Lucien Guichard : né en 1890 à Paris 18è ; domicilié à  Saint-Ouen (Seine / Seine-St-Denis ; employé, chef de fabrication ; arrêté le 3 novembre 1941 ; interné aux camps de Rouillé et de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt le 1er octobre 1942.

Lucien Guichard est né le 6 novembre 1890 à Paris 18è. Il habite au 22, rue de l’Hermet à Saint-Ouen (Seine / Seine-St-Denis) au moment de son arrestation.
Lucien Guichard est le fils d’Eugénie Quetin, 21 ans, et de Jules, Alexandre Guichard, 31 ans, cocher, domiciliés au 37, rue Letort à Paris 18è.
Il a une demi-sœur, Louise, Lucie Poirier, qui naît en 1893, ce qui sous entend une vie familiale perturbée.
Son registre matricule militaire nous apprend qu’il mesure 1m 69, a les cheveux châtains foncés, les yeux marrons foncés, le front proéminent, le nez rectiligne, le visage ovale.
Au moment de l’établissement de la fiche, en 1929, il est mentionné qu’il est détenu à la Colonie pénitentiaire d’Eysses (jusqu’à sa majorité).
Il exercera alors plusieurs métiers : aide-comptable, puis chef de fabrication dans une usine d’enduits pour aviation. Il a un niveau d’instruction n° 3 pour l’armée (sait lire écrire et compter, instruction primaire développée).
Conscrit de la classe 1910, Lucien Guichard est appelé au service militaire et arrive au 42è Régiment d’Infanterie le 1er octobre 1911.
Considéré comme « forte tête », il est remis le 1er février 1913 à la Gendarmerie pour être conduit à la prison de Besançon puis à la section spéciale du 112è Régiment. Il est condamné à deux ans de prison par le conseil de guerre permanent de la 15è Région militaire pour « outrage par paroles envers des supérieurs pendant le service ». Il est transféré au 173è RI le 15 octobre 1913. Gracié du restant de sa peine (grâce présidentielle du 24 décembre 1914), il est affecté à la section spéciale de l’Ile Madame (une des trois sections disciplinaires de l’île d’Oléron).
Le 27 juin 1914, il est condamné par le conseil de guerre permanent de la 18è Région militaire à cinq ans de travaux publics « coupable de refus d’obéissance sur un territoire en état de guerre ». Cette peine expire le 25 octobre 1917 et il est « mis en route » sous escorte au 173è Régiment d’infanterie, à la section spéciale de Saint-Florent (Corse) le 5 décembre. Etant à Corte (Corse), le 25 avril 1918, il est convaincu « d’abandon volontaire par mutilation », mais bénéficie d’un « refus d’informer » (pas d’infraction pénale ou faits manifestement non commis). Le 29 juillet 1918, il est affecté à la section spéciale ordinaire de Calvi. Le 21 octobre, il est transféré au 175è RI. le 31 décembre 1918, il est transféré au 21è RI. Il est démobilisé le 1919 par le 1er Zouave le 11 aout 1919. Il vient habiter à Saint-Ouen, au 66, avenue des Batignolles.
En septembre 1923, il habite au 23 rue de l’Hermet à Saint-Ouen et travaille comme employé..

Lucien Guichard épouse Anna, Marie, Louise Fontaine le 3 janvier 1924
à Paris 20è. Elle est employée, âgée de 28 ans, née à Viry-Châtillon (Seine-et-Oise / Essonne), le 14 janvier 1895. Elle est domiciliée au 4, rue de l’Elysée-Ménilmontant à Paris 20è.
Cette même année, il s’inscrit sur les listes électorales de Saint-Ouen. Le couple a un enfant.
En 1930 il est membre du comité de Saint-Ouen du Secours Rouge International (rapport des Renseignements généraux du 12 juin 1930).

Le 13 juin 1940 l’armée allemande occupe Saint-Denis, puis Saint-Ouen. Le 14 juin, l’armée allemande occupe Drancy et Gagny et entre par la Porte de la Villette dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Les troupes allemandes occupent toute la banlieue parisienne les jours suivants.  Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).

A l’automne 1940 des militants communistes de Saint-Ouen diffusent les tracts et journaux du Parti clandestin. Fin octobre 1940, les services de police notent une recrudescence de la propagande communiste et perquisitionnent aux domiciles des communistes, syndicalistes ou « rouges » connus.
Pendant l’Occupation, il est chef de fabrication dans une usine d’enduits pour aviation.

Lucien Guichard est arrêté le 3 novembre 1941 à Saint-Ouen pour « activité communiste ». Le 5 novembre 1941, le Préfet de Police de Paris, François Bard, ordonne son internement administratif en application de la Loi du 3 septembre 1940 (1).

Liste des internés le 10 novembre 1941. Montage photo.

Il est transféré au Centre de Séjour Surveille de Rouillé le 10 novembre 1941.
Lire dans ce site :  le camp de Rouillé ‎

Le camp de Rouillé in VRID

Début mai 1942, les autorités allemandes adressent au commandant du camp de Rouillé (2) une liste de 187 internés qui doivent être transférés au camp allemand de Compiègne (Frontstallag 122). Le nom de Lucien Guichard (n°94 de la liste) y figure, avec des surcharges sur sa date de
naissance.

