Plaque commémorative des victimes françaises au camp d’Hinzert
Déporté NN au Struthof
Les « 45 000 », déportés à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942, étaient-ils des "déportés NN" comme on le rencontre encore parfois dans certains articles et sur certains sites Internet ? 

 

La déportation des « NN » prenait sa source dans le décret du 7 décembre 1941 signé par le Maréchal Keitel, Commandant suprême de la Wehrmacht. Ce décret a été désigné à partir d’août 1942 sous le nom de « Nacht und Nebel Erlass » (« décret Nuit et Brouillard ») par l’Office central de sécurité du Reich (RSHA). Les déportés dits « NN » qui relevaient de la procédure étaient destinés à être jugés en Allemagne et devaient y être isolés du reste monde extérieur. Leur sort devait être couvert par le secret le plus absolu (1-a).

Pour leur part, les « 45000 » ont été déportés comme otages « judéo-bolcheviks » en application d’un ordre de Hitler du 9 avril 1942 et des ordonnances prises par le MBF, le Commandement militaire en France, Carl Heinrich von Stülpnagel.

Par cet ordre Hitler exigeait qu’en représailles et dans un but de « terreur dissuasive » l’exécution pour chaque attentat d’un « nombre déterminé d’otages » ainsi que la déportation vers l’Est de 500 communistes, juifs. (Voir a ce sujet dans ce blog : La politique allemande des otages (août 1941 – octobre 1942).

La présence dans ce convoi de prisonniers de droit commun, ainsi que de nombreux communistes arrêtés par Vichy avant la promulgation du décret NN en décembre 1941, interdit l’hypothèse d’un convoi constitué dans sa totalité de prisonniers « NN ».
La confusion vient d’une interprétation erronée du témoignage de Kazimierz Smolen (1-b), détenu polonais matricule « 1327 », blockschreiber du Block 4, puis du Block 23, puis dans les bureaux du camp d’Auschwitz.

Kazimierz Smolen

Dans sa déposition au procès des SS d’Auschwitz, en 1946, Kazimierz Smolen indique : Dans les dossiers qui émanaient de l’organisme qui envoyait le prisonnier au camp, se trouvaient parfois des mentions spéciales. Ainsi, «retour indésirable, ou bien Nacht und Nebel/NN ou Meerschaum/Ma, ce qui voulait dire que la trace de ces prisonniers devait disparaître. Ceci ne voulait pas dire que le prisonnier devait être liquidé au camp, mais qu’il fallait empêcher la communication de ce prisonnier avec le monde extérieur et, pour cette raison, il n’avait le droit ni de recevoir des lettres ni d’en écrire (…). Sous le nom de code « Nacht und Nebel » est venu à Auschwitz, au milieu de l’année 1942, un transport de communistes français ».

En juillet 1992, Kazimierz Smolen m’a personnellement confirmé sa déposition et m’a apporté les précisions suivantes :
« Je me souviens très bien de l’arrivée du convoi de politiques français, le 8 juillet 1942. Le chef SS du bureau des enregistrements, Hans Starck, nous a indiqué qu’il s’agissait d’un convoi du RSHA auquel il fallait appliquer le traitement « NN » : c’est-à-dire que les détenus ne pouvaient pas communiquer avec l’extérieur. Lorsque j’ai eu la liste du convoi entre les mains, elle ne portait nulle part la mention « NN ». J’y ai écrit moi-même les lettres « NN », après avoir reçu l’instruction de Starck. Ces deux lettres devaient être également inscrites sur les fiches individuelles des membres de ce convoi, en face du motif de l’arrestation, sans aucune autre explication. Pour les prisonniers « NN », l’objectif était de laisser les familles dans l’inquiétude et les groupes de Résistance auxquels ils appartenaient dans l’ignorance de leur sort, dans un but d’intimidation et de dissuasion ».

La « fiche de sécurité » d’Armand Saglier

Ce témoignage qui émane d’un témoin de première importance en raison de la fonction qu’il occupait dans l’administration d’Auschwitz et dans la Résistance du camp (3), n’a pu être étayé par des documents.
Ni la liste de départ du convoi des « 45 000 » depuis Compiègne qui accompagnait le transport, ni celle qui avait servi à leur immatriculation à Auschwitz n’ont été retrouvées.

Le témoignage d’Hans Beckmann, déporté Hollandais du convoi du 6 juillet 1942 affecté à la section politique (De Politische Abteilung) comme traducteur conforte néanmoins le témoignage de Kazimierz Smolen :  « Quand nous leur avons dit que notre transport était celui de prisonniers politiques, ils ne l’avaient même pas su. À part une liste du transport avec des noms, aucune donnée n’était venue avec nous. On nous avait pris pour des « criminels ordinaires » (BVF), car à part les Juifs, il n’y avait pas d’autres transports ». Lire dans le site : De politische Abteilung (la section politique du camp)

La « fiche de sécurité » d’Armand Saglier, « 46.085 », établie par la « section politique » du KL d’Auschwitz et conservée au DAVCC à Caen, et dont le tampon est daté du 16 mai 1944, ne porte nulle part la mention NN.

La carte verte adressée aux familles entre le 15 et 23 juillet 1942

Cependant, conformément au témoignage de Kazimierz Smolen, la consigne du secret absolu sur la destination du convoi et sur le sort réservé aux déportés qui le composaient a bien été respectée, du moins jusqu’en juillet 1943.
Les familles des « 45000 » ont été averties du départ de Compiègne de leur parent par l’envoi, entre le 15 et le 23 juillet 1942 d’une carte, imprimée en allemand à l’en-tête du camp de Compiègne, qui les laissait dans l’incertitude la plus totale : « Par décision de nos services, le détenu susnommé a été transféré dans un camp pour y travailler. Sa destination étant inconnue, il vous faudra attendre pour avoir de ses nouvelles ».

