Matricule « 46 073″ à Auschwitz
Jean Roy : né en 1920 à Paris 13ème ; domicilié à Paris 13ème ; journalier ; communiste ; arrêté le 31 janvier 1941, condamné à 4 mois de prison qu'il effectue à Fresnes ; libéré ; arrêté le 28 avril 1942 ; interné au camp de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il meurt.
Jean, Francis Roy est né le 15 décembre 1920 à Paris 13ème. Au moment de son arrestation, il habite 115, rue de la Glacière à Paris 13ème , après avoir été domicilié au 18, rue Brillat-Savarin, chez sa mère, dans le même arrondissement.
Il est le fils d’Alice Van Kerkhoven, 16 ans, née en Belgique et d’Hippolyte, Jean Roy, 26 ans, employé de chemin de fer, son époux, qui est né le 30 juin 1894 à Paris 5ème. Ses parents habitent au 2, rue du Bel air, à Gentilly au moment de sa naissance.
La famille va par la suite habiter successivement le 24, rue Quinquampois (Paris 4ème ), puis le 18, rue Ortolan (Paris 5ème). Il a un frère cadet, Pierre, qui naît en 1925.
Ses parents se sont séparés et sa mère s’est remariée avec Gustave Dhumaytter, né en 1904. Jean Roy aura deux demi-frères, André, né en 1928 et Marcel, né en 1930, et une demi-sœur, Alexandrine, née en 1933.
La famille habite en 1936 au 18, rue Brillat-Savarin, un ensemble HBM du 13ème. Jean Roy est journalier. Ancien adhérent de la Jeunesse communiste, il est membre du Parti communiste, adhérent à la cellule 2306 du 13ème arrondissement de Paris. Lorsqu’il habitait chez mère, il logeait dans le même ensemble d’immeubles HBM que Lucien Moreau, un jeune communiste qui sera arrêté avec lui et déporté comme lui à Auschwitz.
Pendant la guerre, il n’est pas mobilisé, sa classe, la 1940 n’ayant pas été appelée. Jean Roy a conservé le contact avec ses anciens camarades de la Jeunesse communiste et il participe avec eux à des distributions de tracts.
Le 14 juin 1940, les troupes de la Wehrmacht entrent dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français » et lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
Jean Roy est arrêté le 31 janvier 1941 pour « propagande communiste » avec deux autres jeunes communistes, Lucien Moreau, et Lucien Borie.
Déférés devant le Procureur de la République, tous trois sont incarcérés à la Maison d’arrêt de la Santé le même jour, en attente de jugement.
Celui-ci a lieu en février. Jean Roy et Lucien Moreau, sont condamnés par la douzième chambre du Tribunal correctionnel de la Seine à quatre mois d’emprisonnement, Lucien Borie à 10 mois.
Tous trois font appel du jugement sur les conseils de leurs avocats. Le 25 mars, en appel, la peine de quatre mois de prison est confirmée pour Jean Roy et Lucien Moreau.
Ils sont transférés à Fresnes, d’où ils sont libérés à l’expiration de leur peine.
Jean Roy et son camarade Lucien Moreau sont à nouveau arrêtés le 28 avril 1942. Le 28 avril 1942, il est arrêté à son domicile, comme otage, lors d’une rafle concernant tout le département de la Seine et visant des militants du Parti communiste clandestin ou considérés comme tels.
Lire dans le site La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942). Suivant cette politique des otages, les autorités d’occupation ordonnent l’exécution d’otages déjà internés et le 28 juin, arrêtent 387 militants (avec le concours de la police parisienne), dont la plupart avaient déjà été arrêtés une première fois par la police française pour « activité communiste » depuis l’interdiction du Parti communiste (le 26 septembre 1939) et libérés à l’expiration de leur peine. Les autres sont connus ou suspectés par les services de Police. Il s’agit de représailles ordonnées à la suite d’une série d’attentats à Paris (le 20 avril un soldat allemand de première classe est abattu au métro Molitor, deux soldats allemands dans un autobus parisien, le 22 avril un militaire allemand est blessé à Malakoff).
Lire le témoignage de Claude Souef : La rafle des communistes du 28 avril 1942 à Paris.
Les hommes arrêtés sont rapidement conduits au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (le Frontstalag 122). Jean Roy est affecté à la baraque C1, avec le numéro matricule « 4021 ».
Jean Roy écrit à sa mère et à celle qu’il appelle sa femme (1), avec le papier à en-tête du camp « Kriegsgefangenenlager » (camp de prisonniers de guerre) : le courrier qui part du camp est en effet soumis à la censure. Il est adressé à sa mère, Madame Dhuyvetter Alice, 18, rue Brillat-Savarin.
Le 12 juin 1942, Jean Roy écrit « chère mère et chère petite femme, j’espère que vous êtes en bonne santé. Je suis très heureux car je viens de recevoir un colis de maman. Mais si tu peux mettre le double, avec du tabac. Le principal, du pain, des biscuits de soldat, des biscottes, des bombons pour la toux ». Il se plaint qu’il n’y ait « rien de sa femme », à qui il demande de mettre dans les colis une fiche notant tout ce qu’elle y mettra. « Fais ton possible pour aider maman ».
Le 24 juin, il écrit à sa « mère et à ma petite femme chérie » qu’il est heureux de savoir qu’ils sont tous en bonne santé, car il se faisait du mauvais sang. Il sait que
sa femme est désormais avec sa mère « auprès de vous » et qu’elle travaille chez un épicier. Il espère que Titine (une de ses sœurs) vit toujours chez l’oncle à Fresnes et rue de la Glacière, et qu’elle lui « demande quelques pommes de terre pour moi ».
