité ? Les réponses disent la prise de conscience que cette entrevue leur a permis d’opérer.
Les élèves disent qu’ils comprennent mieux la réalité des camps. Ils disent aux déportés « merci, plus jamais ça ». Ils leur disent : «continuez, courage» et l’un d’eux a écrit «je vous souhaite d’être heureux».
4ème question: Quelles réflexions tirez-vous de cette expérience ? Les réflexions sont « fin au racisme », « plus jamais ça », « la déportation détruit toute une vie ». Ils disent aussi « il faut donner une meilleure place à l’histoire de la Seconde guerre mondiale et de la déportation dans les programmes ».
Les autres réflexions sont : « Que ferons-nous quand les déportés seront morts ? ». C’est-à-dire qu’ils ont senti l’importance du témoignage direct, son impact, sa vérité, son authenticité.
D’autres ont dit qu’ils ont compris l’importance de la solidarité, du courage, de l’espoir : « l’important c’est de ne pas désespérer ». Les déportés pour faits de Résistance apportent un message d’espoir parce qu’ils ont été des combattants et qu’ils continuent à le combat pour la liberté et la dignité de l’Homme en venant témoigner.
Je leur pose une dernière question : Voulez-vous approfondir votre connaissance de la déportation par la lecture de Iivres sur le sujet (étude historique ou témoignages de rescapés). Ils ont dit généralement oui, qu’ils avaient envie d’aller plus loin, expliquant que pour eux c’était une expérience
exceptionnelle et que ça compterait beaucoup dans leur vie ».
Claudine Cardon-Hamet, 24 novembre 1990
2006, deux mois avant sa mort Georges Guinchan témoigne chez lui devant des élèves. 2 DVD ont été réalisés à
partir de ces témoignages en 2005 et 2006 par les élèves du L.P. Toussaint Louverture de Pontarlier, avec le concours de leur professeur d’Histoire, M. Christian Defrasne (août 2010).