Le Konzentrationslager Auschwitz-Birkenau

Dessin de Franz Reisz, 1946

Article de Claudine Cardon-Hamet, publié sur le site de la Fondation pour la mémoire de la Déportation (FMD) pour présenter le camp d’Auschwitz.

Auschwitz-Birkenau est connu dans l'histoire de la Seconde Guerre mondiale et dans le monde entier comme le symbole de la volonté d'extermination par les nazis des Juifs d'Europe, camouflée sous le nom de «solution finale du problème juif en Europe » aboutissant au meurtre de plus de 5,1 millions d'êtres humains.[1]

Cette fonction criminelle lui est dévolue, pendant l’été ou l’automne 1941, par les maîtres du IIIèmeReich, un an et demi après sa création comme camp de concentration.

Le Krematorium I (@ musée d’Auschwitz)

En 1942, dans un espace isolé du camp de Birkenau, alors annexe du camp de base (Stammlager appelé aussi camp principal), commence l’installation de chambres à gaz où seront assassinés près de 900.000 hommes, femmes, enfants, nourrissons, amenés, le plus souvent, par familles entières.
Ainsi, entre mars 1942 et août 1944, près de 73.700 personnes parties de France ont été acheminées vers Auschwitz-Birkenau dans des wagons à bestiaux parce que juifs ou considérées comme tels par les nazis. Seuls 3% d’entre eux survivront à leur déportation.[2]

La présence d’une notice sur le « KL Auschwitz » – Konzentrationslager puisque telle est sa dénomination officielle – dans le Livre-Mémorial qui ne recense pas les Juifs de France arrêtés par mesure de persécution et déportés vers Auschwitz et dont les noms ont été déjà publiés par Serge Klarsfeld, s’explique par la destination à fin d’extermination de nombreux résistants juifs, arrêtés par mesure de répression (mais dont le recensement complet n’a pu être réalisé par la FMD, faute de sources suffisantes).
Elle s’explique également par la déportation en famille depuis les départements du Nord et du Pas-de-Calais, via la Belgique, de 157 Tsiganes, dont le taux de rescapés – pour les déportés dans le parcours est connu – s’élève à 12 %. [3]

Elle se justifie encore par l’internement à Auschwitz, pendant une durée plus ou moins longue, d’environ 4500 hommes et femmes venus de France et appartenant à la déportation de répression.[4]
Ceux-ci sont partis de Compiègne par les transports du 6 juillet 1942 [5] (le convoi dit des « 45.000 » dont le taux de retours est de 11%), du 24 janvier 1943 [6] (le convoi dit des « 31000 » au pourcentage de rescapées de 21%) et du 27 avril 1944 [7] (convoi dit des « tatoués » – resté deux semaines à Birkenau avant de rejoindre Buchenwald – au taux de rentrés de 49 %). D’autres ont rejoint le « KL Auschwitz » après leur transfert depuis un autre camp (comme les 863 personnes du convoi dit « des Vosgiens », venant de Dachau le 24 novembre 1944, qui compte 24 % de déportés rentrés) ou à la suite de leur arrestation en Allemagne par la Gestapo.
La majorité de ces déportés appartiennent à des catégories très minoritaires dans le « KL Auschwitz » et dans les déportations de France vers ce camp.
La plupart d’entre eux sont immatriculés dans le camp de base et dans l’espace concentrationnaire de Birkenau. Certains portent l’étoile de David, tels les résistants juifs partis de Drancy et sélectionnés pour le travail, d’autres ont le triangle rouge des déportés politiques. Quant aux Tsiganes, ils connaissent un sort spécifique.
Pour cette raison, le texte qui suit met l’accent sur l’histoire du « KL Auschwitz » et sur les conditions d’internement qui concernent plus particulièrement ces déportés de France.[8]

L’entrée du KL Auschwitz (@ musée d’Auschwitz)

Le « KL Auschwitz » est créé en mai 1940, comme camp de concentration, sur décision de Himmler, dans des casernes désaffectées des faubourgs d’Auschwitz (Oswiecim, pour les Polonais) une petite ville de Haute-Silésie, située à 30 kilomètres au sud de Katowitz (Katowice). Il est conçu d’abord comme un des maillons essentiels du dispositif de terreur pesant sur la Pologne dont le sol est censé appartenir à «l’espace vital du peuple germanique ».
Le 14 juin 1940, un premier transport de Polonais (matricules 31 à 758) arrive dans le camp de base appelé par la suite Auschwitz-I. Trente détenus allemands de droit commun destinés à leur encadrement les ont précédés, le 20 mai (matricules 1 à 30).

