Une première notice biographique de Pierre Primel a été réalisée en mai 2007 par Claudine Cardon-Hamet (1). Elle est complétée en 2016 à partir des témoignages et documents fournis par sa fille Yvette et sa petite fille Marie-Christine Frare à l’association « Mémoire vive des convois des 45.000 et 31.000» et à M. Julien Meneau, « citoyen engagé et diplômé de l’Université Paris VIII ». Ces témoignages et document sont publiés
sur le site de l’association et sur le blog de M. Menau.
Pierre Primel : né en 1901 à Plourac'h (Côtes-du-Nord / Côtes d'Armor) ; domicilié à Saint-Denis (Seine / Seine-St-Denis) ; gazier ; délégué CGT, communiste ; arrêté comme 26 juin 1941 ; interné de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il meurt le 20 septembre 1942.
Pierre Primel est né le 21 mars 1901 à Plourac’h dans les Côtes-du-Nord (aujourd’hui Côtes d’Armor) au lieu-dit Penvern, quartier du Menez. Il habite dans le département de la Seine, au 5, rue Liant à Saint-Denis (aujourd’hui en Seine-Saint-Denis) au moment de son arrestation.
Il est le fils de Marie Denmat, 26 ans et de François, Louis Primel, 27 ans, laboureur, son époux.
Conscrit de la classe 1921, Pierre Primel devance l’appel et signe un engagement de trois ans à la Marie de Brest en septembre 1919.
Le 22 septembre, il est incorporé au 2ème dépôt des équipages de la Flotte à Brest. Il est affecté
à l’escadre de Méditerranée. Du 13 février au 1er avril 1920, il est à bord du cuirassé « Patrie », qui sert de navire-école. Pierre Primel est apprenti à l’école des « mécaniciens et chauffeurs » de Toulon. Il est breveté Chauffeur le 1er octobre 1920, puis Quartier-maître chauffeur le 1er juillet 1922. Le 16 août 1922, Pierre Primel est renvoyé à la vie civile : il se retire à Kerninec Huella en Bolazec, Finistère, à quelques kilomètres de son village de naissance Plourac’h.
Le 19 décembre 1923, il est embauché comme gazier journalier par la Société du Gaz de Paris. Pierre Primel a suivi une filière d’embauche de bretons mise en place par le Marquis Oswen de Keroüartz (2) au profit de l’entreprise au sein de laquelle il était ingénieur. L’usine emploie plusieurs centaines d’ouvriers bretons qui effectuent un travail difficile et peu qualifié. « Gaz de Paris »
fournissait en gaz d’éclairage et de chauffage sur l’ensemble du territoire de
la commune de Paris. Ses énormes gazomètres télescopiques hauts de 65 mètres s’élèvent et s’abaissent en fonction de la quantité de gaz qu’ils contiennent, sont situés à
La Plaine Saint-Denis.
Le 30 juillet 1924 à Saint-Denis Pierre Primel épouse Marie-Philomène Le Guilloux, une payse née à Plourac’h la même années que lui. Le couple a une fille, Yvette qui naît le 1er mai 1925 à Saint-Denis. Ils habitent au rez-de-chaussée du 5 de la rue Riant.
Militant à la CGTU, Pierre Primel est représentant du personnel en 1926. En 1931, il est délégué adjoint du comité de vigilance pour le chantier à coke (ancêtre des comités d’hygiène et de sécurité contemporains).
En 1934, il est secrétaire-adjoint au groupe unitaire du Landy et sera délégué responsable jusqu’en 1939.
Comme nombre d’ouvriers de Saint-Denis, il loue un jardin dans les anciennes douves du Fort de l’Est.
Il est photographe amateur. Avec les congés payés de 1936, la famille ira en vacances en juillet à Étables-sur- Mer (Côtes-du-Nord / Côtes d’Armor). Pierre Primel travaille à l’usine à gaz du Landy, à Saint Denis, au moment de son arrestation. Il est délégué syndical et memebre du Parti communiste.
Le 13 juin 1940 la Wehrmacht occupe Pantin et Saint-Denis : un détachement s’installe à l’école du Bel Air. Le 14 juin, l’armée allemande occupe Drancy et Gagny et entre par la Porte de la Villette dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Les troupes allemandes occupent toute la banlieue parisienne les jours suivants. Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…). A Saint-Denis la Wehmarcht installe un Frontstalag à la caserne des Suisses, qui fonctionne en réseau avec le Frontstalag 111 de Drancy et le camp de Romainville.
Militant communiste et délégué syndical CGT connu, il aurait été arrêté à Saint-Denis le 9 novembre 1940, selon le témoignage de Fernand Devaux arrêté ce même jour à Saint-Denis, par des policiers français, lors d’une rafle qui touche des dizaines de communistes du département de la Seine.
Ce même jour est également arrêté Aristide Mandron délégué CGT dans la même entreprise que Pierre Primel.
Néanmoins, nous n’avons qu’une seule date d’arrestation officielle (Renseignements généraux et certificat du Ministère des Anciens combattants en 1946) : celle du 24 juin 1941. Cette date est confirmée par sa fille. Fernand Devaux a donc vraisemblablement confondu Pierre Primel et Aristide Mandron.