Toutes les démarches effectuées par la suite par les familles auprès des autorités allemandes, soit directement, soit par l’intermédiaire de la Croix-Rouge, soit par Brinon, Délégué général du gouvernement de Vichy, ont toujours reçu la même réponse : « Le détenu a été emmené en Allemagne dans un lieu qu’il n’est pas possible de révéler. Aucun renseignement à son sujet ne peut être donné ».

Mais au bout d’un an, le secret concernant les déportés du convoi du 6 juillet 1942 cesse d’être appliqué. En juillet 1943, les 160 derniers survivants ont la possibilité de correspondre en France et de recevoir des colis, en application d’une circulaire de l’Office central de la sécurité du Reich (RSHA) datée du 21 juin 1943, qui accordait ce droit aux détenus étrangers d’Europe de l’Ouest et de Nord, à l’exclusion des Juifs et des déportés NN. Pour démêler ces données apparemment contradictoires, il n’est pas inutile d’apporter quelques précisions sur l’histoire des déportations des détenus classés NN.

Qu’est-ce qu’un déporté NN ?

Wilhelm Keitel

Les déportations « NN » constituent une catégorie spécifique et relativement peu nombreuse de quelques milliers de déportés relevant du décret du 7 décembre 1941 signé par le Maréchal Keitel, Commandant suprême de la Wehrmacht.

L’abbé Joseph de la Martinière

Ce décret et la déportation qui en émanent ont été étudiés pour la première fois par Joseph de la Martinière (2).
Celle-ci débute en France par l’envoi à partir du 29 mai 1942 de plusieurs petits convois de prisonniers NN vers Hinzert, puis vers Natzweiler. 
Ces prisonniers sont destinés à être jugés par des tribunaux civils spéciaux en Allemagne, celui de Cologne, puis celui de Breslau à partir du 15 novembre 1943.

En 1942, le RSHA de qui dépend la police politique allemande (Gestapo) supplante la Wehrmacht dans la répression de la Résistance dans les pays occupés de l’Ouest de l’Europe. Ce transfert de pouvoir est effectif en France, le 1er juin 1942.
Ainsi la Gestapo introduit en 1943, à l’insu de la Wehrmacht une autre type de déportation NN.

Elle envoie une partie des prisonniers de la Wehrmacht, destinés en principe, à être jugés, directement en camps de concentration. D’où l’existence désormais de deux sortes de déportés NN, les déportés NN « ancienne manière » (NN-Wehrmacht) et les déportés NN « nouvelle manière » (NN-Gestapo). Mais en aucun cas, comme on le verra à la fin de ce texte, les « 45 000 » n’appartiennent à l’une ou l’autre de ces deux grandes catégories de NN.

Les origines du décret NN (3)

Elles remontent à septembre 1941. C’est à cette date en effet, que Hitler cherche à compléter l’arsenal répressif allemand pour tenter de freiner le développement de la Résistance dans les pays occupés. Partout en Europe, l’attaque allemande contre l’URSS, le 21 juin 1941, soulève un vent d’espoir au sein des populations hostiles à l’occupation nazie. En France, la Résistance se renforce, les mouvements se structurent ou s’étendent. La direction du parti communiste, à l’instigation de l’Internationale communiste, déclenche une guerre de partisans. Le 21 août 1941, Pierre Georges, – le futur colonel Fabien -, exécute au grand jour un officier allemand au métro Barbès. De petits groupes armés de communistes de l’OS (Organisation Spéciale), de la MOI (section de la Main d’Œuvre Immigrée) et des Jeunesses communistes (appelés plus tard « les Bataillons de la Jeunesse »), commencent par des sabotages contre des biens et des installations de l’armée allemande, puis par des attentats contre les membres de la Wehrmacht et en particulier contre des officiers. Dans d’autres pays occupés, des faits analogues se produisent.

Hitler tente alors de venir à bout de ses adversaires par la terreur.

Le « Keitel-Befehl », daté du 16 septembre 1941, recommande la peine de mort aux tribunaux militaires allemands jugeant les « terroristes ». Hitler ordonne à Keitel, en septembre également, de compléter cette ordonnance par de nouvelles directives qui sont à l’origine du décret NN.
Les circonstances dans lesquelles Hitler a donné ces instructions ont été rapportées par Keitel, au procès de Nuremberg, et par Lehmann, chef du département juridique de l’OKW, au procès de l’OKW (Haut commandement de la Wehrmacht) en juillet 1948. A Nuremberg, Keitel a évoqué l’entretien qu’il eut avec Hitler à ce sujet, en ces termes: « Il me déclara qu’il lui était fort désagréable de constater l’augmentation du nombre des condamnations à mort prononcées contre les saboteurs et leurs complices et cela nuisait à l’établissement de la paix dans les pays occupés ». (…) « Il me dit alors que le meilleur moyen de modifier cet état de chose, [était qu’] au lieu de prononcer des condamnations à mort, dans le cas où une telle sentence ne pouvait, ni être prononcée, ni exécutée le plus rapidement possible, comme le prévoit le décret, consistait à déporter en Allemagne les personnes suspectes ou coupables (…) à l’insu de leur famille, pour les interner ou les emprisonner, en évitant ainsi l’emploi d’une longue procédure de cour martiale avec de nombreux témoins ».