Heinrich Himmler
IG-Farben Veb Kemische Verke Buna Monovitz 

Le 1ermars 1941, Himmler ordonne de tripler la capacité de ce camp, de construire un camp annexe pour 100.000 prisonniers de guerre soviétiques sur la commune de Brzezinka, (Birkenau, le futur Auschwitz-II mis en chantier© en octobre 1941 et officiellement créé en mars 1942 en tant que camp de concentration, annexe du camp de base) et de fournir 10000 détenus pour la construction puis l’emploi industriel d’une usine de produits chimiques du consortium IG-Farben. Ces derniers sont installés à Monowitz, en octobre 1942
(le futur Auschwitz-III).

Himmler ordonne également d’installer une exploitation expérimentale de culture et d’élevage, conçue comme le prototype de la colonisation germanique à l’Est – basée sur l’élimination physique de la population slave – et dont la superficie allait s’étendre sur environ 40 kilomètres carrés autour de Birkenau. Au fil des ans, une quarantaine de camps annexes (appelés aussi Kommandos extérieurs) aux activités diverses – le plus souvent minière ou industrielle – et largement dispersés dans les territoires de l’Est, sont rattachés comme filiales au « KL Auschwitz » qui, s’agrandissant sans cesse devient un formidable complexe, le plus grand et le plus peuplé de tous les camps de concentration nazis.

Wansee (Berlin). Les modalités de la « solution finale »

Durant la première période, allant de 1940 à 1942, la mortalité des détenus du « KL Auschwitz» atteint déjà le niveau le plus élevé de tous les grands KL.  Ce caractère se maintiendra tout au long de l’histoire du complexe.
Ces taux de mortalité correspondent à la politique nazie d’anéantissement des Polonais et des prisonniers de guerre soviétiques qui peuplent essentiellement ce camp, durant ses deux premières années d’existence. Cette très forte mortalité explique d’ailleurs la pratique du tatouage du numéro d’enregistrement, inaugurée sur la poitrine des prisonniers de guerre soviétiques en septembre 1941 et généralisée à partir de février 1943 sur l’avant-bras gauche de tous les détenus immatriculés, juifs ou non.
Ce tatouage est une autre des particularités d’Auschwitz.

L’année1942 marque un tournant décisif dans l’histoire d’Auschwitz lorsqu’il est désigné par les hauts responsables nazis pour être l’instrument privilégié du génocide planifié des Juifs d’Europe. Le choix de ce lieu est déterminé par la proximité du nœud ferroviaire européen de Katowitz, ainsi que par l’immensité du camp de Birkenau qui favorise le camouflage d’installations destinées à assassiner des millions d’individus.
Enfin, par le projet de construction de fours crématoires d’une très grande capacité, destinés initialement à brûler les corps de la dizaine de milliers de prisonniers de guerre soviétiques, massacrés au cours de la construction du camp et dont les cadavres étaient jusqu’ici enfouis dans les fosses communes de Birkenau au milieu des marécages [9].
A la suite de la conférence de Wansee, tenue le 20 janvier 1942 pour informer les hauts dignitaires nazis des modalités de « la solution finale », des convois de Juifs en provenance de Haute-Silésie et de Slovaquie, puis d’une quinzaine de pays d’Europe, convergent vers Auschwitz.

