Matricule « 46 132 » à Auschwitz

Lettre d’Auschwitz de Marceau Tellier à son épouse, en date du 27 octobre 1943 / Block 11
Marceau Tellier : né en 1903 à Compiègne (Oise) ; domicilié à Paris 14ème ; plombier ; syndicaliste et communiste ; arrêté le 30 juillet 1941, condamné à 6 mois de prison, Santé et Poissy ; interné aux camps de Voves et de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, évacué en janvier 1945 en direction de Mauthausen, mort au cours de cette évacuation en janvier 1945.

Marceau Tellier est né le 18 mai 1903 à Compiègne (Oise). Il habite 8, passage d’Enfer à Paris 14ème au moment de son arrestation. Marceau Tellier est le fils d’Adélaïde, Irène Pillot, 17 ans, domestique et d’Albert, Emile Tellier, 25 ans, couvreur, son époux. Ses parents habitent
au 89, rue de Paris à Compiègne.
Il épouse Germaine, Marie-Louise Beigneux le 10 septembre 1925 à Paris 12ème. Agée de  20 ans, elle est née le 19 août 1905 à Paris 12ème. Elle est tapissière et habite au 20, rue d’Aligre. Lui travaille alors comme plombier, électricien et il est domicilié au 142, rue Ledru Rollin.
Marceau Tellier travaille alors comme plombier sanitaire pour une entreprise située rue Jules
Chaplain, dans le 6ème arrondissement. Le couple va divorcer le 6 juillet 1928.
Marceau Tellier milite au Parti communiste et à la CGT et il est adhérent de l’Association des Amis de l’URSS. Marceau Tellier est inscrit sur les listes électorales du 14ème en 1935.
Le 10 avril 1937, il épouse en deuxièmes noces à Paris 14ème , Suzanne, Marguerite, Marie Rousseau. Elle est née le 25 novembre 1903 à Paris 14°. Ils habitent ensemble au 8, passage d’enfer depuis au moins 1936. A cette date, il travaille comme plombier chez Goussin dans le 16°, elle travaille comme coloriste chez S.T. (recensement de 1936).
Dès la dissolution du Parti communiste, n’étant pas mobilisable (classe 1923), il poursuit ses activités militantes au sein du Parti communiste clandestin.

Le 14 juin 1940, les troupes de la Wehrmacht entrent dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français » et lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).

Registre journalier de la BS en date du 1er août. La mention « collaboration » signifie que l’arrestation a été effectuée par la BS en collaboration avec le commissariat du quartier de la Porte d’Italie.

Marceau Tellier est arrêté le 30 juillet 1941 par des policiers français en civil Brigade spéciale des Renseignements généraux (lire
dans le site La Brigade Spéciale des Renseignements généraux) –
« qui lui ont couru après » selon son épouse -, alors qu’il distribuait avec d’autres communistes des tracts, boulevard Kellerman en face des
Usines Gnome-et-Rhône.

Son épouse pense que plusieurs de ses camarades arrêtés avec lui, seront fusillés plus tard. Inculpé d’infraction au décret du 26 septembre 1939 (dissolution du Parti communiste) Marceau Tellier est emprisonné au Dépôt, puis à la Santé.
Il est jugé à Paris par la 14ème chambre correctionnelle et condamné à 6 mois d’emprisonnement qu’il purge à la maison centrale de Poissy à partir du 12 août 1941. Il y est affecté à l’atelier SG. Plomberie, numéro d’écrou « 1840 ».

Lettre de la centrale de Poissy

Son épouse Suzanne Tellier a conservé une longue lettre de la Maison centrale de
Poissy datée du 18 janvier 1942, dans laquelle son mari la remercie pour le colis et les lettres reçues. Il lui donne des conseils pratiques concernant l’approvisionnement
en légumes. On y apprend qu’elle vit chez ses parents, car il a y eu une discussion sur sa participation au chauffage de la maison de son père (Suzanne Tellier y contribue pour 100 kg de charbon). Une partie de la lettre est consacrée au froid, Marceau Tellier lui conseille de brûler un peu de bois « il faut quand même vivre un peu ».
Concernant les visites à Poissy, Suzanne Tellier écrit en 1971 : « Il était défendu de lui porter des colis, et ils étaient considérés comme des droits communs, pas à manger, et à cette époque il faisait très froid, pas de chauffage. Au parloir, un simple couloir, il fallait pour leur parler, crier, car tout le monde parlait ensemble ».
Après la durée d’expiration de sa peine, il est parmi un groupe de 24 militants communistes qui sont transférés au Dépôt de la Préfecture de Paris le 13 février 1942, où il passe encore deux mois. En application de la loi du 3 septembre 1940, François Bard, préfet de police de Paris, signe son internement administratif (1) le 26 mars 1942 (numéro de dossier « 407.433 ») pour le Camp de Séjour Surveillé de Voves (Eure-et-Loir).