La version fournie par Lehmann est concordante. « Les menées communistes dans les pays occupés prenaient de l’ampleur et les jugements des tribunaux, exigeant une longue procédure et prononçant en général des peines de prison, n’avaient aucun effet psychologique. Le Führer ordonna donc de ne faire juger dans les pays occupés que les cas où, d’après le droit en vigueur, on pouvait compter avec certitude et dans les délais les plus brefs sur une condamnation à mort, et d’envoyer par contre tous les accusés (et c’était l’expression même employée par le Führer), « dans la nuit et le brouillard », au delà de la frontière, où ils seront, en Allemagne, complètement isolés du monde extérieur ».
On constate que c’est Hitler qui employa pour la première fois l’expression Nacht und Nebel à propos de ce décret. On pourra constater plus loin, que la présentation des origines du décret par Lehmann, est la reprise exacte de l’argumentation même du préambule du décret.

Ces deux témoignages font apparaître nettement que Hitler souhaitait une riposte rapide et sévère, de la part des armées d’occupation de l’Ouest européen, aux premiers actes de guérilla de la Résistance, afin de couper le mal à la racine. Il voulait, en conséquence, éviter de trop longs procès qui retarderaient d’autant l’exécution des coupables. Mais il voulait aussi faire l’économie de certaines condamnations à mort qui pourraient apparaître aux populations des pays occupés comme des mesures draconiennes, et comporteraient le risque de transformer les résistants en martyrs. D’où l’idée de sévir en rendant incertain le sort des inculpés, en les faisant disparaître dans la « nuit et le brouillard » et en les coupant du monde extérieur. De cette façon, leur entourage en viendrait à redouter le pire et renoncerait à poursuivre leurs actions hostiles à l’Allemagne, ou les poursuivraient sans disposer des preuves suffisantes pour alerter l’opinion sur une excessive sévérité de la part de l’occupant.

D’après Keitel, Hitler voulait que les inculpés soient directement remis à la police politique. Ce qui aurait conduit à étendre aux territoires occupés à l’Ouest, la mesure de Schutzhaft (détention de protection), utilisée en Allemagne depuis 1933. Pratiquée dans le Reich et dans les pays occupés à l’Est, elle confiait l’incarcération des suspects d’hostilité au Reich, à la Gestapo qui les internait dans les camps de concentration, gérés par la SS. Mais à l’Ouest, la Wehrmacht possédait la puissance territoriale et avait par conséquent la responsabilité administrative et policière des territoires qu’elle occupait.
Les directives d’Hitler devaient donc passer par l’intermédiaire de l’OKW pour atteindre les commandants en chef des différentes armées d’occupation.

L’élaboration du décret se trouva retardée par les réticences du service juridique de l’armée car l’OKW était opposée à la disparition de toute procédure judiciaire dans le traitement des suspects d’actes de « terrorisme ». Celle-ci, au terme de longues négociations, obtient de Hitler que les accusés passent devant une cour de justice allemande. Mais Hitler méfiant envers la justice militaire qu’il jugeait insuffisamment sévère, impose que les accusés soient remis à la justice civile. Au terme des nombreuses démarches entreprises par les services de l’armée, le Ministère de la Justice accepte finalement de prendre en charge les prisonniers de la Wehrmacht.

Les textes composant le décret

Le décret paraît enfin, daté du 7 décembre 1941.Le 12 décembre 1941, Keitel adresse, sous sa signature, le texte du décret à une vingtaine de personnalités de l’armée et du gouvernement. Il l’accompagne d’une lettre où il déclare exprimer « la volonté expresse et longuement réfléchie du Führer ». Il souligne ainsi qu’il est ici le simple exécutant d’un ordre impératif d’Hitler, ce qui peut laisser entendre qu’il est loin d’approuver cette mesure. Il y adjoint une ordonnance d’application qui sera remplacée, le 16 avril 1942, par une seconde ordonnance. Conçu initialement comme un projet devant être expérimenté, elle prend en réalité, dès sa parution, valeur de décret.

La première ordonnance d’application se situe dans le prolongement du Keitel-Befehl dont il reprend exactement les termes du préambule :
« Avec les débuts de la campagne de Russie, des éléments communistes et d’autres milieux germanophobes ont intensifié leurs attaques contre le Reich et contre les forces d’occupation. L’étendue et le caractère dangereux de ces menées imposent pour des raisons d’intimidation, de prendre les mesures les plus rigoureuses à l’égard de leurs auteurs ». (…). « Dans les territoires occupés, lors de délits commis par des civils non allemands, et dirigés contre le Reich et la puissance occupante, menaçant leur sécurité et leurs capacités de défense, la peine de mort est en principe, de rigueur ».

Ce préambule indique d’autre part que ces actes ne seront jugés dans les territoires occupés, que s’il apparaît que la condamnation à mort pourra être obtenue contre leurs auteurs ou du moins leurs principaux auteurs, de façon certaine et dans des délais rapides, par les tribunaux militaires allemands siégeant dans ces pays. Sinon, ils devront être transférés en Allemagne dans le plus grand secret. Le sort qui leur sera réservé devant demeurer ignoré des services allemands et étrangers. La lettre d’accompagnement de Keitel précise clairement les intentions de Hitler : « Le Führer pense que, pour de tels actes, des peines d’emprisonnement, même les peines de réclusion à vie, seront considérés comme des marques de faiblesse. On ne peut obtenir un effet de dissuasion efficace et durable que par la peine de mort ou par des mesures propres à maintenir les proches et la population dans l’incertitude sur le sort des coupables. Le transport en Allemagne permet d’atteindre ce but. Les directives relatives aux poursuites à engager contre les délits sont conformes à cette conception du Führer. »

Cette ordonnance porte l’intitulé – « Poursuite des délits commis contre le Reich ou contre les forces d’occupation » – qui sera systématiquement rappelé pour caractériser toute mesure relevant de ce décret. L’article I définit les crimes qui exigent, par principe, la peine de mort (et par voie de conséquence, les inculpés qui relèvent de ce décret): attentats à la vie ou coups portés contre les personnes; espionnage ; sabotages ; menées communistes ; délits portant atteinte à l’ordre; aide à l’ennemi sous forme de passage frauduleux de personnes, de tentatives d’enrôlement dans des forces ennemies, d’aide apportée à des membres des armées ennemies (parachutés, etc.) ; détention illégale d’armes.

