Matricule « 45 902 » à Auschwitz

Marcel Mauroy, collection Jean Philippe Lautenbacher son neveu, in « association Mémoire vive ».
Marcel Moroy le 8 juillet 1942 à Auschwitz

Marcel Moroy : né le 17 décembre 1921 au Pré-Saint-Gervais (Seine / Seine-Saint-Denis) ; domicilié à Bondy ; peintre ; jeune communiste ; arrêté en août 1940 ; condamné à 8 mois de prison ; arrêté comme otage le 28 avril 1942 ; interné au camp Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il meurt le 5 septembre 1942.

Marcel Albert Moroy est né le 17 décembre 1921 au Pré-Saint-Gervais (Seine / Seine-Saint-Denis).
Il est domicilié chez ses parents au moment de son arrestation, mais on trouve également sur sa fiche au BAVCC une adresse, 19 passage Kuzner à Paris 19ème (passage devenu rue Jules Romain en 1974, il donnait dans la rue de Belleville), qui est peut-être l’adresse d’une chambre non loin de son travail.

Passage Kuzner © Willy Ronis

Il est le fils de Juliette, Charlotte Abry, née le 12 mars 1866 au Pré-Saint-Gervais (Seine), cartonnière et de Charles, Théophile Moroy, lamineur, puis monteur en cycles Gladiator, au Pré-Saint-Gervais, son époux, né le 5 juillet 1884 à Paris 19°.  Ses parents se sont mariés au Pré-Saint-Gervais (Seine) le 20 mai 1905. Ils ont déménagé au 34, Grande Rue en 1921 au Pré-Saint-Gervais.
Il a trois frères et une sœur ainés : Alice, Marie, née le 24 décembre 1911, Adolphe, né le 17 juin 1900 à Paris 11ème, Paul, né le 1er août 1905, Frédéric, né le 11 septembre 1906, tous les deux à Paris 10ème.
A la naissance de Marcel Moroy ses parents sont domiciliés au 14, rue Fontaine à Bondy (Seine / Seine-Saint-Denis). En septembre 1925, la famille habite au 12, rue Fontaine à Bondy.
Marcel Moroy travaille comme peintre. Il est membre des jeunesses communistes.  « Il était un animateur dynamique du cercle de Bondy de la jeunesse communiste “les joyeux garçons” (en référence au premier film musical – jazz – portant ce titre, tourné en URSS et primé en 1934 au Festival de Venise).

La 29e Division d’infanterie se bat depuis le 5 juin 1940. La bataille se joue à Sevran, Livry-Gargan, Vaujours puis au Vert-Galant. La compagnie Gillot se regroupe à l’entrée des Pavillons-sous-Bois et bloque les troupes nazies pendant presque 24 heures. 9 soldats allemands sont tués. En représailles dans la nuit du 13 au 14 juin, les troupes nazies procèdent à l’arrestation de nombreux civils dans le secteur du Vert-Galant. Quinze d’entre eux sont fusillés.
Le 14 juin 1940, l’armée allemande entre par la Porte de la Villette dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Les troupes allemandes occupent toute la banlieue parisienne les jours suivants.  Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français » et lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).

l’Avant Garde n° 16, juillet 1940

« Marcel Moroy est de ceux qui maintinrent l’activité anti-hitlérienne à Bondy à une époque où la mobilisation et la répression avait quelque peu désorganisé l’activité clandestine de la section du parti communiste En août 1940, en plein jour et en plein marché Galliéni, il distribue le tract de la jeunesse communiste appelant les chômeurs à la lutte contre l’occupant à peine installé » (in Des Bondynois dans la Résistance, Vincent Duguet).