Le 16 avril 1942, à 5 h 50, il fait partie d’un groupe de 60 militants « détenus par les Renseignements généraux » qui est transféré de la permanence du dépôt au Centre de Séjour Surveillé (CSS) de Voves, groupe convoyé par les gendarmes de la 61ème brigade. Ce camp (Frontstalag n° 202 en 1940 et 1941) était devenu le 5 janvier 1942 le Centre de Séjour Surveillé n° 15. Il y reçoit le matricule « 109 ».

Fichier des internés le 16 avril 1942 à Voves, extrait.

Dans deux courriers en date des 6 et 9 mai 1942, le chef de la Verwaltungsgruppe de
la Feldkommandantur d’Orléans envoie au Préfet de Chartres deux listesd’internés communistes du camp de Voves à transférer au camp d’internement de Compiègne à la demande du commandement militaire en France.
Le nom de Marceau Tellier figure sur la première liste. Sur les deux listes d’un total de cent neuf internés, 87 d’entre eux seront déportés à Auschwitz. Le directeur du camp a fait supprimer toutes les permissions de visite « afin d’éviter que les familles assistent au prélèvement des 81 communistes pris en charge par l’armée d’occupation ». La prise en charge par les gendarmes allemands s’est effectuée le 10 mai 1942 à 10 h 30 à la gare de Voves. Il poursuit : « Cette ponction a produit chez les internés présents un gros effet moral, ces derniers ne cachent pas que tôt ou tard ce sera leur tour. Toutefois il est à remarquer qu’ils conservent une énergie et une conviction extraordinaire en ce sens que demain la victoire sera pour eux ». Il indique que « ceux qui restèrent se mirent à chanter la «Marseillaise» et la reprirent à trois reprises ». Le directeur du camp a fait supprimer auparavant toutes les permissions de visite « afin d’éviter que les familles assistent au prélèvement des 81 communistes pris en charge par l’armée d’occupation ».

Lettre du FT 122 à Compiègne

Marceau Tellier est transféré au camp allemand de Compiègne, le Frontstalag 122, le 10 mai 1942. Il y reçoit le matricule « 5762 ». Il est affecté au  bâtiment C5, chambre XI.

Le 22 mai 1942, il écrit à son épouse qu’il est en bonne santé, qu’il espère qu’il en est de même pour elle et lui explique qu’il peut lui envoyer chaque mois deux cartes en franchise postale, et qu’il lui dira dans une prochaine lettre comment lui envoyer un colis.
Le 22 juin, il lui écrit qu’il a bien reçu sa lettre du 30 mai, qu’il commente avec humour en demandant des nouvelles de sa mère, du poulailler et du jardin.
Il lui conseille de s’adresser à la Croix rouge pour obtenir des secours, et lui recommande qu’elle ne se « casse pas la tête pour le reliquat d’impôt ».

Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».

Depuis le camp de Compiègne, Marceau Tellier est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Marceau Tellier est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro matricule «46.132» selon la liste par matricules du convoi établie en 1974 par les historiens polonais du Musée d’Etat d’Auschwitz. Nous en avons confirmation par les lettres qu’il enverra du Block 11 en 1943.
Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a pas été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».  Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Son matricule sera tatoué sur son avant-bras gauche quelques mois plus tard.
Marceau Tellier, compte tenu de sa profession revient à Auschwitz I, où il est affecté au Block 15.

Lire : Décembre 1942 : La Résistance à Auschwitz et la création du premier groupe français

Lettre du 3 octobre 1943

En application d’une directive de la Gestapo datée du 21 juin 1943 accordant aux détenus des KL en provenance d’Europe occidentale la possibilité de correspondre avec leur famille et de recevoir des colis renfermant des vivres, Marceau Tellier, comme les autres détenus politiques français d’Auschwitz, reçoit en juillet 1943 l’autorisation d’échanger des lettres avec sa famille – rédigées en allemand et soumises à la censure – et de recevoir des colis contenant des aliments. Ce droit leur est signifié le 4 juillet 1943.
Lire dans le site : Le droit d’écrire pour les détenus politiques français.

Entre le 14 août 1943 et le 12 décembre 1943, il est en quarantaine au Block 11 avec la quasi totalité des Français survivants. Lire l’article du site « les 45000 au block 11.

Suzanne Tellier reçoit deux lettres en allemand, écrites pour son mari par un des français parlant allemand et signées de sa main, depuis le Block 11 (datées du 3 octobre 1943 et du 17 octobre 1943).

Malgré la censure, Marceau Tellier informe sa femme du décès de plusieurs de ses camarades en faisant écrire de « donner des nouvelles à Frau veuve Morsel, Bricky, Gilly, Perle und alles andere freunde »… (madame veuve Morsel, Bricky, Gilly, Perle et tous les autres amis). 

