Matricule « 46 312 » à Auschwitz

Abram Wajsbrod © Marie Anaf
Abram Wajsbrod : né en 1887 à Checiny (Pologne) ; habite à Paris 19è ; commerçant ; de nationalité polonaise ; arrêté en novembre 1940 ; interné au camp des Tourelles, puis à Drancy et Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz comme otage Juif, où il meurt le 2 août 1942.

Abram (Abraham) Wajsbrot ou Wajsbrod (1) est né le 18 novembre 1887 à Checiny (Pologne), une petite ville située à une soixantaine de kilomètres au sud de Varsovie. Emigré en France vers 1926, il y conserve sa nationalité polonaise.
Au moment de son arrestation il est domicilié au 3, cité Jandelle, à Paris 19è (adresse communiquée par son épouse en 1946), mais il a donné deux autres adresses au camp de Drancy : le 7, rue de Palikao à Paris 20è et le 32, rue du Pressoir dans le même arrondissement.

Il est le fils de Jakob Wajsbrod et de Malka Faiga (ou Fajgla) née Obarzanek.
Il est
marié avec Szajndla (Sonia) Frisch, née le 23 février 1893 à Lazow (Pologne).
Le couple a deux enfants, Esther née en 1918 et Ruth (Monique pendant la Résistance selon les souvenirs de la petite-fille de celle-ci), née en 1922, toutes deux à Chemnitz (République de Weimar).

Sonja et Abram © Marie Anaf
Sonja et Abram © Marie Anaf

Après avoir habité Goussainville (Seine-et-Oise) puis au Touquet-Paris plage en 1936, la famille est peut-être domiciliée un temps au 7, rue de Pali Kao, dans le 20è arrondissement de Paris, où habitent de nombreuses familles immigrées polonaises, puis au 3, cité Jandelle (au niveau du 55, rue de Rebeval), à Paris 19è au moment de l’arrestation d’Abram Wajsbrod
(en 1946, son épouse est domiciliée à cette adresse).
Selon les souvenirs familiaux, il est communiste.
Il parle de nombreuses langues.

Le 14 juin 1940, les troupes de la Wehrmacht entrent dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français » et lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).

Abram Wajsbrod est peut-être arrêté pour « activités politiques », en tant « qu’étranger indésirable ».
Etant polonais, Abram Wajsbrod est interné à partir du 13 novembre 1940 à la caserne des Tourelles (2) dans le quartier des « indésirables». Il y est « chef de chambrée », au moins jusqu’au 14 août 1941.
Il est transféré au camp de Drancy le 22 août 1941 (in archives des Tourrelles consultées par sa petite fille).
Son épouse et leurs filles parviennent à se réfugier à Clermont-Ferrand (note 3)

Fiche du camp de Drancy © Mémorial de la Shoah

A Drancy, il reçoit le matricule « 9325 », affecté à la chambre 14, escalier 21.

Le camp de Drancy

A partir du 26 août 1941, 4232 Juifs sont internés à Drancy à la suite de rafles ordonnées par le Préfet de la Seine, Pierre Charles Magny…
Le camp de la Cité de la Muette de Drancy devient une plaque tournante de la déportation des Juifs de France.

Le 27 avril 1942, le nom d’Abram Wasjbrod est inscrit sur une liste de détenus de Drancy dont les valises sont fouillées par vingt-quatre inspecteurs de la Police des questions juives (PQJ). Cet épisode occasionne la protestation de l’inspecteur Koerperich de la PQJ, auprès du commandant de gendarmerie Richard, commandant le camp de Drancy, protestation traitant de l’envoi d’internés au travail, et des mauvais traitements qui leur ont été infligés (in Mémorial de la Shoah).

Abram Wajsbrod est transféré le 29 avril 1942 au camp allemand de Compiègne (le Frontstalag 122) : il fait partie du transfert de 784 Juifs de Drancy vers Compiègne (au camp C). 751 d’entre eux sont déportés le 5 juin 1942 à Auschwitz, et quelques autres, dont  Abram Wajsbrod sont déportés dans le convoi du 6 juillet 1942. Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages». 

Depuis le camp de Compiègne, Abram Wajbrod  est déporté à Auschwitz comme otage Juif dans le convoi du 6 juillet 1942. 

Son épouse se réfugie à Clermont-Ferrand : « Esther se cachera avec sa maman pendant la guerre, dans divers lieux à Clermont-Ferrand (Attestation du Colonel Arnaud). Ruth -ma grand-mère – (Monique était le prénom, il me semble, qu’elle avait pris pour sa nouvelle identité pendant la guerre : elle l’a gardé toute sa vie par la suite), a participé à des actions de résistance (elle transportait des lampes pour les radios, des tracts,… mais je n’ai que très peu de détails rapportés par mon père). Esther, Sonja et Ruth se retrouveront à Paris à la fin de la guerre » (Marie Anaf).

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942.
Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Entrée de Birkenau

Abram Wajsbrod est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro matricule «46 312» selon la liste incomplète, par matricule du convoi, établie en 1974 par les historiens polonais du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau.
Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a pas été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.

Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ». Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, dont tous les juifs du convoi, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.

Abram Wajbrod meurt à Auschwitz le 2 août 1942 d’après le certificat de décès établi au camp d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz Tome 3 page 1293 et sur le site © Mémorial et Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau). Son nom figure sur le registre du Block 28, un des Blocks de l’infirmerie d »Auschwitz (référencé sous l’orthographe de Wajsbrot, mais avec la date et le lieu de naissance corrects. Référence du Musée block 28/7.