« Le dimanche 4 août 1940, Marcel Moroy distribue « L’Avant-Garde » n° 16 de juillet 1940 sur le marché Galliéni de Bondy en compagnie de quatre jeunes communistes de la localité. Le tract ronéoté portait en manchette « Gloire à la jeunesse Soviétique ».  Un marchand de fruits et légumes, alerta la police. Il fut arrêté par des policiers du commissariat de Noisy-le-Sec, ainsi que : Désiré Bertiaux, dix-huit ans, fraiseur, Henri Guenet, dix-huit ans, soudeur ; Robert Douvillez, trente-trois ans, menuisier, et Robert Massiquat, vingt ans, mouleur (in Des Bondynois dans la Résistance et Le Maitron). (1)

A la porte Pétain et sa clique, verso de l’Avant-garde n°16

Il est vraisemblablement te arrêté le même jour que Robert Massiquat ou le 14 août. Mais on trouve sur sa fiche au DAVCC une autre date d’arrestation : le 22 octobre 1940 pour « activité communiste ».  Marcel Moroy, inculpé d’infractions aux articles 1 et 3 du décret du 26 septembre 1939 est écroué à la Maison d’arrêt de la Santé, mis à la disposition du Procureur.

La Santé, photo des cellules : © City-Paris

Le 8 février 1941 Marcel Moroy est jugé par la 15ème chambre correctionnelle de Paris avec une cinquantaine de militants communistes (dont 17 seront déportés à Auschwitz). Marcel Moroy est condamné à 8 mois de prison, qu’il effectue à la Santé. Il fait appel de la condamnation le 28 février.
Il est vraisemblable que la sentence ait été aggravée  9 avril 1941 à 12 mois, puisque l’on sait que
le 9 novembre 1941 il est transféré au dépôt de la Préfecture.

A cette date il est sans doute libéré. En effet sur sa fiche figure une nouvelle date d’arrestation, le 28 avril 1942.
Cette date est celle d’une rafle visant des militants du Parti communiste clandestin ou considérés comme tels. Lire dans le site La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942). Suivant cette politique des otages, les autorités d’occupation ordonnent l’exécution d’otages déjà internés et le 28 juin, arrêtent 387 militants (avec le concours de la police parisienne), dont la plupart avaient déjà été arrêtés une première fois par la police française pour « activité communiste » depuis l’interdiction du Parti communiste (le 26 septembre 1939) et libérés à l’expiration de leur peine. Les autres sont connus ou suspectés par les services de Police. Il s’agit de représailles ordonnées à la suite d’une série d’attentats à Paris (le 20 avril un soldat allemand de première classe est abattu au métro Molitor, deux soldats allemands dans un autobus parisien, le 22 avril un militaire allemand est blessé à Malakoff).
Lire le témoignage de Claude Souef : La rafle des communistes du 28 avril 1942 à Paris.

Les hommes arrêtés sont rapidement conduits au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (le Frontstalag 122).
Il est alors remis aux autorités allemandes à leur demande. Celles-ci l’internent au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Frontstalag 122) où il reçoit le n° matricule « 4244 » (qui correspond bien à une arrivée à cette date). Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».

Depuis le camp de Compiègne, Marcel Moroy est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942.
Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Son numéro d’immatriculation lors de son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 était  inconnu.  Le numéro « 45 902 ? » figurant dans mes deux premiers ouvrages sur le convoi du 6 juillet 1942 correspondait à une tentative de reconstitution de la liste du convoi par matricules. Ce numéro, quoique plausible, ne pouvait être considéré comme sûr en raison de l’existence de quatre listes alphabétiques successives, de la persistance de lacunes pour plus d’une dizaine de noms et d’incertitudes sur plusieurs centaines de numéros matricules. Il ne figure donc plus dans mon ouvrage Triangles rouges à Auschwitz.
Lors de l’enregistrement il dit habiter Bondy et se déclare « Evangelisch » (Protestant).

Mais la confirmation du numéro a été apportée par une photo d’avant guerre envoyée par son neveu en 2017 à l’association « Mémoire Vive ». La comparaison avec celle du matricule « 45 902 » est évidente.

Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».  Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.

