Pierre Bernard (in Op. cité)
Pierre Bernard, 8 juillet 1942 à Auschwitz

Matricule « 45 227 » à Auschwitz

Pierre Bernard : né en 1906 à Paris 15ème où il est domicilié ; traceur chez Alsthom ; délégué CGT, communiste ; arrêté les 5 mai et 5 décembre 1940, prison de la Santé, non lieu au procès, mais interné aux camps d’Aincourt et de Compiègne  ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt le 13 octobre 1942. 

Pierre, Camille, Bernard est né au domicile de ses parents, au 57, rue Mademoiselle, le 20 octobre 1906, à Paris (15ème). Il est domicilié au 63, rue de la Croix Nivert à Paris (15ème) au moment de son arrestation.
Il est le fils de Pauline, Florence Jour, 35 ans et de Jérôme, Camille Bernard, 31 ans, son époux, tous deux journaliers.
Il a deux sœurs et deux frères (Maximilienne, née en 1899, Marguerite, née en 1901, Paul né en 1904 et Louis, né en 1910).
En 1928, la famille habite au 63 rue de la Croix Nivert.
Il épouse le 9 février 1929, Madeleine, Marie Ferrié à la mairie du 15ème. Elle a 19 ans, née le 25 octobre 1909à Paris 15°. Elle travaille comme couturière et est domiciliée au 14, rue Lakanal. Le couple a un enfant, Jean, qui naît en 1932.
Métallo, Pierre Bernard travaille comme traceur aux ateliers Alsthom de Saint-Ouen (Société générale de constructions électriques et mécaniques Alsthom Saint-Ouen).

Pierre Bernard est syndiqué à la CGT depuis 1934. Il est délégué du personnel suppléant à partir de 1936. Les grèves de 1936 et de 1938 sont particulièrement suivies chez Alsthom. Il adhère au Parti communiste en 1936, et il est membre de la cellule de l’usine.  Selon son fils Jean « Il a été embauché à l’Alsthom à son retour du service militaire, aux environs de 1930, à la chaudronnerie, en qualité de traceur. Par la suite, il fut élu délégué du personnel et participa activement au mouvement de 1936. En 1939, mon père fut mobilisé puis « affecté spécial » à l’Alsthom repliée alors dans le sud-ouest. Arrivé à Brive, il fit demi-tour pour St-Ouen ».
Le 5 mai 1940, il est arrêté pour « propagande communiste », comme le seront plusieurs militants de l’usine (1). Son domicile est perquisitionné en vain. Il est relaxé. Mais il a perdu son travail : il est inscrit au fonds de chômage du 1er au 22 juillet 1940.

Le 14 juin 1940, les troupes de la Wehrmacht entrent dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français » et lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).

Pierre Bernard est à nouveau arrêté le 5 décembre 1940 à la suite d’une  dénonciation,  pour « distribution de tracts communistes ».
« Le 5 décembre 1940, suite à une dénonciation de l’un de ses camarades de travail (que mon père a toujours excusé connaissant le mauvais traitement que l’on faisait subir alors), il fut arrêté à l’usine par la police française avec un autre camarade, père de deux jumelles. Bien que la police ne trouvât rien dans son placard, ou chez nous lors d’une perquisition, il fut accusé de faire des quêtes dans les ateliers pour aider les familles de ceux qui avaient été arrêtés avant lui» (Jean Bernard).
Ecroué à la Maison d’arrêt de la Santé en attente de jugement, il obtient un non-lieu le 18 février à la suite de la rétractation de son accusateur. Il n’est toutefois pas libéré et mais vraisemblablement envoyé à la Maison d’arrêt de Poissy (« en attente qu’une place soit disponible à Aincourt »), comme ce fut le cas de plusieurs autres détenus.

Le CSS d’Aincourt

En effet, le 17 janvier 1941, c’est le Préfet de Seine-et-Oise, Marc Chevalier, et non celui de la Seine, qui ordonne son internement administratif en application de la Loi du 3 septembre 1940 (2).