La décision de transfert en Allemagne est prise par les tribunaux militaires siégeant dans les territoires occupés mais revient, en dernier ressort, au Commandant en chef, le Befehlshaber. Le choix du tribunal est fait par l’OKW. Le jugement par une cour martiale n’aura lieu que lorsque des intérêts militaires particuliers seront en jeu. Dans les autres cas, la procédure se déroulera dans le cadre de la juridiction civile et à huit clos. Le décret devra entrer en vigueur le 29 décembre 1941.
Ces textes sont diffusés en janvier 1942 et leur application pratique est fixée au 6 févier. C’est également à cette date, que paraît la première disposition d’application et la première ordonnance du Ministère de la Justice. Mais dès sa parution, ce décret se révèle comme un texte bâtard et difficile à appliquer. L‘Abwehr (les services de contre-espionnage de l’armée) ne manque pas de relever les problèmes qu’il pose afin de justifier ses réticences à le mettre en vigueur. L’inculpation doit en principe se faire au bout de huit jours et le jugement en Allemagne n’est instruit, uniquement, que sur la base de l’enquête de police et – sauf cas exceptionnel – en l’absence des témoins. Ce qui n’apparaît pas comme la meilleure garantie de justice. Toutefois, aux yeux des services juridiques de la Wehrmacht qui l’avaient élaboré, ce décret est considéré comme un moindre mal, en raison de l’ordre initial de Hitler qui aurait conduit à l’internement direct des prévenus dans les camps de concentration du Reich.

La deuxième ordonnance d’application, datée du 16 avril 1942, est également publiée sous la signature de Keitel. Elle apporte un certain nombre de rectifications et de précisions relatives aux décrets précédents. Elle est elle-même complétée dans les mois qui suivent, par un certain nombre de notes et de commentaires de l’OKW.

Elle introduit de nouvelles catégories de prisonniers à transférer en Allemagne : notamment les personnes condamnées légalement en pays occupé par un tribunal militaire à des peines de « réclusion criminelle » (article IV). De même, les femmes condamnées à mort en pays occupés devront être conduites, dans le plus grand secret, dans les prisons du Reich, où elles ne seront exécutées que dans des cas particulièrement fondés.
A l’inverse, l’article V stipule que l’on pourra ordonner le maintien comme otage, dans son propre pays, d’un coupable condamné à une peine de privation de liberté – ou même, dans des cas exceptionnels, non encore jugé et destiné à être jugé en Allemagne. L’article IX explicite la règle du secret ordonné par Hitler : « Les coupables transférés en Allemagne ne sont autorisés à aucun contact avec le monde extérieur ; aussi n’ont-ils pas le droit d’écrire, ni de recevoir des lettres, des colis ou des visites. Ceux-ci sont à envoyer avec la mention que tout contact avec le monde extérieur est interdit au coupable ». Cette règle du secret devra s’appliquer également aux demandes d’information concernant les personnes exécutées, ou décédés au cours de leur incarcération. L’article XIV indique enfin les pays occupés qui relèvent de l’application du décret : Norvège, Pays-bas, Belgique et Nord de la France, France (à l’exclusion donc du Danemark).

Des tribunaux civils spéciaux chargés de l’application du décret

Les ressortissants des pays occupés, confiés par la Wehrmacht au Ministère de la Justice, devaient être jugés par des Sondergericht (Tribunaux spéciaux). La création de ces tribunaux remontait à un décret de la République de Weimar, du 6 octobre 1931. Cette mesure avait été remise en vigueur par un décret d’Hitler du 21 mars 1933. Ces tribunaux devaient, en principe, juger par une procédure d’exception, les auteurs de délits commis contre le peuple, l’Etat ou le gouvernement.

Le Tribunal Spécial de Cologne, puis celui de Breslau à partir du 15 novembre 1943 furent chargés des affaires concernant la zone occupée dépendante du Commandant Militaire en France (M.B.F).
Un décret du 14 octobre 1942 décidait de l’extension des affaires relevant du décret NN au Tribunal du Peuple.
Tribunal d’exception, dont l’institution remontait au 24 avril 1934, il devait traiter des affaires de trahison et de haute trahison. Ses magistrats étaient nommés par le chancelier du Reich. Ce tribunal devient alors la juridiction principale, et s’attribue les affaires qu’il considère comme les plus importantes. Dans un nombre de cas très réduit, mettant en cause des organisations militaires, la Wehrmacht adressait ses inculpés au Tribunal de Guerre du Reich.[…] Les trois transports de novembre 1943 arrivés au KL Natzweiler composés de  » NN  » sont transférés vers la Silésie, dans les prisons de Brieg et au tribunal de Breslau pour être jugés. Les premiers jugements débutent en novembre 1942. Quant aux départements du Nord et du Pas-de-Calais, placés sous l’autorité du Commandant Militaire de Belgique (le M.B.B, siégeant à Bruxelles), ils relèvent du Tribunal Spécial d’Essen, qui fut en mesure de fonctionner à la fin de juillet 1942. A partir du 15 mars 1944, le tribunal d’Oppeln en prenait la relève. »

Avec la promulgation du décret une partie des résistants, arrêtés par la Werhmacht dans les pays occupés de l’Europe du Nord et l’Ouest, étaient donc soustraits aux tribunaux militaires siégeant sur place pour être déportés en Allemagne afin d’y être traduits devant une justice civile d’exception.