Avant la « sélection » © Musée d’Auschwitz

Fin mai, début juin 1942, un centre de mise à mort, composé de deux maisons paysannes transformées en chambres à gaz, est installé à Birkenau dans un espace boisé au bout du camp de concentration. Les Juifs sont « sélectionnés » sur le quai de la gare de marchandises puis, après la mi-mai 1944, sur la rampe de débarquement de la voie ferrée qui pénètre dans le camp même.
A partir de juillet 1942, la « sélection », opérée d’un seul geste par un médecin SS, sépare les Juifs « valides », destinés à travailler comme main-d’œuvre concentrationnaire, des « inaptes au travail » qui sont gazés et dont les corps sont brûlés.
Cette sélection est avant tout déterminée par les besoins de main-d’œuvre et les possibilités de remplissage du moment des camps du complexe ou des autres KL vers lesquels ils pourraient être transférés. Elle dépend en second lieu de l’âge, du sexe et de l’apparente condition physique des arrivants.
L’achèvement, entre mars et juin 1943, de quatre grands bâtiments (Krematorium), combinant des chambres à gaz – pouvant contenir jusqu’à 2000 personnes – et des batteries de fours crématoires, confère au centre de mise à mort un caractère industriel.
Certains jours, lors de l’extermination des Juifs hongrois en mai 1944, 20.000 hommes, femmes, nourrissons et enfants sont ainsi assassinés.
Pendant cette période, la capacité des fours étant insuffisante, les SS ont recours à des fosses comme lieu de crémation et même d’extermination directe – comme pour les jeunes enfants de Hongrie qui s’y trouvent précipités, au terme de leur fuite
pour tenter d’échapper au harcèlement des chiens policiers tenus en laisse par les SS.
En février 1943, l’extension aux Tsiganes de la politique d’extermination raciste entraîne la création à Birkenau d’un « camp familial des Tsiganes ». La mortalité y est extrêmement élevée. Il est liquidé après le meurtre en chambres à gaz, dans la nuit du 1er au 2 août 1944, des 2897 femmes, enfants et vieillards encore en vie. Les hommes « aptes au travail » ont été transférés auparavant vers d’autres KL.
Par ailleurs, des médecins SS soumettent des détenus (hommes, femmes et enfants) juifs, polonais ou tsiganes à des expériences pseudo-médicales sur la « race », comme celles effectuées par Mengele sur des enfants jumeaux. D’autres visent à mettre au point une méthode massive, rapide et peu coûteuse de stérilisation des populations que les nazis destinent à l’anéantissement biologique. Notamment les Slaves (Polonais, Tchèques, Russes, etc.) occupant «l’espace vital du peuple germanique ». La plupart de ces cobayes humains sont juifs.

L’importance et la spécificité d’Auschwitz-Birkenau dans le génocide des Juifs tiennent donc à la présence, sur le territoire de Birkenau, d’installations de mise à mort d’une ampleur exceptionnelle et à l’existence d’un espace concentrationnaire où
ils sont détruits au quotidien. En effet, si on compare Birkenau aux premiers camps d’extermination, situés en Pologne orientale, qui fonctionnent uniquement en tant que centres de mise à mort et qui eurent une existence éphémère et un objectif limité – l’élimination physique des Juifs rassemblés sur le sol de l’ancien Etat polonais – on constate qu’Auschwitz-Birkenau appartient, avec Maïdanek (dont l’échelle est plus réduite et le rôle essentiellement régional) à la seconde génération des camps d’extermination, celle des camps mixtes, qui se définissent par la greffe d’un centre de mise à mort sur un camp de concentration préexistant.

Cette entité nouvelle apparaît en 1942 avec la conjonction, dans l’espace et dans le temps, de deux phénomènes indépendants : l’entrée du génocide des Juifs dans sa phase industrielle et européenne et l’intégration des camps de concentration dans l’économie de guerre.[10] 
L’extermination différée des Juifs « aptes au travail » (le tiers des arrivants en moyenne) vise à utiliser au préalable leur force de production pour les industries de guerre. L’extermination de ces hommes, de ces femmes et de ces adolescents est par conséquent différée. Ils sont immatriculés, intégrés dans l’espace concentrationnaire, et affectés dans les Kommandos de travail du complexe.

Ainsi, au « KL Auschwitz », les deux grandes catégories de déportation (répression et persécution) se rencontrent. La coexistence de ces deux finalités se traduit par un échange de « services » entre le camp de concentration (aux fonctions de répression et de production) et le centre de mise à mort voué à l’extermination et géographiquement isolé du reste du camp.
Ce caractère se répercute sur le fonctionnement des camps de concentration appartenant à l’ensemble du complexe.
Les détenus du camp de base et de Birkenau, qu’ils soient juifs ou non, sont chargés de construire, d’aménager et de réparer les installations du centre de mise à mort.
D’autres, principalement juifs, trient les biens pris aux déportés au moment de leur arrivée. Partout, les détenus – sauf cas très particuliers – sont mêlés indistinctement dans les Blocks et les Kommandos de travail, sans que soit tenu compte de leur nationalité ou du fait qu’ils sont juifs ou non (les deux sexes restant séparés).
Par ailleurs, entre août 1942 et mai 1943, tous les détenus, juifs ou non, sont soumis à de fréquentes « sélections » à l’intérieur du camp, à l’appel, au retour du travail ou dans l’infirmerie. Les plus faibles, jugés « inaptes au travail », sont assassinés par une piqûre dans le cœur ou gazés afin de libérer des places dans les Blocks pour les nouveaux arrivants, afin de les faire travailler pour les SS dans les Kommandos chargés du fonctionnement interne d’Auschwitz ou comme main-d’œuvre industrielle louée par les SS aux grandes entreprises allemandes comme Krupp, Thyssen ou IG-Farben.