Le 22 mai 1942 c’est au sein d’un groupe de 168 internés (3) qu’il est transféré au camp allemand de Royallieu à Compiègne (le Frontstalag 122). La plupart d’entre eux seront déportés à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».

Depuis le camp de Compiègne, Lucien Guichard est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

On ignore son numéro d’immatriculation à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942.
Le numéro «45 636 ?» figurant dans mes deux premiers ouvrages sur le convoi du 6 juillet 1942 correspondait à ma tentative de reconstitution de la liste du convoi par matricules. Ce numéro, quoique plausible, ne saurait être considéré comme sûr en raison de l’existence des quatre listes alphabétiques successives que j’ai partiellement reconstituées, de la persistance de lacunes pour quatre noms, mais d’incertitudes sur plusieurs centaines de numéros matricules. Il ne figure plus dans mon ouvrage Triangles rouges à Auschwitz
Seule la reconnaissance, par un membre de sa famille ou ami de la photo d’immatriculation publiée au début de cette biographie pourrait désormais en fournir la preuve.

Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».

Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Aucun des documents sauvés de la destruction ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz, ne nous permet de savoir dans quel camp il est affecté à cette date.

Dessin de Franz Reisz, 1942

Lucien Guichard meurt à Auschwitz le 1er octobre 1942 d’après le certificat de décès établi au camp d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz Tome 2 page 409 et le site internet © Mémorial et Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau) où il est mentionné avec ses dates et lieux de naissance et de décès, et avec l’indication « Evangelist » (protestant).
Lire dans le site : 80 % des « 45 000 » meurent dans les six premiers mois

Un arrêté ministériel du 9 mai 1994, paru au Journal Officiel du 21 juin 1994, porte apposition de la mention «Mort en déportation» sur ses actes et jugements déclaratifs de décès. Mais cet acte porte la mention fictive « décédé le 31 décembre 1942 à Auschwitz (Pologne) ». Dans les années d’après-guerre, l’état civil français a fixé des dates de décès fictives (le 1er, 15 ou 30, 31 d’un mois estimé) à partir des témoignages de rescapés, afin de donner accès aux titres et pensions aux familles des déportés. Il serait souhaitable que le ministère prenne désormais en compte, par un nouvel arrêté, les archives du camp d’Auschwitz emportées par les Soviétiques en 1945, et qui sont accessibles depuis 1995 et
consultables sur
le site internet du © Mémorial et Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau.
Voir l’article : Les dates de décès des « 45000 » à Auschwitz.

La Stèle dans le square des 45000 et 31000

Lucien Guichard a été déclaré « Mort pour la France » et homologué comme « Déporté politique ».

À Saint-Ouen, son nom est gravé sur le Monument de la Résistance et de la Déportation du cimetière communal, et sur la stèle érigée en « Hommage aux résistants, femmes, hommes, déportés à Auschwitz-Birkenau », inaugurée le 24 avril 2005 dans le Square des « 45.000 » et des « 31.000 » (le convoi de femmes du 24 janvier 1943).

  • Note 1 : La loi du 3 septembre 1940 proroge le décret du 18 novembre 1939 et prévoit
    l’internement administratif sans jugement de « tous individus dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique« . Les premiers visés sont les communistes.
  • Note 2 : Dix-neuf internés de la liste de 187 noms sont manquants le 22 mai. Cinq d’entre e x ont été fusillés (Pierre Dejardin, René François, Bernard Grimbaum, Isidore Pertier, Maurice Weldzland). Trois se sont évadés (Albert Belli, Emilien Cateau et Henri Dupont). Les autres ont été soit libérés, soit transférés dans d’autres camps ou étaient hospitalisés.

Sources

  • Etat civil en ligne de Paris.
  • ACVG (aujourd’hui DAVCC, division des archives des victimes des conflits contemporains) décembre 1992, Caen
  • Registres des matricules militaires de la Seine en ligne.
  • © Google Street View.
  • Camp de Séjour Surveillé de Rouillé : archives départementales de la Vienne.
  • Archives départementales de la Vienne (109W75)
  • Liste des militants communistes internés administrativement au CSS de Rouillé le 10 novembre 1941. Archives de la police /C – 331 – 24.
  • Liste du 22 mai 1942, liste de détenus transférés du camp de Rouillé vers celui de Compiègne (Centre de Documentation Juive Contemporaine XLI-42).
  • © Le CSS de Rouillé. In site Vienne Résistance Internement Déportation.
  • © Dessin de Franz Reisz, in « Témoignages sur Auschwitz », ouvrage édité par l’Amicale des déportés d’Auschwitz (1946).
  • Montage photo du camp de Compiègne à partir des documents du Mémorial  © Pierre Cardon

Notice biographique rédigée à partir d’une notice succincte pour le 60è anniversaire du départ du convoi des « 45 000 », brochure répertoriant les “45 000” de Seine-Saint-Denis, éditée par la Ville de Montreuil et le Musée d’Histoire vivante, 2002, complétée en novembre 2007 (2014,  2019, 2020, 2022 et 2024) par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages : Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45 000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé) et de Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45 000 », éditions Autrement, Paris 2005 (dont je dispose encore de quelques exemplaires pour les familles).  Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com

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