L’immixtion de la Gestapo dans la déportation des déportés « NN »

Mais très rapidement, la Gestapo ne tarde pas à s’immiscer dans la procédure et à récupérer un certain nombre de ces prisonniers, pour les placer dans les camps de concentration : opérant ainsi un véritable détournement des justiciables de ce décret, au profit des KL. Le 2 février 1942, la Gestapo obtient que la responsabilité du transfert des inculpés en Allemagne au détriment de la Geheimfeldpolizei, chargée du transport des personnes condamnées en France et conduites en Allemagne pour y purger leur peine.

A partir de cette date, la Gestapo entame un processus visant à réduire, à son profit, la souveraineté de l’armée en matière de police dans les territoires occupés à l’Ouest de l’Europe. En France, la victoire de la Gestapo sur la Wehrmacht est consacrée par la nomination en mars 1942 d’un représentant direct de Himmler, Oberg, chef des SS et de la police de Sécurité ( RSHA ).
Oberg prend officiellement ses fonctions le 1er juin 1942. La police prend désormais en charge la répression de la Résistance et se trouve en conséquence impliquée dans l’application du décret « Nacht und Nebel» .

Les camps de détention des NN 

Carte de situation des camps d’Hinzert et de Natzweiller-Struthof

En 1942, le RSHA obtient que les prévenus masculins en attente de jugement soient internés dans un camp de concentration. En principe, ces hommes devaient être placés dans des établissements pénitentiaires relevant du Ministère de la Justice. Mais, en raison du nombre sans cesse croissant de personnes détenues en prévention dans le territoires occupés et en Allemagne, ces établissements ne pouvaient tous les accueillir. C’est pourquoi, un accord intervient entre le Ministère de la Justice et le R.S.H.A (Office central de Sécurité du Reich dont fait partie la Gestapo), pour désigner Hinzert comme camp d’accueil pour les accusés destinés à comparaître devant les tribunaux désignés pour les juger. Cet accord, entériné par la Wehrmacht, officialise l’envoi par la Gestapo de plusieurs petits convois de prisonniers NN à Hinzert, à partir du 29 mai 1942.

Le camp d’Hinzert

« De mai 1942 à septembre 1943, 1446 hommes NN sont recensés comme déportés depuis Paris au camp spécial de Hinzert. Situé à une centaine de kilomètres de Cologne, ce camp fut désigné comme lieu de regroupement des NN ». Amenés par petits transports de 50 à 60 personnes, en moyenne, les détenus restent quatre à cinq mois au camp avant d’être transférés vers des prisons de détention préventive comme Wittlich ou Diez-sur-Lahn, en attendant le jugement (3) ». Au début de novembre 1943, le camp de Natzweiler, en assure la relève. Mais en raison de bombardements sur Cologne, trois convois de Français NN y avaient déjà été acheminés, en juillet 1943. Dès leur arrivée au camp, les prisonniers NN sont distingués des autres prisonniers ; les lettres NN, aux couleurs vives, rouge ou jaune selon les catégories, sont peintes sur leurs vêtements, les exposant particulièrement aux sévices des gardiens SS ou des kapos, des prisonniers de droit commun désignés comme surveillants des déportés. C’est ce que le docteur André Ragot, survivant du camp de Natzweiler-Struthof, appelle « la première déchéance ».

Puis par un accord, passé le 16 octobre 1942, entre le Ministère de la Justice, la police et les représentants de l’OKW, la Gestapo reçoit le droit de récupérer une partie des inculpés, à la sortie de la procédure : il s’agissait des accusés dont le procès s’est terminé par un non-lieu, un acquittement ou qui sont arrivés au terme d’une courte peine de privation de liberté. Dans chacun de ces cas, ils devaient être remis à la police afin qu’elle les interne dans un camp de concentration, jusqu’à la fin de la guerre. Cet accord était « justifié » par l’obligation de maintenir le secret sur le sort de ces prisonniers, comme le prévoyait le décret NN.

La Gestapo envoie directement des déportés « NN » dans les camps de concentration

La Gestapo franchit un nouveau pas en envoyant directement dans les camps de concentration du Reich, une partie des prisonniers que la Wehrmacht aurait dû juger en application du décret NN.
Ce détournement est annoncé dans une circulaire du RSHA datée du 4 août 1942, et qui parvient dans les camps à la fin août 1942. Elle est signée par Hoffmann (RSHA-IV), et est accompagnée d’une lettre datée du 18 août 1942, du général Major-SS Glück, chef de l’Inspection des KL (camps de concentration). Dans cette circulaire, le RSHA exprime clairement l’utilisation que la Gestapo entend faire du décret :

« Par décret (Erlass) du Chef de l’OKW du 12 décembre 1941 sur la poursuite d’actes commis contre le Reich ou la puissance occupante, il a été disposé, en vertu d’une ordonnance du Führer que des personnes qui, dans les territoires occupés, commettent des actes contre le Reich ou la puissance occupante doivent être transférées dans le Reich aux fins de dissuasion. Elles seront traduites devant un Tribunal Spécial. Dans le cas où cela ne serait pas possible pour des raisons quelconques, ces personnes seront dirigées sur les camps de concentration, après décision de détention de protection (Schutzhaftverfugung). En général, la détention de protection est maintenue jusqu’à la fin de la guerre. C’est le but de ce décret de laisser les parents, amis et connaissances dans l’incertitude sur le sort des détenus (..). C’est pourquoi ceux-ci n’auront pas le droit d’écrire eux-mêmes, ni de recevoir des lettres et des colis, ou des visites. De même, aucun renseignement concernant ces détenus ne pourra être donné à des services extérieurs. En cas de décès, il n’y aura pas lieu de prévenir la famille. (…) Ces dispositions sont applicables à tous les détenus pour qui l’Office central de Sécurité du Reich a indiqué, dans les dossiers de « détention de sécurité », (…) qu’ils tombent sous le coup du Décret NN (…) ».