Aucun des documents sauvés de la destruction ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz, ne nous permet de savoir dans quel camp il est affecté à cette date. Toutefois sa fiche au DAVCC indique Birkenau.

Dessin de Franz Reisz, 1946

Marcel Moroy meurt à Auschwitz le 5 septembre 1942 d’après le certificat de décès établi au camp d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz Tome 3 page 829 et le site internet © Mémorial et Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau) où il est mentionné avec ses dates, lieux de naissance et de décès.
Un arrêté ministériel du 31 juillet 1997 paru au Journal Officiel du 14 décembre 1997 porte apposition de la mention «Mort
en déportation
» sur ses actes et jugements déclaratifs de décès. Mais il comporte une date erronée : « décédé en décembre 1942 à Auschwitz (Pologne) » (mention qui fait référence au jugement déclaratif de décès le 11 octobre 1945). Il serait souhaitable que le Ministère prenne en compte, par un nouvel arrêté, la date portée sur son certificat de décès de l’état civil d’Auschwitz, accessible depuis 1995 et consultables sur le site internet du
© Mémorial et Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau. Lire dans le site l’article expliquant les différences de dates entre celle inscrite dans les «Death books» et celle portée sur l’acte décès de l’état civil français) Les dates de décès des « 45000 » à Auschwitz.

Marcel Moroy a été déclaré « Mort pour la France » le 11 juin 1947 et homologué comme « Déporté politique » le 16 avril 1955. La carte est délivrée à sa mère, Juliette Moroy. Celle-ci a en vain demandé son inscription comme « Déporté Résistant » (refus notifié le 16 août 1955 par la mention « DR inadmis »).
Lire dans le site « La carte de « Déporté-Résistant ».
Son nom est inscrit sur le monument aux morts de la commune, place Charles De Gaulle.

  • Note 1 : Robert Douvilez, interné administratif à Chateaubriant à la fin de sa peine de prison est fusillé le 7 mars 1942 à Nantes. Desiré Bertiaux arrêté à nouveau, s’évade, mais est repris. Interné au FT 122, il est déporté en 1943 à Sachsenhausen, Natzweiller, Dachau. Rescapé. il sera professeur de l’enseignement technique.

Sources

  • Fichier national du Bureau de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen. Fiche individuelle microfilmée consultée en octobre 1993.
  • Archives départementales de Paris : jugements du tribunal correctionnel de la Seine.
  • Carton Brigades Spéciales des Renseignements généraux (BS1), aux Archives de la Préfecture de police de Paris. Procès-verbaux des interrogatoires.
  • Le Maitron, Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, Claude Pennetier (dir), éditions de l’Atelier, CD-Rom édition 1997. Edition informatique 2014, notice de Daniel Grason sur Désiré Bertiaux.
  • © Des Bondynois dans la Résistance. In Pdf Vincent Duguet (2008).
  • © L’avant Garde n°16, in BNF Gallica.
  • Death Books from Auschwitz (registres des morts d’Auschwitz), Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres (incomplets) des certificats de décès établis au camp d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
  • © Site Internet Legifrance.
  • © Site Internet Memorial GenWeb
  • Passage Kuzner © Belleville-Ménilmontant, Willy Ronis et Didier Daeninckx, Hoëbeke éd.
  • © Dessin de Franz Reisz, in « Témoignages sur Auschwitz », ouvrage édité par l’Amicale des déportés d’Auschwitz (1946).
  • Registre matricule militaire de son père.
  • Acte de mariage de ses parents.

Notice biographique notice rédigée pour le 60è anniversaire du départ du convoi des « 45 000 », brochure répertoriant les “45 000” de Seine-Saint-Denis, éditée par la Ville de Montreuil et le Musée d’Histoire vivante, 2002, complétée en novembre 2007 (2014,  2019, 2020, 2022 et 2024) par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages : Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé) et de Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45 000 », éditions Autrement, Paris 2005).  Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com

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