Il est heureux qu’elle ait fait deux jours de démarches pour lui. Il dit à sa mère qu’il ne faut pas qu’elle se fasse du cafard pour lui. Et comme tous les internés, il revient sur les colis « Ne te casses pas la tête : mets du pain, du beurre, du fromage, du chocolat, des légumes à cuire, car on peut faire cuire. Des pâtes surtout, des pommes de terre et des petits pois. Et le
principal, du pain ». Il lui recommande de bien inscrite dans sa lettre tout ce qu’elle lui envoie en lui rappelant qu’il a droit à 3 colis par mois.
Le 5 juillet 1942. C’est la veille du départ « vers un autre camp ». L’information a circulé dans le camp. « Chère mère et chère petite femme chérie .J’espère que tout le monde va
bien. Pour moi ça va, mais nous changeons de camp et on ne sait pas pour quel endroit. Enfin le moral est bon, et j’espère que pour vous il en soit de même.
J’ai bien reçu ton colis en bon état et les photos. Donc je suis heureux de voir ma petite sœur et ma femme ». Il demande à sa maman qu’elle essaie de lui écrire et qu’on lui envoie des colis, qui le suivront, pense-t-il. « Bons baisers à tous ».
Depuis le camp de Compiègne, Jean Roy et son camarade Lucien Moreau, vont être déportés à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Depuis le camp de Compiègne, Jean Roy est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
On ignorait son numéro d’immatriculation à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942. Le numéro «46073 ?» inscrit dans mes deux premiers ouvrages sur le convoi du 6 juillet 1942 (éditions de 1997 et 2000) correspondait à une tentative de reconstitution de la liste du convoi par matricules.
La reconnaissance, en 2017, par son frère, Pierre Roy âgé de 92 ans, de la photo d’immatriculation publiée au début de sa biographie sur mon précédent blog a pu en fournir la preuve.
La photo d’immatriculation (2) à Auschwitz a été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ». Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner au camp principal d’Auschwitz (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Aucun des documents sauvés de la destruction ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz, ne nous permet de savoir dans quel camp il est affecté à cette date, ni sa date de décès
Le 21 septembre 1946, le ministère des Anciens combattants a fixé fictivement celle-ci au 15 octobre 1942 sur la base du témoignage de ses compagnons de déportation.
Un arrêté ministériel du 16 octobre 1998 paru au Journal Officiel du 27 janvier 1999 porte apposition de la mention «Mort en déportation» sur les actes et jugements déclaratifs de décès de Jean Roy. Cet arrêté corrige le précédent qui indiquait mort le 6 juillet 1942 à Compiègne) et porte « décédé le 11 juillet 1942 à Auschwitz, soient les 5 jours prévus par les textes en cas d’incertitude quant à la date réelle de décès à Auschwitz.
Jean Roy est déclaré « Mort pour la France » en octobre 1947 et homologué « Déporté politique ».
Après la Libération, sa mère a essayé d’avoir de ses nouvelles en s’adressant par l’intermédiaire de l’Amicale d’Auschwitz à plusieurs rescapés parisiens : Robert Lambotte, Lucien Matté, Roger Pélissou, Mario Ripa lui ont répondu (en août et septembre 1945).
Malheureusement aucun de ceux-ci, ne l’avait connu, ni à Compiègne, ni à Auschwitz. Mario Ripa lui explique, en lui demandant d’excuser sa brutalité, que son fils n’était pas parmi les 180 survivants rassemblés (au Block 11) en août 1943 et lui écrit « Malheureusement, beaucoup manquent à l’appel. Ne conservez plus d’espoir. Il vaut mieux une certitude qu’une incertitude. Veuillez croire madame à tout mon respect ».
- Note 1 : Son acte de naissance ne porte pas mention d’un mariage.
- Note 2 : 522 photos d’immatriculation des « 45.000 » à Auschwitz ont été retrouvées parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation du camp d’Auschwitz. A la Libération elles ont été conservées dans les archives du musée d’Etat d’Auschwitz. Des tirages de ces photos ont été remis par Kazimierz Smolen (ancien détenu dans les bureaux du camp d’Auschwitz, puis directeur du Musée d’Etat d’Auschwitz) à André Montagne, alors vice-président de l’Amicale d’Auschwitz, qui me les a confiés.
Sources
- Fichier national du Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen. Fiche individuelle consultée en octobre 1993.
- Le 13ème arrondissement de Paris, du Front populaire à la Libération (EFR 1977) ouvrage collectif de Louis Chaput, Germaine Willard, Roland Cardeur, Auguste Monjauvis et son frère Lucien.
- Archives de la Préfecture de police de Paris, Cartons occupation allemande, BA 2374.
- Tract des JC © BNF Gallica
- © Dessin de Franz Reisz, in « Témoignages sur Auschwitz », ouvrage édité par l’Amicale des déportés d’Auschwitz (1946).
- Documents (photos et lettres), envois par mail en 2017 de M. Franck Coppi, que je remercie vivement.
- Acte de naissance, Mairie de Paris, 17 octobre 2016.
Notice biographique mise à jour en 2010, 2013, 2019 et 2021 à partir d’une notice succincte rédigée en janvier 2001 pour l’exposition organisée par l’association « Mémoire Vive » à la mairie du 20ème arrondissement, par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages :Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Autrement, Paris 2005) et de Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé), qui reproduit ma thèse de doctorat (1995). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com