Comme l’indique la formule « dans le cas où cela ne serait pas possible » – qui permet toutes les dérives – la Gestapo se réserve clairement la possibilité de faire disparaître toute procédure de justice dans l’application du décret. C’est ce qu’elle ne manque pas de faire. Car tout en soumettant aux tribunaux allemands chargés de la procédure NN un nombre relativement important des résistants arrêtés, la Gestapo commence à envoyer une partie des prisonniers de la Wehrmacht destinés à être jugés, directement en camps de concentration. C’est pourquoi apparaissent dans les KL, des détenus NN, arrêtés par la Wehrmacht ou pour le compte de celle-ci, mais dont les dossiers n’ont jamais été remis aux tribunaux d’exception qui auraient dû les juger. Les premiers convois français de NN « nouvelle manière » pourraient bien être ceux de mars 1943 qui emmènent, vers Mauthausen, des résistants NN retenus jusque-là, à Romainville, comme otages (Sühnepersonnen).

Ces déportés NN sont à distinguer des personnes qui ont été arrêtées en masse dans les pays occupés de l’Europe de l’Ouest à l’initiative de la Gestapo et qui affluent directement dans les camps à partir de 1943.
Ils se différencient par l’ordre qui se trouve à l’origine de leur incarcération, qui se référant au décret « Nacht und Nebel », spécifie que les déportés NN doivent être maintenus totalement isolés du monde extérieur.

Les NN au Struthof. dessin de H. Gayot déporté NN 11784

Il est certain que le critère du secret n’apparaît pas, à première vue, comme propre aux détenus NN: la plupart des familles de déportés ont ignoré le lieu de détention de leur proche parent. Toutefois, une circulaire datant de juin 1943 a permis, aux déportés des pays occupésd’Europedu Nord et del’Ouest, de correspondre avec leur famille dans les camps où elle fut appliquée. Cette circulaire stipulait que les détenusNNen étaient exclus.

L’OKW découvre le détournement de prisonniers NN au profit des camps de concentration (KL)

Il semble que l’OKW soit restée dans l’ignorance du détournement de prisonniers NN de la Wehrmacht hors de la procédure, jusqu’à ce qu’elle le découvre, incidemment, en mai 1943. Cette révélation se produit à la conférence du 20 mai 1943, destinée à des juges militaires, devant lesquels un membre du RSHA traite de questions de police. Dans le cadre de son cours, ce dernier indique que « le décret « Nacht und Nebel » signifie, en pratique, le renoncement à la matière pénale, dans l’intérêt d’une lutte efficace contre les actes délictueux dirigés contre le Reich ». D’où la surprise de l’un des participants, qui se fait confirmer ce qu’il a cru entendre, et le communique dans les jours qui suivent à Lehmann, chef des services juridiques de l’OKW, et au ministère de la Justice. L’OKW marque alors son étonnement et lance une enquête auprès des juges militaires des territoires occupés.

Elle apprend notamment que les juges militaires des Pays-Bas ne présentent, devant le Conseil de guerre, que les « meneurs », qui sont généralement condamnés à mort, et confie les simples « partisans » à la Gestapo qui les envoie directement en camp de concentration. Au service juridique de l’OKW, on s’interroge sur la position à adopter et sur les mesures à prendre. Huelle propose le 13 juin 1943, d’accepter la situation existante « pour autant que des garanties sérieuses soient données concernant le traitement que subiront les personnes déportées dans le camp de concentration ». Il faut savoir que la procédure « Nacht und Nebel » était très lente et qu’un retard important s’acculait pour la voie judiciaire. Alors même que les SS réclamaient une main d’œuvre concentrationnaire de plus en plus nombreuse.

Pendant ce temps, le RSHA intervient auprès de la SS qui dirige les KL. Le 7 juin 1943, Liebehenschel, chef du département politique de l’Inspection des camps de concentration, transmet à leurs commandants une note secrète se référant à une directive du 31 mai 1943 du RSHA. Celle-ci établit une distinction à faire désormais entre deux catégories de détenus NN : Les NN « ancienne manière », envoyés en Allemagne sur décision militaire et les NN « nouvelle manière », directement placés en KL sur intervention de la SIPO ou du SD. Cette distinction reste purement théorique puisque les détenus NN sont soumis au même régime du secret absolu, quelle que soit leur catégorie d’origine. En outre, les commandants des KL, dans lesquels sont internés des prisonniers NN, reçoivent l’ordre d’enquêter immédiatement sur « l’origine raciale » de ces détenus et de transférer ceux de « race germanique » (Volkdeutsch) à Natzweiler. Ceux-ci y seront tenus séparés des autres prisonniers. Les détenus NN de « race non-germanique » devront rester dans leur camp d’internement jusqu’à ce qu’une décision de transfert venant du RSHA intervienne à leur sujet.
Est-ce le signe d’un redressement et d’une régularisation de la situation, opérés à la demande de l’OKW ? C’est possible, car Keitel ne semble pas disposé à modifier les modalités prévues par le décret, comme l’indique une note datée du 7 octobre 1943. Pour ce qui est des Pays-Bas – comme le révèlent les documents publiés par Karol Jonca – il apparaît que les cours martiales allemandes se sont efforcées de soustraire leurs inculpés à la déportation en Allemagne et ont même cherché à faire juger les résistants qui devaient y être transférés, par des tribunaux civils, siégeant aux Pays-bas.
Le 30 juillet 1944, pour des raisons militaires, le Ministère de la Justice annonce l’abrogation de la procédure « Nacht und Nebel » au profit de la procédure « Terreur et sabotage ». En septembre, il ordonne aux procureurs généraux la remise à la police des détenus NN se trouvant dans les établissements dépendant du Ministère de la Justice, qu’ils aient été jugés ou non. Les détenus devaient alors être placés dans les divers camps de concentration du Reich.