« Suite à son arrestation, ma mère fut désemparée et démunie, car
à cette époque, seul le mari travaillait, la femme restait à la maison pour
élever les enfants. Ma mère rechercha du travail ; cela lui demanda plusieurs mois, surtout que pendant cette période, il lui fallait essayer de faire sortir mon père de prison. Nous n’avons eu alors comme seule ressource, que la collecte effectuée parmi les camarades de travail de mon père que nous apportait toutes les quinzaines un monsieur dont j’ai oublié le nom et qui s’élevait alors à
5 F. Si parmi les anciens qui vont lire ces quelques lignes un camarade de mon père se reconnaît 45 ans après, je le remercie ! Il fut emmené à la prison de La Santé où il souffrit du froid (l’hiver 40-41 fut particulièrement rigoureux) de la faim et de ce manque de liberté, lui qui aimait tant la nature et la vie. Il souffrit également de l’ambiance de sa cellule où il côtoyait des voyous. Il fut jugé et obtint un non-lieu ! (Jean Bernard).
Pierre Bernard fait partie d’un groupe de 24 militants communistes conduits le jour même au “centre de séjour surveillé” (CSS) d’Aincourt. Lire dans le site Le camp d’Aincourt
On trouve à son propos des commentaires du commissaire Audrey (directeur du CSS d’Aincourt) laissant penser qu’il aurait renoncé à ses convictions politiques, ce qui se seraient accompagnées de meilleures conditions de vie au camp (il effectue des corvées et des travaux de jardinage chez le médecin du camp à partir de la mi-juillet 1941). Si ceci n’est pas impossible (plusieurs ouvrages ont insisté sur le rôle d’Audrey pour diviser les internés communistes d’Aincourt, en particulier en favorisant la propagande gitonniste (3) on ne peut y porter aveuglément foi, tant les formulations employées par Audrey correspondent aux termes conditionnels des demandes de libération. En tout état de cause Pierre Bernard ne figure pas sur la liste des détenus ayant adhéré au POPF en vue d’une libération.
Le 9 mai 1942, à la demande des autorités d’occupation, Pierre Bernard est transféré au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Frontstalag
122
) au sein d’un groupe d’une quinzaine d’internés venant d’Aincourt ou de Mantes.

Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Le 6 juillet 1942 : « Au cours de son transfert à la gare, il jeta dans la rue un petit mot « aux bons soins d’une personne de cœur » que nous avons bien reçu. Je ne suis pas en possession de cette lettre, mais me souviens de quelques phrases « je ne suis pas né sous une bonne étoile. Je pars pour une destination inconnue. tu es jeune, tu referas ta vie et j’espère que mon sacrifice ne sera pas vain. Il servira plus tard à mon fils » (Jean Bernard).

Depuis le camp de Compiègne, Pierre Bernard est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Pierre Bernard est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro «45 227» selon la liste par matricules du convoi établie en 1974 par les historiens polonais du Musée d’Etat d’Auschwitz.

Pierre Bernard le 8 juillet 1942

Sa photo d’immatriculation (2) à Auschwitz a été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».  Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.

Aucun des documents sauvés de la destruction ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz, ne nous permet de savoir dans quel camp il est affecté à cette date

© Dessin de Franz Reisz

Pierre Bernard est mort à Auschwitz le 13 octobre 1942 d’après le certificat de décès établi au camp d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz Tome 2 page 79 et le site internet © Mémorial et Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau) où il est mentionné avec ses dates, lieux de naissance et de décès, avec l’indication « Katolisch » (catholique).

Un arrêté ministériel du 18/12/2007 paru au Journal Officiel du 12/01/2008 porte apposition de la mention «Mort en
déportation
» sur ses actes et jugements déclaratifs de décès. Cet arrêté qui corrige le précédent qui indiquait mort
le 6 juillet 1942 à Compiègne
) mentionne néanmoins encore une date erronée : décédé le 11 juillet 1942 à Auschwitz, soient les 5 jours prévus par les textes en cas d’incertitude quant à la date réelle de décès à Auschwitz. Il serait souhaitable que le ministère prenne désormais en compte par un nouvel arrêté la date portée sur son certificat de décès de l’état civil d’Auschwitz, accessible depuis 1995 (Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau). Lire dans le site l’article expliquant les différences de dates entre celle inscrite dans les «Death books» et celle portée sur son état civil.

Pierre Bernard a été déclaré « Mort pour la France » et homologué comme « Déporté politique ».

Son fils a témoigné de la vie de son père dans livre « mémoires d’usine, mémoires d’avenir. Alsthom savoisienne, usine de Saint-Ouen-électricité ». Pierre Bernard a été déclaré « mort pour la France » et homologué « Déporté politique » le 21/09/53.