« Les victimes les plus menacées par [les] actions criminelles [des SS et des Kapos] sont en premier lieu les Juifs. Sur les cinquante et un « 45 000 » morts au cours du premier mois (entre le 8 juillet et le 8 août), 21 étaient des Juifs. Le 18 août au matin, 40 jours après l’arrivée, 34 d’entre eux avaient perdu la vie (soit 68 % de leur nombre total) ; dans le même temps, cent quarante deux « 45 000 », appartenant aux autres catégories d’otages, avaient disparu, soit 13 % d’entre eux. La froide éloquence de ces statistiques est confirmée par les récits des «45 000» rescapés ». (in « Triangles rouges à Auschwitz, le convoi politique du 6 juillet 1942″, pages 145-146).
Lire l’article : Les déportés juifs du convoi du 6 juillet 1942 

La mention «Mort en déportation» est apposée sur son acte de décès (arrêté du 27 décembre 2001, paru au Journal
Officiel du 1er mars 2002).

  • Note 1 : Son nom est orthographié avec un T au Musée d’Auschwitz (Wajsbrot, Abraham ; Abram (prisoner number : 46 312) born : 1887-11-18, place of birth : Checiny et dans le livre des morts : Death Books from Auschwitzpage 1293. Mais on trouve son nom orthographié Wajsbrod sur le site Légifrance (Wajsbrod (Abraham), né le 18 novembre 1887 à Checiny (Pologne), décédé le 3 août 1942 à Auschwitz (Pologne) et sur le mémorial de la Shoah (à partir du nom inscrit sur les entrées au camp de Drancy. Son nom est gravé sur le mur des noms avec un D, dalle 114). Tous les documents administratifs allemands et français que nous a transmis son arrière petite-fille portent le nom de Wajbrod
    Wolf Wajsbrot, fusillé au Mont Valérien

    Nous avions initialement retenu l’orthographe Wajsbrot, dans la mesure où plusieurs familles polonaises immigrées parisiennes portaient ce nom, qui est également celui de Wolf Wajsbrot, jeune résistant communiste de « l’Affiche Rouge », fusillé au Mont Valérien le 21 février 1944

  • Note 2 : Ouvert d’abord aux Républicains espagnols, entassés par familles entières, aux combattants des Brigades internationales, interdits dans leurs propres pays. Les rejoignent de nombreux réfugiés d’Europe centrale fuyant la terreur nazie, des indésirables en tous genres, y compris, bien sûr, les « indésirables » français : communistes, gaullistes et autres patriotes (on ratissait large), juifs saisis dans les rafles, «droit commun»). France Hamelin in Le Patriote Résistant N° 839 – février 2010. Ce « Centre de séjour surveillé » fonctionne dans l’ancienne caserne d’infanterie coloniale du boulevard Mortier à Paris. En 1942, deux bâtiments seulement étaient utilisés, un pour les hommes et un pour les femmes. Ils étaient entourés de fil de fer barbelé. Chaque bâtiment disposait de 3 WC à chasse d’eau, largement insuffisants. Des latrines à tinette mobile étaient en outre disposées dans l’étroit espace réservé à la promenade. La nuit, une tinette était placée dans chaque dortoir. C’est peu dire les conditions épouvantables imposées à des internés dont le nombre variera de 400 à 600 personnes. A cela s’ajoutait une sous-alimentation chronique entraînant bon nombre de maladies : entérites gastro-intestinales, affections cardiaques, tuberculose… © In site Internet Association Philatélique de Rouen et Agglomération. L’étoile jaune siglée « Juif » devient obligatoire le 8 juin 1942 pour tous les Juifs de plus de 6 ans en  zone occupée, à la suite d’une ordonnance rédigée fin mai 1942 par Oberg, Major général de la police. Nous avons choisi de reproduire l’étoile siglée « juden » sur fond du camp de Birkenau, car elle a été portée à Auschwitz par des « 45 000 ».
  • Note 3 : dans un document en date du 20 octobre 1956, dont madame Marie Anaf, nous a communiqué la copie, le colonel Arnaud, commandeur de la Légion d’honneur et chef de service à la présidence du Conseil, certifiait que madame Schenda Wajbrod et sa fille, ainsi qu’Esther Wasjbrod habitaient au 11, rue Bergier à Clermont-Ferrand où elles s’étaient réfugiées en 1940, qu’il avait constaté qu’elles étaient obligées de se cacher de l’occupant en leur qualité d’Israelites, et avoir pu lui même leur procurer différents asiles en 1942 et 1943, pour leur permettre d’échapper à la Gestapo.

Sources

  • © Mémorial et Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau).
  • Mémorial de la Shoah (Paris).
  • Death Books from Auschwitz(registres des morts d’Auschwitz), Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres (incomplets) des certificats de décès établis au camp d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
  • Fichier national de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen. Fiche individuelle consultée en octobre 1993.
  • Liste (incomplète) par matricule du convoi du 6 juillet 1942 établie en 1974 par les historiens du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau (Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (Ministère de la Défense, Caen) indiquant généralement la date de décès au camp.
  • Décédés du convoi de Compiègne en date du 6/7/1942. Classeur Ausch. 1/19, liste N°3 (Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (Ministère de la Défense, Caen).
  • Photo du camp de Drancy, Bundesarchiv.
  • Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, Caen : fiche d’Abram Wajsbrod.
  • Mails de son arrière-petite-fille, Marie Anaf : précisions, photos et attestations (20 juin 2024). Elle est, comme sa grand-mère Ruth, chanteuse lyrique (sous le nom de scène de Monique Ruty).

Notice biographique mise à jour en 2010, 2013, 2019, 2021 et 2024 à partir d’une notice succincte rédigée en janvier 2001 pour l’exposition organisée par l’association « Mémoire Vive » à la mairie du 20è arrondissement, par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages :Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Autrement, Paris 2005) et de Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45 000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé), qui reproduit ma thèse de doctorat (1995). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com

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