Cependant, il ne faut pas perdre de vue, qu’à partir de l’automne 1942, les Juifs – de plus en plus nombreux du fait de l’arrivée incessante des transports venus de presque toute l’Europe – deviennent majoritaires au sein du complexe d’Auschwitz. Leur proportion reste cependant plus faible au camp de base qui rassemble le plus de détenus non-juifs et de nationalités différentes. A
Birkenau et dans les filiales du « KL Auschwitz », les Juifs sont omniprésents sans que, pour autant, le camp des hommes et celui des femmes leur soient exclusivement réservés.
Par comparaison avec les autres détenus, le sort des Juifs immatriculés est le plus cruel. Car ils apprennent tôt ou tard que des membres de leur famille ont été gazés. Ils prennent conscience de la volonté d’extermination des nazis à leur encontre. Ils sont choisis comme cibles ou comme souffre-douleur privilégiés par les SS et les Kapos qui exercent un droit de vie et de mort quasiment absolu sur la totalité des détenus. Car ils sont victimes de l’antisémitisme, particulièrement vif chez un grand nombre de Polonais qui occupent la plupart des postes d’encadrement. Quant aux SS, ils appliquent la hiérarchie raciale qui est à la base de l’idéologie nazie dont ils se considèrent comme les serviteurs les plus « purs » et les plus ardents.

Quand reprennent, en 1944, les « sélections » ponctuelles des plus faibles à l’intérieur des camps du complexe d’Auschwitz– succédant à leur suspension en mai 1943 – celles-ci, bien que plus espacées, touchent désormais uniquement les Juifs, victimes en outre d’opérations de grande ampleur, comme celle d’octobre 1944. En conséquence, la mortalité des Juifs – en dehors des victimes de l’extermination immédiate qui ne sont pas enregistrées – est plus élevée que celle des autres catégories de détenus.
Selon l’historien polonais Franciszek Piper, sur les 1,3 million de personnes dirigées sur Auschwitz, entre 1940 et 1944, au moins 1,1 million d’entre elles sont mortes dans le centre de mise à mort ou dans l’espace concentrationnaire – qu’elles y soient immatriculées ou non -.
Sur ces 1,1 million de morts, un million étaient juifs. Les autres morts se répartiraient ainsi, par ordre décroissant : 70.000 à 75.000 Polonais, 21.000 Tsiganes, 15.000 prisonniers de guerre soviétiques. Les 13.000 restants étaient tchèques, russes, biélorusses, ukrainiens, yougoslaves, français, allemands, autrichiens ou originaires d’autres pays. [11]
Il faut rappeler également que les effectifs totaux du complexe d’Auschwitz ont connu des fluctuations importantes au cours de son histoire. Ainsi, entre janvier et août 1944, ils oscillent entre 74000 et 105000 détenus enregistrés.
Le 20 janvier 1944, les 80839 détenus immatriculés se répartissent ainsi : 18.437 pour Auschwitz-I, 49.114 : pour Auschwitz-II (22.061 hommes et 27. 053 femmes), et 13.288 pour Auschwitz-III (dont 6571 pour Monowitz et le reste pour les filiales). Le 22 août 1944, ils atteignent pour l’ensemble 105168. Mais le chiffre global dépasse 135000 personnes, du fait des 30000 Juifs non immatriculés et placés en attente dans les camps de transit de Birkenau[12].
On ne peut parler d’Auschwitz sans aborder non plus la question de la solidarité pratiquée entre détenus et du rôle joué par la Résistance intérieure.[13] 
Dans ce complexe où les conditions de détention sont parmi les plus dures et les plus meurtrières des camps de concentration nazis, la solidarité paraît difficilement imaginable. Pourtant – comme l’écrit Olga Wormser – « dans la proximité physique et morale la plus horrible, lorsque la privation d’un morceau de pain pouvait causer mort d’homme, lorsqu’une conversation, un rassemblement pouvaient ouvrir le chemin du crématoire, lorsque la foi religieuse était proscrite, lorsque la fidélité à des convictions politiques était un crime, il s’est trouvé des hommes et des femmes pour organiser la solidarité, pour sauver des vies, pour s’opposer à la volonté de mort des SS et de leurs séides ; des prêtres ont donné la communion, des groupes d’hommes ont organisé la Résistance ».[14] 
Cette solidarité s’exerce d’abord, au premier degré, entre amis qui se connaissaient auparavant ou par petits groupes sur la base de la nationalité, de la communauté de langue ou des convictions politiques ou religieuses. Durant l’année 1942, la période la plus meurtrière de l’espace concentrationnaire d’Auschwitz, les nouveaux venus sont plongés dans un état d’isolement, de choc, de misère physique et morale qui les livre aux lois de la jungle et éloigne la plupart d’entre eux de la solidarité qui maintient en vie certains des détenus plus anciens.
Quant à la Résistance organisée, elle est encore plus difficile à mettre en œuvre et ses actions, même lorsqu’elles sont collectives et tournées vers les autres internés, ne sont perçues que par une infime minorité d’entre eux. Certains ignorent même l’existence du groupe auquel appartient l’ami qui les sollicite pour leur sens de la camaraderie. «Que des organisations de résistance aient pu exister dans un camp de concentration– note Hermann Langbein –paraît au premier abord difficilement concevable. Le système mis au point par les SS devait rendre impossible jusqu’à l’idée même de résistance ». [15]
Toute infraction au règlement mettait la vie des détenus en péril. Tout rapprochement entre prisonniers, tout semblant d’organisation étaient suspects. Les résistants avaient à se méfier des indicateurs réguliers ou occasionnels des SS. Ils avaient aussi à surmonter les antagonismes entre prisonniers de nationalités différentes, systématiquement entretenus par les SS.