L’arrestation de Pierre Primel a lieu à 6 heures du matin à son domicile, effectuée par des hommes du commissariat de Saint-Denis.
Sur le document des RG on lit comme cause de l’arrestation « Communiste notoire, meneur actif et dangereux ».
L’arrestation de Pierre Primel s’inscrit donc bien dans le cadre d’une grande rafle concernant les milieux syndicaux et communistes. En effet, à partir du 22 juin 1941, jour de l’attaque hitlérienne contre l’Union soviétique, les
Allemands arrêtent plus de mille communistes avec l’aide de la police française (nom de code de l’opération : «Aktion Theoderich»). D’abord amenés à l’Hôtel Matignon (un lieu d’incarcération contrôlé par le régime de Vichy) ils sont envoyés au Fort de Romainville, où ils sont remis aux autorités allemandes. Ils passent la nuit dans des casemates du fort transformées en cachots.
Et à partir du 27 juin ils sont transférés vers le camp allemand de Compiègne, via la gare du Bourget dans des wagons gardés par des hommes en armes, en vue de leur déportation comme otages.
Le Frontstalag 122 à Compiègne, administré par la Wehrmacht,
est un camp destiné à l’internement des «ennemis actifs du Reich», alors seul camp en France sous contrôle direct de l’armée
allemande.
A Compiègne, son épouse et leur fille auront droit à une visite : elles pourront voir Pierre Primel pendant une heure, surveillés par deux soldats allemands. À cette occasion, il remet à Yvette le dessin d’un mirador du camp.
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Depuis le camp de Compiègne, Pierre Primel est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Son numéro d’immatriculation à Auschwitz n’est pas connu. Le numéro 46017 ? figurant dans mes deux premiers ouvrages sur le convoi du 6 juillet 1942 (éditions de 1997 et 2000) et signalé comme incertain correspond à une tentative de reconstitution de la liste du convoi par matricules. Elle avait notamment pour objectif de faciliter l’identification des 524 photos anthropométriques de « 45000 » préservées de la destruction par
des résistants du camp et retrouvées après la libération d’Auschwitz. Cependant, cette reconstitution n’a pu aboutir en raison de l’existence de
quatre listes alphabétiques successives, de la persistance de lacunes pour plus d’une dizaine de noms et d’incertitudes sur plusieurs centaines de numéros matricules. Il serait donc imprudent d’attribuer ce numéro à Pierre Primel en l’absence de nouvelles preuves.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ». Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Pierre Primel meurt le 20 septembre 1942, d’après le certificat de décès établi au camp d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz Tome 3 page 965). Ce certificat porte comme cause du décès « Herzwassersucht » (œdème cardiaque). L’historienne polonaise Héléna Kubica a révélé comment les médecins du camp signaient en blanc des piles de certificats de décès avec
«l’historique médicale et les causes fictives du décès de déportés tués par injection létale de phénol ou dans les chambres à gaz». Il convient de souligner que cent quarante-huit «45000» ont été déclarés décédés à l’état civil d’Auschwitz les 18, 19, 20 ou 21 septembre 1942, ainsi qu’un nombre important d’autres détenus du camp ont été enregistrés à ces mêmes dates. D’après les témoignages des rescapés, ils ont tous été gazés à la suite d’une vaste sélection
interne des inaptes au travail, opérée dans les blocks d’infirmerie. Lire dans le site : Des
causes de décès fictives.
Après la guerre, une cérémonie commémorative sera célébrée dans l’enceinte de l’usine en la mémoire des salariés de Gaz de Paris déportés pendant la guerre. Le maire de Saint-Denis de l’époque, Auguste Gillot, ainsi que les familles et le personnel de l’usine y assistent.
Le titre de « Déporté politique » lui a été attribué en 1962 ainsi que la mention « Mort pour la France » en 1975.
La plaque commémorative apposée à son domicile, brisée, a été réinstallée en 2013.
Note 1 : Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des «45000», éditions Autrement, Paris 2005 et de Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des «45000», éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé).
Note 2 : Ingénieur à Gaz de Paris, homme politique (député du département des Côtes du Nord de 1930 à 1936, inscrit au groupe indépendant d’action économique, paysanne et sociale.
En 1935, il est maire de Bulat-Pestivien et conseiller général du canton de Callac. Résistant, il retrouve son siège de maire de Bulat-Pestivien en 1945 (Wikipédia).
Sources
- Témoignage de Fernand Devaux, déporté dans ce convoi.
- Archives municipales de Saint-Denis (consultées en 1988 par Fernand Devaux).
- Liste de la mission néerlandaise de recherche établie à partir des déclarations de décès du camp d’Auschwitz (Bureau des archives des victimes des conflits contemporains, Caen, archives du ministère de la Défense).
- Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la
ville d’Auschwitz ayant enregistré du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943 le décès des détenus immatriculés). - Archives de la Préfecture de police de Paris. Renseignements généraux, listes des militants communistes arrêtés le 24 juin 1941.
- Photos de famille © Yvette Porato et Marie-Christine Frare, in site internet « Mémoire Vive » et blog de M. Julien Meneau.
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