Matricule « 45 330 » à Auschwitz
Yves Cariou : né en 1908 à Cherbourg (Manche) ; domicilié au Blanc-Mesnil (Seine-et-Oise / Seine-Saint-Denis) ; tripier, employé de bureau ; syndicaliste CGT, communiste ; arrêté le 1er novembre 1940 interné aux camps d’Aincourt et de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il meurt le 3 octobre 1942.
Yves, François, Marie Cariou est né le 8 septembre 1908 à Cherbourg (Manche). Il habite au 20, rue Gutemberg au Blanc-Mesnil (Seine-et-Oise / Seine-Saint-Denis), au moment de son arrestation.
Yves Cariou est le fils de Françoise Calvez et d’Yves, Marie Cariou. Il est tripier de métier. Mais à la suite d’un accident de travail (amputé de quatre doigts de la main gauche, il est pensionné à 30 %), il devient employé de bureau : d’abord au Touring Club de France au 65, avenue de la Grande-Armée à Paris, puis aux Établissements Charles au 67, rue Solférino à Aubervilliers.
Yves Cariou épouse Marcelle Barthelme le 22 avril 1933 à la Mairie d’Aubervilliers (Seine / Seine-Saint-Denis). Elle est née le 18 janvier 1910 à Aubervilliers. Elle est employée de bureau.
Ils habitent alors au 163, rue Victor Hugo à Aubervilliers. Le couple a une fille, Simone, née le 23 mars 1936 à Aubervilliers.
Ils habitent ensuite au moins jusqu’en 1936 au 10, rue des Gardinou à Aubervilliers (registre de recensement). Il travaille alors comme employé à la société A. Porka à Paris. Puis ils déménagent au Blanc-Mesnil au 20, rue Gutemberg.
Yves Cariou est un syndicaliste et militant communiste connu des services de police.
A la déclaration de guerre, réformé à la suite de son accident de travail, Yves Cariou n’est pas mobilisé.
Il poursuit une activité militante clandestine pendant la guerre et au début de l’Occupation allemande.
Le 14 juin 1940, les troupes de la Wehrmacht entrent dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Les troupes allemandes occupent toute la banlieue parisienne les jours suivants. Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français » et lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
Comme tous les militants communistes connus avant-guerre, Yves Cariou est surveillé par la police française.
Le 28 octobre 1940, le commissaire d’Aulnay-sous-Bois note qu’Yves Cariou « A été signalé comme distributeur de tracts et fréquente les réunions clandestines tenues chez le nommé W., 58 rue Eugène Varlin, à Blanc-Mesnil » à la suite d’une enquête de la 1ère Brigade mobile. En conséquence le 30 octobre son nom est inscrit par le Préfet de Seine-et-Oise, sur une liste de 12 « individus proposés pour être dirigés sur le centre de séjour surveillé d’Aincourt ». En effet s’il n’y a pas lieu de poursuivre devant un tribunal, le Préfet agit selon les consignes de Vichy et applique la loi du 3 septembre 1940 qui proroge le décret du 18 novembre 1939 prévoyant « l’internement administratif » sans jugement de « tous individus dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique ». Les premiers visés sont les communistes.
Le 1er novembre 1940, Yves Cariou est arrêté par les agents du commissariat d’Aulnay. Il est conduit le 2 novembre au “Centre de séjour surveillé” (CSS) d’Aincourt (arrêté du 31 octobre pris par le Préfet de Seine-et-Oise, Marc Chevalier).
Lire dans le site Le camp d’Aincourt.
Sa femme Marcelle obtient une autorisation de visite pour les fêtes de Noël 1940, et sollicite par écrit une autre autorisation le 13 mars 1941. Le commissaire du Blanc-Mesnil lui annonce le 29 mai que les visites ont lieu à la Pentecôte (qui a lieu le 1er juin 1941).