Au « KL Auschwitz », les premiers groupes de résistance apparaissent dès 1940 parmi les militaires de carrière et les membres des partis politiques polonais.  La liaison avec la Résistance polonaise se fait par l’intermédiaire de civils qui travaillent dans les ateliers ou sur les chantiers d’Auschwitz, comme par exemple les contremaîtres qui retournent chez eux chaque soir, ou par le truchement de détenus dont l’évasion est minutieusement organisée. Dans aucun autre camp de concentration, la Résistance n’a eu de liens aussi étroits avec l’extérieur. Ceci, en raison de l’importance du nombre de Polonais parmi les détenus et du fait de l’implantation d’Auschwitz sur leur sol. Car les Polonais sont farouchement hostiles aux nazis qui veulent faire disparaître leur nation, qui les considèrent comme appartenant à une « race inférieure » et les traitent comme des esclaves potentiels dont ils ont programmé à terme l’extermination.
La Résistance, très présente et très active sur l’ensemble du territoire, noue des contacts avec le gouvernement polonais en exil à Londres et avec les Alliés. A partir de 1942, des groupes de résistance naissent parmi les détenus d’autres nationalités (Autrichiens, Français, Russes, Allemands, Tchèques, Yougoslaves, etc.) dans le camp des hommes, dans celui des femmes et parmi les Juifs placés dans des Kommandos spéciaux.

Le premier groupe français de solidarité et de Résistance est créé en décembre 1942 par des « 45 000 », survivants du convoi du 6 juillet 1942. Il s’intègre au Comité international, créé par des communistes autrichiens et allemands des Sudètes, pendant l’été 1942.[16] Il contacte, en février 1943, les femmes du convoi du 24 janvier 1943, et a des liens avec des résistants du groupe belge. Le Comité international fusionne, en mai 1943, avec les autres organisations de Résistance pour former le Groupe de combat d’Auschwitz (Kamfgruppe Auschwitz). Seuls les militaires polonais restent à l’écart, mais acceptent, en 1944, de coopérer.