On voit donc que l’histoire du décret «Nacht und Nebel» s’insère dans celle de la concurrence entre la Gestapo et la Wehrmacht pour le contrôle de la politique de répression de la Résistance dans les pays occupés d’Europe de l’Ouest et du Nord. Le détournement des déportés « NN » vers les camps de concentration correspond à la victoire de la conception policière et terroriste développée par la Gestapo.
On peut, à ce propos, se demander s’il est juste de parler d’un détournement du décret « Nacht und Nebel » par la Gestapo. N’y a-t-il pas eu plutôt un simple retour aux sources ? C’est à dire aux vues initiales de Hitler dont la SS se voulait, en toute occasion, l’exécuteur fidèle ?
Car Hitler, dès l’origine, avait clairement exprimé son intention de recourir, soit à la peine de mort, soit au système concentrationnaire pour venir à bout de la Résistance en l’Europe de l’Ouest. Le premier « détournement » a donc bien été celui que les services juridiques de l’armée ont opéré, en introduisant dans le décret une procédure judiciaire. Mais le compromis fragile que la Wehrmacht avait obtenu au moment de la publication du décret, a été rapidement balayé par le renversement du rapport des forces qui s’opère dans les premiers mois de l’année 1942, au profit de la Gestapo, de la SS et du système concentrationnaire.

C’est donc, tout autant à cause de l’histoire mouvementée de ce décret, que de la complexité des mesures qu’il prévoyait, que l’historien se trouve confronté à une telle diversité de déportés « NN ».

Les différentes catégories de déportés « NN »

Pour s’en tenir au seul cas français, on peut repérer cinq sortes de prisonniers NN se regroupant en deux grandes catégories : Dans une première catégorie se trouvent les prisonniers NN « ancienne manière », selon l’expression de Liebehenschel, ou « NN-Wehrmacht » qui relevaient régulièrement de la procédure du décret «Nacht und Nebel», et dont les dossiers ont été régulièrement transmis à la justice allemande par la Gestapo.
C’est-à-dire :
– les condamnés à mort en France par des tribunaux militaires allemands et incarcérés dans une prison du Reich, en attente de leur exécution ;
– les condamnés à mort en France par des tribunaux militaires allemands dont l’exécution avait été différée et transformée en travaux forcés dans un KL ;
– les prévenus, placés en camps de concentration en attente de leur jugement (à Hinzert puis à Natzweiler, pour les Français dépendants du Commandement militaire en France).
– les inculpés qui, après leur jugement en Allemagne par le Tribunal Spécial, (de Cologne puis de Breslau) avaient été placés en camp de concentration à la suite d’un non-lieu, d’un acquittement ou parce qu’ils avaient fini de purger leur peine.
– puis à partir de septembre 1944, des prisonniers NN, venant des prisons du Reich et placés en KL après l’abrogation de la procédure « Nacht und Nebel ».

L’autre grande catégorie des prisonniers « NN », les prisonniers « nouvelle manière » ou « NN-Gestapo »groupe les résistants – ou les suspects d’actes de résistance – classés dans la catégorie des NN qui, au lieu de suivre la procédure prévue par le décret « Nacht und Nebel », ont été directement placés par la Gestapo dans les camps de concentration.
Pour tous ces déportés, l’Office central de Sécurité du Reich avait indiqué, dans leurs dossiers de « détention de sécurité », (…) qu’ils tombaient sous le coup du Décret NN .

Le cas particulier des « 45000 »

Si on revient à présent sur le cas des « 45000 », on constate qu’ils ne pouvaient appartenir à aucune de ces catégories de déportés NN.
Pour l’être, il aurait fallu qu’ils aient été arrêtés en France pour des actes qu’ils avaient personnellement commis « contre le Reich ou la puissance occupante », puis qu’ils aient été classés comme NN avant d’être déportés. Cette mention aurait alors figuré sur leur dossier de sécurité.
Rappelons que leur convoi était un convoi d’otages « judéo-bolcheviks », formé en application de l’ordre d’ Hitler du 9 avril 1942.
Jusqu’en mai-juin 1942, le maintien de l’ordre et la protection des troupes d’occupation en France étaient du ressort de la Wehrmacht et donc du Commandant militaire en France (MBF).
Une circulaire datée du 7 février 1942 de Otto von Stülpnagel (MBF) spécifiait à propos de la désignation des otages : « À l’avenir, les personnes qui doivent être fusillées à l’occasion d’une mesure expiatoire ne doivent plus nécessairement avoir été condamnées ou être détenues pour des délits graves commis contre la puissance occupante. Il convient de prendre en premier lieu : a – des auteurs d’attentats antérieurs. b – des communistes et des Juifs ».