Le 12 décembre 1943, les Français quittent le Block 11 et retournent dans leurs anciens Kommandos.

Malgré la censure, il donne des nouvelles de ses camarades décédés

Le 3 août 1944, il est à nouveau placé en “quarantaine”, au Block 10, avec la majorité des “45000” d’Auschwitz I.
Marceau Tellier fait partie du dernier groupe des survivants français qui soit resté à Auschwitz. Le 18 janvier 1944 ils sont évacués en direction de Mauthausen, d’abord à pieds, puis en wagons découverts.

Aimé Oboeuf a raconté cette évacuation : « Dès la sortie du camp, nous voyons, des deux côtés de la route, les cadavres des déportés exécutés sur place (…). Nous avons marché plusieurs jours à pied jusqu’à la gare de Loslau, où nous avons embarqué sur des plates-formes à charbon, donc tout à fait découvertes. Nous sommes cent par wagon, il fait un froid intense. Impossible de bouger, de s’allonger ou de s’asseoir. Déjà, la longue marche depuis Auschwitz nous a épuisés. Dans le wagon, l’épuisement, le froid, la faim, la soif, le manque de place, déchaînent une véritable folie collective. Les morts sont nombreux. Je suis soutenu moralement par le grondement lointain de l’artillerie que je sais être celle de l’armée soviétique. Je sens la fin de la guerre proche et rassemble tout ce qui me reste de courage pour tenir. Après un voyage dont le trajet était sans cesse modifié par les bombardements, les encombrements, l’affolement général, la fuite et l’évacuation de tout ce qui pouvait l’être des territoires de la Silésie et de la Haute-Silésie, nous sommes arrivés au camp de Mauthausen. A l’ouverture des plates-formes, il y avait bien plus de cadavres que de survivants.  Le qualificatif de « train de la mort » peut malheureusement être étendu à tous les trains d’évacuation d’Auschwitz ».

C’est au cours de cette évacuation que Marceau Tellier décède, sans que l’on
connaisse précisément les circonstances de sa disparition.
La date du 18 janvier 1945 a été retenue comme date de décès sur la base des témoignages de rescapés.

Un arrêté ministériel du 19 juillet 1999 paru au Journal Officiel du 28 octobre 1999,
porte apposition de la mention «Mort en déportation» sur les actes et jugements déclaratifs de décès de Marceau Tellier. Marceau Tellier est déclaré « Mort pour la France » (la mention est portée sur son livret de mariage écrit son épouse).
Il est homologué dans la Résistance intérieure Française (RIF).

Une rue de Morangis porte son nom

Une rue de Morangis (Essonne) où résidait sa mère honore son souvenir.
Son nom est inscrit sur le monument aux morts de la commune.

  • Note 1 : L’internement administratif a été institutionnalisé par le décret du 18 novembre 1939, qui donne aux préfets le pouvoir de décider l’éloignement et, en cas de nécessité, l’assignation à résidence dans un centre de séjour surveillé, « des individus dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique ». Il est aggravé par le gouvernement de Vichy en 1941. La loi du 3 septembre 1940 proroge le décret du 18 novembre 1939 et prévoit l’internement administratif de « tous individus dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique ». Les premiers visés sont les communistes. 

Sources

  • Questionnaire rempli par sa veuve le 10 octobre 1987.
  • Entretien téléphonique avec Madame Suzanne Tellier (elle est décédée à Chartres (Eure-et-Loir) le 30 septembre 1988
  • Témoignages de rescapés (André Montagne , Eugène Garnier).
  • Revue d’Histoire du 14ème, n°29, p.71. Article de M. Cottard, février 1989.
  • Archives de la Préfecture de police, Cartons occupation allemande, BA 2374.
  • Stéphane Fourmas, Le centre de séjour surveillé de Voves (Eure-et-Loir) janvier 1942 – mai 1944, mémoire de maîtrise, Paris-I (Panthéon-Sorbonne), 1998-1999
  • Recensement 1937 à Paris 14°, quartier Montparnasse, pages 189/277
  • © Site Internet Mémorial-GenWeb.
  • © Site Internet Légifrance.gouv.fr
  • © Site Internet Lesmortsdanslescamps.com
  • © Musée d’Auschwitz Birkenau. Wagons découverts utilisés pour le transport des déportés en janvier 1944.
  • Archives de la Préfectures de police de Paris, dossiers Brigade spéciale des Renseignements généraux,
    registres journaliers.

Notice biographique mise à jour en 2010, 2013, 2019 et 2021 à partir d’une notice succincte rédigée en janvier 2001 pour l’exposition organisée par l’association « Mémoire Vive » à la mairie du 20ème arrondissement, par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages :Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Autrement, Paris 2005) et de Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé), qui reproduit ma thèse de doctorat (1995). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à
deportes.politiques.auschwitz@gmail.com  .

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