La Résistance mène des activités clandestines du même type que celles conduites dans les autres camps de concentration : solidarité, lutte pour la survie des détenus, diffusion des nouvelles sur l’avancée du front, information de l’extérieur sur la situation du camp, organisation d’évasions, actions pour que les fonctions de responsabilité soient confiées aux détenus politiques et non plus aux prisonniers de droit commun (transfert qui se réalise dans l’année 1943 à Auschwitz-I), sabotage de la production, préparation d’une insurrection générale du camp. A Birkenau, où la Résistance est plus faible pour des raisons qui tiennent essentiellement au rôle de ce camp dans le génocide des Juifs, des groupes réussissent cependant à se constituer dans certains secteurs, comme dans le Revier (salles devant en principe faire fonction d’infirmerie).
A ces actions, s’ajoutent celles découlant de l’extermination des Juifs et des Tsiganes. Des tracts manuscrits sont rédigés par le Groupe de combat pour lutter contre l’antisémitisme et le nationalisme. Préserver la vie de tant d’êtres humains menacés par une mort immédiate est fondamental. Mais, face à la machine SS, les moyens paraissent dérisoires. Toutefois la Résistance réussit à informer les Alliés des crimes commis à Auschwitz et signale en particulier l’ampleur de l’extermination des Juifs. Elle leur transmet des plans, des rapports, des photos dérobées aux SS ou prises clandestinement, des témoignages dont certains sont diffusés à la BBC ou publiés à Londres sous la forme de brochures. Elle les appelle à bombarder les voies ferrées et les chambres à gaz.

Les premières évacuations des camps du complexe d’Auschwitz commencent en août 1944, alors que les troupes soviétiques approchent.
La Résistance, qui redoute une extermination finale des détenus, prépare l’insurrection. Mais elle est réduite par les transferts massifs de détenus que les SS soupçonnent d’être prêts à aider leurs libérateurs potentiels : des Polonais et des Russes essentiellement ainsi que des dirigeants de la Résistance intérieure. Les 6 et 7 octobre, des membres du Sonderkommando[17] se soulèvent anticipant l’insurrection générale programmée, en apprenant qu’ils vont être liquidés. Ils font sauter le Krematorium-IV grâce à la poudre soustraite dans l’entreprise d’armement «Union » par quatre détenues juives polonaises. Elles seront par la suite pendues devant leurs camarades d’usine. Aucun des 465 insurgés ne survit, mais trois SS sont tués et douze blessés, le Krematorium-IV est inutilisable.
Le 27 octobre, l’évasion manquée de cinq dirigeants du Groupe de combat d’Auschwitz affaiblit encore davantage la Résistance. Ces hauts responsables devaient rejoindre les partisans polonais afin de préparer avec eux une attaque du camp, destinée à appuyer l’insurrection générale des détenus. Le Groupe de combat d’Auschwitz est décapité par l’arrestation de deux autres de ses dirigeants et par la pendaison, le 30 décembre, des cinq évadés. Dès lors, comme l’écrit Hermann Langbein qui fut un des dirigeants du Groupe de combat : «la Résistance ne put jouer de rôle décisif dans la phase finale de l’histoire d’Auschwitz».[18]

Pendant ce temps, les SS entreprennent de faire disparaître les traces de leurs crimes. Le 26 novembre, Himmler ordonne la destruction de l’ensemble des installations de mise à mort. Un seul Krématorium reste en service pour brûler les cadavres des détenus – sa chambre à gaz restant intacte – jusqu’au dynamitage tardif de l’ensemble des Krématorium le 25 janvier 1945. Les fosses sont camouflées sous des plantations d’arbres. Les archives sont brûlées. Certaines sont sauvées par des résistants travaillant dans l’administration et qui les enterrent.
C’est ainsi que plus de 700 photos d’immatriculation de détenus arrêtés et déportés de France par mesure de répression ont pu être conservées et retrouvées.

Entre le 17 et le 23 janvier, l’évacuation finale à pied ou en wagons ouverts concerne près de 60000 détenus dirigés vers les KL situés plus à l’Ouest, Buchenwald, Mauthausen, Dachau, Bergen-Belsen, etc.
Le camp d’Auschwitz, où subsistent encore environ 7000 détenus – jugés intransportables par les SS qui envisageaient de les éliminer – est libéré le 27 janvier 1945 par les troupes soviétiques.

