A la Libération, Georges Kesterman, l’un des évadés,  montre l’entrée du tunnel
Témoignages d’Odette Dalenne, d’Hélène Valquenard et de Simone Thomas
Ces témoignages, rassemblés par Chantal Dalenne (1) viennent en complément de l’article de ce site : 22 juin 1942 : 19 internés s’évadent du camp de Compiègne par un souterrain.

« Vers la fin juin 42, six des évadés du camp de Royallieu de Compiègne ont été
hébergés au 22 rue du Moulin de Pierre à Issy-les-Moulineaux par André Dalenne et sa famille. Mon père était appelé soit « Oscar », soit « Gueule d’or » par les camarades.
Odette, ma demi-sœur avait 11 ans à cette époque et se souvient des camarades qui sont venus. La maison était petite et ils dormaient par terre dans le séjour et dans la chambre d’Odette qui dormait, elle, dans la chambre parentale.

Georges Cogniot (Préfecture 1942)

Il y avait Renard, Thorez (Louis), Le Gall, Gangner, Loriguet et celui qu’ils appelaient « Chef », Cogniot.
Mon père, qui faisait les mairies pour récupérer les tampons, les papiers et les tickets de ravitaillement a pu fournir ce qui leur manquait ainsi que des vêtements…
Thorez et Le Gall sont repartis au bout de trois jours et se sont malheureusement fait arrêter quelques jours plus tard dans leur nouvelle planque de Paris. Renée Loriguet est venue retrouver son mari rapidement dans la planque. Les autres ont regagné d’autres planques pour poursuivre leurs actions. Maurice Loriguet qui était farceur, n’arrêtait pas de dire à ma mère pour la taquiner quand elle lui disait : « Tu te fiches de moi, c’est impossible de s’évader comme ça, dis, c’est une blague que tu me racontes ? D’abord, comment vous avez fait? ». Alors Loriguet lui répondait : « Mais à la petite cuillère, ma p’tite, à la p’tite cuillère ! ». Du coup Maman a mis du temps à se rendre à l’évidence et à croire à cette évasion. René Guerre et Maurice Loriguet sont restés en contact avec mon père et sa famille. Ils ont travaillé ensemble.
René Guerre s’est fait arrêter plus tard. Mon père a été suspecté à la suite de l’arrestation d’un camarade qui avait gardé l’adresse d’Issy dans sa poche.  La police allemande (ma sœur se souvient des uniformes verts) est descendue un matin de décembre 1942. Mon père qui avait aménagé une sortie dans le grillage du jardin à l’arrière de la maison a pu s’échapper. Mais les Feldgendarmen ont embarqué Hélène au commissariat de la rue Bassano à Paris, laissant seule ma sœur dans la maison. Hélène a été mise en présence de plusieurs hommes suspectés de résistance et elle a reconnu René Guerre parmi eux. Ils n’ont  bronché ni l’un ni l’autre malgré le choc que ça a dû être de se retrouver dans de telles circonstances. A un moment il y a eu une bousculade dans la pièce et Guerre a basculé par la fenêtre du commissariat et s’est tué. Selon les dires d’Hélène, ça a été terrible. Elle n’a pas compris si René s’était jeté de lui-même par la fenêtre ou s’il a été assassiné par des policiers car il y avait un agglutinement devant la fenêtre. Pour elle, il lui semblait plutôt qu’on l’avait projeté dehors. De toute façon il est mort pour la France. S’il s’est supprimé c’était probablement pour ne pas parler et cela a dû protéger ses camarades, entre autre Hélène Valquenard qui a été relâchée 3 jours plus tard sans rien leur apprendre. Malgré tout elle a été à nouveau interrogée avec sa fille au commissariat de Clamart, puis a subi une descente de la Gestapo à son domicile. Ils n’ont rien trouvé et ont fini par la laisser tranquille.
Maurice Loriguet a posé les bases du Front National en Côte-d’Or, avec André Blanc et Lambert ; ils ont monté une cellule de Résistance et ont aidé les évadés étrangers pour la plupart (Russes, Anglais…) d’un camp en Côte-d’Or à quelques kilomètres de Dijon  pour leur fournir ce qu’il fallait pour continuer la lutte ou passer en Angleterre.
André Dalenne alias Victor, et Maurice Loriguet ont attaqué les mairies ensemble pendant quelques temps. Ils ont failli être pris deux fois. La deuxième fois mon père a reçu une balle dans la jambe et ils ont arrêté de faire les mairies ensemble.
Ils ont continué séparément  et apparemment cela posait moins de problème de travailler en solo. Par contre, mes parents ont transmis des directives, des armes, de quoi faire des faux papiers entre Paris et la région de Dijon, en Saône-et-Loire sous les ordres de Loriguet.
Ma mère était agent de liaison et travaillait avec plusieurs responsables. A partir de 1943, elle a transporté un grand nombre de fois des fonds très importants entre Gaullistes et Communistes ainsi que des directives. Elle passait également dans les réseaux pour transmettre les consignes de sécurité et former les nouveaux. Certains fonds lui étaient donnés par Loriguet.
Mon père a été aussi passeur de fonds, moins souvent que ma mère, car il s’est concentré sur le braquage des mairies. Il a écumé la Bretagne fin 43 et 44 et transmettait à Loriguet ainsi qu’à d’autres responsables ce qu’il avait récolté.
Maurice Loriguet a signé des papiers du FN pour permettre à ma mère d’être reconnue en tant que résistante. Elle n’aura cependant aucune reconnaissance de ses actions.
Maurice Loriguet a divorcé après la guerre et s’est remarié. Il est reparti en Côte-d’Or et mes parents et lui se sont perdus de vue. Mes parents n’ont jamais raconté leur histoire sauf à une époque très tardive : mon père, avant sa mort survenue en 1997, et ma mère, à la suite d’un cancer lorsqu’elle a eu 81 ans. Ma demi-sœur Odette a commencé à raconter il y a trois ans environ, à l’âge de 80 ans. Lorsque j’étais enfant, j’ai entendu souvent mon père prononcer le nom de Charles Désirat mais je ne sais rien des rapports qu’ils ont eu.
Sidérée par tout ce que j’ai entendu, je me suis mise à prendre des notes et à faire des recherches sur les personnes que mes parents ont côtoyées, puis j’ai écrit un texte : d’abord pour la famille et les amis puis plus sérieusement. J’ai finalement décidé de faire un livre de leur histoire et suis dans les corrections ».

  • Note 1 Chantal Dalenne, La lumière descendue dans l’abîme » parcours initiatique d’une jeune résistante, éditions L’Harmattan.

En cas d’utilisation ou publication de ce témoignage, prière de citer le livre de Chantal Dalenne et « Témoignage publié dans le site « Déportés politiques à Auschwitz : le convoi dit des 45.000 » deporte-politiques-auschwitz.fr

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