  • Note 1 : Parmi la trentaine d’ouvriers, cadres et ingénieurs d’Alsthom Saint-Ouen déclarés « morts pour la France » à la Libération, André Sigonney est fusillé au Mont Valérien le 26 août 1941 et plusieurs sont déportés et meurent en déportation, comme Henri Lefèvre (matricule « 45763 » à Auschswitz, dans le même convoi que Pierre Bernard).
  • Note 2 : La loi du 3 septembre 1940 proroge le décret du 18 novembre 1939 et prévoit l’internement de « tous
    individus dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique
    « . Les premiers visés sont les communistes.
  • Note 3 : Gitton, secrétaire national à l’organisation, rompt avec le Parti communiste à la signature du Pacte germano soviétique. Il crée le POPF, proche de la «Révolution nationale». «Il voulait rassembler les dissidents communistes autour de lui et se fixa comme une priorité absolue la libération d’un maximum d’internés après, s’entend, les avoir récupérés. (…) Quant au directeur du camp d’Aincourt il comprit le parti qu’il pouvait en tirer. En février 1941 il recevait dans son bureau les amis (internés) de «Gitton, Clamamus, Doriot» et entretint des contacts réguliers avec Gitton et Capron (…). Le POPF suscita ainsi, avec le soutien du chef de camp, une véritable dissidence parmi les internés d’Aincourt. Effectivement, les tensions furent très importantes au sein du camp et les nombreux indicateurs permirent de démanteler trois directions communistes clandestines(…). Le résultat était là : selon un rapport en forme de bilan, le chef d’Aincourt estimait, en février 1942, à quelque 150 le nombre de membres du POPF, soit 13 % des internés passés par le camp. En outre, la moitié des signataires de la première «Lettre ouverte aux ouvriers communistes» du POPF et le cinquième de la seconde étaient des anciens du camp. On mesure l’ampleur de la fracture, même si les déclarations de reniement méritent d’être nuancées à l’aune du marché implicite. En fait, la libération obtenue au prix d’un reniement officiel et du soutien des gittonistes ne déboucha que pour une petite minorité sur un engagement au sein du POPF » (Denis Peschanski, in La France des camps).
  • Note 4 : 522 photos d’immatriculation des « 45.000 » à Auschwitz ont été retrouvées parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation du camp d’Auschwitz. A la Libération elles ont été conservées dans les archives du musée d’Etat d’Auschwitz. Des tirages de ces photos ont été remis par Kazimierz Smolen (ancien détenu dans les bureaux du camp d’Auschwitz, puis devenu après guerre directeur du Musée d’Etat d’AuschwitzBirkenau) à André Montagne, alors vice-président de l’Amicale d’Auschwitz, qui me les a confiés.
  • Témoignage de son fils Jean Bernard in « mémoires d’usine, mémoires d’avenir. Alsthom savoisienne, usine de Saint-Ouen-électricité ». La photo d’avant guerre est extraite de l’ouvrage.
  • Fichier national de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen. Fiche et dossier individuel consultés consultés en octobre 1993.
  • Archives du CSS d’Aincourt aux Archives départementales des Yvelines, cotes W.
  • Denis Peschanski, in La France des camps, p. 515 à 517.
  • Archives de la Préfecture de police de Paris, Cartons occupation allemande, BA 2374.
  • Fichier national du Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), Ministère de la Défense, Caen. Fiche et dossier individuel consultés consultés en octobre 1993.
  • Liste (incomplète) par matricule du convoi du 6 juillet 1942 établie en 1974 par les historiens du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau (Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (Ministère de la Défense, Caen) indiquant généralement la date de décès au camp.
  • Death Books from Auschwitz(registres des morts d’Auschwitz), Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres (incomplets) des certificats de décès établis au camp d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
  • Photo d’immatriculation à Auschwitz : Musée d’état Auschwitz-Birkenau /© collection André Montagne.
  • © Dessin de Franz Reisz, in « Témoignages sur Auschwitz », ouvrage édité par l’Amicale des déportés d’Auschwitz (1946).

Notice biographique mise à jour en 2010, 2013, 2019 et 2021 à partir d’une notice succincte rédigée en janvier 2001 pour l’exposition organisée par l’association « Mémoire Vive » à la mairie du 20ème arrondissement, par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages :Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Autrement, Paris 2005) et de Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé), qui reproduit ma thèse de doctorat (1995). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com 

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