Les  vestiges du camp de base et de  Birkenau sont classés en 1979 par l’Unesco dans le patrimoine mondial de l’humanité comme site unique dans la catégorie des biens culturels ayant une signification universelle. La fiche descriptive du site Internet de l’Unesco précise : « Les enceintes, les barbelés, les baraquements, les miradors, les potences, les chambres à gaz et les fours crématoires de l’ancien camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz-Birkenau, le plus vaste du IIIème Reich, attestent des conditions dans lesquelles fonctionnait le génocide hitlérien. Selon les recherches historiques, 1,1 million à 1,5 million de personnes – dont de très nombreux juifs – furent systématiquement affamées, torturées et assassinées dans ce camp, symbole de la cruauté de l’homme pour l’homme au XXème siècle ».

Claudine Cardon-Hamet, docteur en histoire

Auteure de Triangles rouges à Auschwitz, le convoi politique du 6 juillet 1942 (éd. Autrement, collection Mémoires, Paris, 2005, mis à jour en 2015) édité avec le soutien de la Direction du Patrimoine et de l’Histoire et de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation.
En cas de reproduction partielle ou totale de cet article, prière de citer les coordonnées du site https://deportes-politiques-auschwitz.fr

Notes                                                        

[1] Lire notamment Georges Bensoussan, « Auschwitz en héritage ? », éditions Mille et une nuits, Paris, 1998.
[2] Voir Serge Klarsfeld, Le Mémorial de la déportation des Juifs de France, Paris, Beate et Serge Klarsfeld, 1978 et Serge Klarsfeld, Additifs au Mémorial de la déportation des Juifs de France, Paris, édition des Fils et filles de déportés juifs de France, 1980, non paginés.
[3] Voir les notices et les listes consacrées à ces déportés.
[4] Henry Clogenson et Paul Le Goupil, Mémorial des Français non-juifs déportés à Auschwitz, Birkenau et Monowitz. Ces 4500 tatoués
oubliés de l’histoire, Edité par les auteurs.
[5] Claudine Cardon-Hamet, Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Fondation pour la Mémoire de la Déportation, 1997, nouvelle édition 2000.
[6] Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Paris, Editions de Minuit, 1985.
[7] Amicale des déportés tatoués du 27 avril 1944, Le Convoi des Tatoués, Auschwitz, Buchenwald, Flossenbürg et Kommandos, 1999 ;
Christine Lévisse-Touzé, Destination Auschwitz, des déportés tatoués, catalogue de l’exposition du Mémorial Leclerc-Musée Jean Moulin, Editions Paris musées, Paris, 2002.
[8] Pour une perception générale du « KL Auschwitz » lire Auschwitz, camp hitlérien d’extermination, (ouvrage collectif), Varsovie, Interpress, 1986 ; Hermann Langbein, Hommes et Femmes à Auschwitz, Paris, Fayard, 1975, réédition 1998 et l’article de Claudine Cardon, « Auschwitz » in François Bédarida et Laurent Gervereau, La déportation, le système concentrationnaire nazi, catalogue de l’exposition du Musée d’histoire contemporaine-BDIC, éditions de la BDIC, Paris, avril 1995.
[9] Jean-Claude Pressac, Les crématoires d’Auschwitz, Editions du CNRS, Paris, 1993.
[10] Maurice Cling, « Génocide et déportation, rapports et spécificités », intervention au nom de la Fondation pour la Mémoire de la
Déportation (France) au colloque Histoire et Mémoire des crimes et génocides nazis, organisé à Bruxelles par la Fondation Auschwitz (Belgique), du 23 au 27 novembre 1992. Bulletin trimestriel de la Fondation Auschwitz, Bruxelles, juillet-septembre 1994, n° spécial 38-39.
[11] Franciszek Piper, « Auschwitz, how many perished Jews, Poles, Gypsies« , Yad Vashem Studies, n° 21, 1991.
[12] Auschwitz, camp hitlérien d’extermination, op. cit. p.35.
[13] Hermann Langbein, La Résistance dans les camps de concentration nationaux-socialistes, Paris, Fayard, 1981.
[14] Olga Wormser-Migot, Henri Michel, Tragédie de la déportation, Paris, Hachette, 1954, p. 243.
[15] Hermann Langbein, Hommes et Femmes à Auschwitz, op. cit., p. 240.
[16] Claudine Cardon-Hamet, Mille otages, op. cit., édition 2000, p. 325-348, 410-418, 432-437.
[17] « Kommando spécial » composé principalement de Juifs et dévolu à l’évacuation des cadavres hors des chambres à gaz et au fonctionnement des fours crématoires.
[18] Hermann Langbein, Hommes et Femmes à Auschwitz, op. cit., p. 264-265.

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