Au camp Yves Cariou proteste de son incarcération et demande sa libération au Préfet de Seine-et-Oise (lettre du 12 février 1941). Lors de la « révision trimestrielle » de son dossier, le 25 février 1941, le commissaire Andrey directeur du camp émet un avis négatif sur une éventuelle libération « se faisant remarquer par la violence des propos dans sa correspondance » et « participant aux manifestations collectives organisées au Centre par les meneurs du Parti ». Les « internés administratifs » à Aincourt en 1940 n’ont en effet pas été condamnés : la révision trimestrielle de leurs dossiers est censée pouvoir les remettre en liberté, s’ils se sont « amendés »… Andrey, dont l’anticommunisme est connu, a émis très peu d’avis favorables, même s’il reconnait la plupart du temps la bonne tenue de l’interné, ce qui est le cas pour Yves Cariou.
A la fin de l’année 1940, son homonyme, Corentin Cariou (1) arrêté en 1939, interné à Baillet, puis évadé et repris, est lui aussi interné au camp d’Aincourt depuis le 5 octobre 1940.
Le 27 juin 1941 (2), Yves Cariou est remis aux autorités allemandes, à leur demande, avec quatre-vingt-sept internés d’Aincourt, qui sont transférés, via le Fort de Romainville, au camp allemand de Compiègne (le Frontstalag 122) (mémoire de maîtrise d’Emilie Bouin). Ils ont tous été désignés par le directeur du camp, avec l’aval du Préfet de Seine-et-Oise.
A Compiègne, Yves Cariou se retrouve avec deux autres militants communistes du Blanc-Mesnil internés eux aussi à Aincourt et transférés vers Compiègne le 27 juin 1941 : Henri Charlier (arrêté le 1er novembre 1940) et Marcel Alizard (arrêté le 18 janvier 1941).
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
A la mi-juillet son épouse reçoit une carte-formulaire imprimée en allemand envoyée par le Frontstalag 122 aux familles des déportés du convoi : « Le détenu ci-dessus dénommé a été, sur ordre de nos autorités supérieures, transféré dans un autre camp pour y être mis au travail. Le lieu de destination ne nous est pas connu. Vous devrez donc attendre d’autres nouvelles du détenu« .
Depuis le camp de Compiègne, Yves Cariou est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942.
Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Yves Cariou est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro matricule «45 330» selon la liste par matricules du convoi établie en 1974 par les historiens polonais du Musée d’Etat d’Auschwitz. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais – sera désormais sa seule identité pour ses gardiens.
Sa photo d’immatriculation à Auschwitz (3 )a été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Aucun des documents sauvés de la destruction ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz, ne nous permet de savoir dans quel camp il est affecté à cette date.
Yves Cariou meurt à Auschwitz-Birkenau le 3 octobre 1942 d’après le certificat de décès établi au camp d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz Tome 2 page 158 et le site internet © Mémorial et Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau) où il est mentionné avec ses dates, lieux de naissance et de décès, avec l’indication « Katolisch » (catholique).
Un arrêté ministériel du 6 octobre 1987 paru au Journal Officiel du 13 novembre 1987 porte apposition de la mention «Mort en déportation» sur ses actes et jugements déclaratifs de décès. Mais il comporte une date erronée : « décédé le 28 février 1943 à Birkenau (Pologne) ». Il serait souhaitable que le Ministère prenne en compte, par un nouvel arrêté, la date portée sur son certificat de décès de l’état civil d’Auschwitz, accessible depuis 1995 et consultable sur le site internet du © Mémorial et Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau.
Lire dans le site l’article expliquant les différences de dates entre celle inscrite dans les «Death books» et celle portée sur l’acte décès de l’état civil français)
Les dates de décès des « 45000 » à Auschwitz. et 80 % des « 45 000 » meurent dans les six premiers mois
Yves Cariou est déclaré « Mort pour la France » le 20 mars 1947. Il est homologué « Déporté politique ».
Par un arrêté de 1949 paru au Journal Officiel du 18 décembre 1949, il est homologué comme « Soldat » à titre posthume au titre de la Résistance intérieure française, avec prise de rang au 1er novembre 1940.
La Municipalité du Blanc-Mesnil a donné son nom à une rue, ainsi qu’à une salle municipale.
- Note 1 : Corentin Cariou, gazier à Paris ; syndicaliste ; membre du comité central du Parti communiste (1932-1936) ; conseiller municipal de Paris (1938-1940), est fusillé le 7 mars 1942 près de Compiègne. On lira sa notice biographique dans le Maitron, désormais accessible au grand public. Il ne semble pas avoir de lien de parenté direct avec Yves Cariou.
- Note 2 : C’est à cette date que sont également internés à Compiègne un millier de syndicalistes et communistes raflés à partir du 22 juin 1941, jour de l’attaque hitlérienne contre l’Union soviétique, par les Allemands avec l’aide de la police française (nom de code de l’opération : «Aktion Theoderich»). D’abord amenés à l’Hôtel Matignon (un lieu d’incarcération contrôlé par le régime de Vichy) ils sont envoyés au Fort de Romainville, où ils sont remis aux autorités allemandes. Ils passent la nuit dans des casemates du fort transformées en cachots. Et à partir du 27 juin ils sont transférés vers Compiègne, via la gare du Bourget dans des wagons gardés par des hommes en armes. Ils sont internés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré par la Wehrmacht, camp destiné à l’internement des «ennemis actifs du Reich», alors seul camp en France sous contrôle direct de l’armée allemande
- Note 3 : 522 photos d’immatriculation des « 45 000 » à Auschwitz ont été retrouvées parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation du camp d’Auschwitz. A la Libération elles ont été conservées dans les archives du musée d’Etat d’Auschwitz. Des tirages de ces photos ont été remis par Kazimierz Smolen (ancien détenu dans les bureaux du camp d’Auschwitz, puis devenu après-guerre directeur du Musée d’Etat d’Auschwitz–Birkenau) à André Montagne, alors vice-président de l’Amicale d’Auschwitz, qui me les a confiés.
Sources
- Renseignement communiqué en juillet 1988 par M. Robert Fregossy, maire communiste du Blanc-Mesnil, conseiller général.
- Livret des archives communales.
- Recensement de la population d’Aubervilliers (1936).
- Mémoire de maîtrise d’Histoire sur Aincourt d’Emilie Bouin, juin 2003.Premier camp d’internement des communistes en zone occupée. dir. C. Laporte. Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines / UFR des Sciences sociales et des Humanités.
- Archives de la police / BA 2374
- Liste des 88 internés d’Aincourt (tous de l’ancien département de Seine-et-Oise) remis le 27 juin 1941 à la disposition des autorités d’occupation (archives de la Préfecture de police de Paris, Cartons occupation allemande, BA 2374).
- Archives du CSS d’Aincourt aux Archives départementales des Yvelines, cotes W.
- Liste (incomplète) par matricule du convoi du 6 juillet 1942 établie en 1974 par les historiens du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau (Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (Ministère de la Défense, Caen) indiquant généralement la date de décès au camp.
- Death Books from Auschwitz (registres des morts d’Auschwitz), Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres (incomplets) des certificats de décès établis au camp d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
- © Site InternetLegifrance.
- © Site InternetMemorialGenWeb.
- Photo d’immatriculation à Auschwitz : Musée d’état Auschwitz-Birkenau /© collection André Montagne.
- Montage photo du camp de Compiègne à partir des documents du Mémorial © Pierre Cardon
- © Google Street view.
Notice biographique rédigée en novembre 2007 (complétée en 2014, 2019, 2020 et 2022) par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages : Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé) et de Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Autrement, Paris 2005) . Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique. Pour la compléter ou la corriger cette notice biographique, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com