S’agissant des déportations d’otages envisagées dès décembre 1941, il précisait : « De l’avis du Führer, cette mesure est d’une efficacité toute particulière comme moyen d’intimidation et spécialement quand les parents et la population sont maintenus dans une incertitude absolue au sujet du sort réservé à la personne déportée » (6).
Ainsi la consigne du secret absolu qui devait entourer les déportations d’otages émanait d’un ordre d’Hitler et était destinée à en renforcer l’effet de « terreur dissuasive », analogue à celui qu’il avait ordonné pour les détenus relevant du « décret NN », qui appartenait à la même volonté politique de dissuader par la terreur les « ennemis les plus dangereux du Reich ».

La formation du convoi a été pour l’essentiel l’œuvre de l’administration du MBF.

En mai-juin 1942, la politique de représailles des attentats passe, en France, de la responsabilité de la Wehrmacht sous celle de la Police de sécurité du Reich (RSHA) avec la prise de pouvoir d’Oberg, représentant direct de Himmler, comme « Chef suprême des SS et de la police » (HSSPF) dans la zone occupée par le MBF.
Dès lors, les derniers préparatifs du convoi d’otages communistes et « asociaux », commencés en avril 1942 par les services du MBF, sont repris à la mi-juin 1942 par ceux du RSHA et de ses représentants en France (BDS).
Le départ du convoi est organisé, à l’insu des services traitant des déportations de répression à Berlin (RSHA-IV-C2), par les services d’Eichmann à Berlin (RSHA-IV-B4) et par Theodor Dannecker chargé des « Affaires juives » et de la déportation des Juifs de France.

Cette anomalie pourrait expliquer les difficultés rencontrées par le bureau des enregistrements du KL Auschwitz pour caractériser et classer ce convoi singulier, organisé par les services d’Eichmann mais composé de plus de mille déportés non-juifs. C’est probablement pour cette raison que les otages communistes se sont vus attribuer à leur arrivée au camp et pendant quelques jours, le triangle vert des détenus de droit commun, à l’exception des 50 Juifs qui durent immédiatement porter l’étoile jaune.
Le nom de code « NN » a été assigné au convoi, vraisemblablement par Dannecker, en référence à l’ordre de Hitler évoqué par Otto von Stülpnagel en février 1942. Il s’agissait ni plus ni moins de laisser les parents et la population dans une incertitude absolue au sujet du sort réservé aux déportés dans un but « d’intimider des auteurs des attentats ». A partir de mai-juin 1942, le « système des otages » (ou « politique des otages ») (7) mis en place par le MBF est modifié par Oberg. La répression de la Résistance dirigée principalement par la Police de sécurité prend d’autres formes.

Le secret de la destination du convoi du 6 juillet 1942 n’était plus d’actualité lorsque la circulaire de l’Office central de la sécurité du Reich (RSHA) datée du 21 juin 1943 est appliquée à Auschwitz. Celle-ci accordait aux détenus étrangers d’Europe de l’Ouest et de Nord, à l’exclusion des Juifs et des déportés NN, le droit de correspondre avec leur famille et de recevoir des colis.
Les quelques 160 survivants du convoi – à l’exception de leur désormais seul camarade juif -, purent en bénéficier. Leurs premières lettres datent du 4 juillet 1943.

Claudine Cardon-Hamet docteur en Histoire, auteur des ouvrages : « Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 », Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cet article.

  • Note 1-a : «NN » est l’équivalent en allemand de « Monsieur X », la désignation d’une personne dont on ignore, ou dont on ne veut pas divulguer le nom.
  • Note 1-b : Déposition de Kazimierz Smolen le 10 décembre 1946 à Cracovie : pièce jointe au dossier du procès de Rudolf Höss devant le Tribunal Suprême de Pologne (dossier du procès, tome 7, feuillets 216-222). Photocopie transmise par les Archives du Musée d’Auschwitz. Kazimierz Smolen résistant polonais né en 1920, diplômé en droit de l’Université catholique de Lublin, est arrêté en juin 1941. D’abord détenu en cellule, il est transféré au camp de Birkenau. Les SS ayant appris qu’il savait taper à la machine, il est affecté aux services administratifs du camp, jusqu’à son évacuation sur Mauthausen. Secrétaire et vice-président du comité international d’Auschwitz, il témoigne au procès de Nuremberg. Co-fondateur du Musée d’Auschwitz en juillet 1947, il en sera le directeur de 1955 à 1990. Il habita la ville d’Auschwitz jusqu’à son décès, à 91 ans, le jour du 67èmeanniversaire de la libération du camp.
  • Note 2 : (1908-2003), Prêtre du diocèse d’Orléans, l’abbé Joseph de La Martinière, entré en Résistance, a été arrêté et déporté au camp d’Hinzert en juillet 1942 sous la procédure « Nuit et brouillard ». Il a rédigé plusieurs ouvrages sur ce thème.
  • Note 3 : Ce texte a été lu et corrigé par Joseph de la Martinière et complété après la lecture du procès Oberg-Knochen.
  • Note 4 : Les départs NN de France, Livre-Mémorial des déportés de France par mesure de répression…, Fondation pour la mémoire de la Déportation, éditions Tirésias.
  • Note 5 : CDJC XXV-19 : circulaire du MBF, 10 avril 1942.
  • Note 6 : CDJC XLV-11, circulaire du MBF du 7 février 1942.
  • Note 7 : L’expression de « politique des otages » vient de Serge Klarsfeld. Serge Klarsfeld, Le Livre des otages. La politique des otages menée par les autorités allemandes d’occupation en France de 1941 à 1943, les éditeurs français réunis, 1979.

Pour trouver d’avantage d’éléments sur cette procédure judiciaire « Nuit et brouillard » et ses conséquences, se reporter aux ouvrages suivants 

  • Jonca K. et Konieczny A., Nuit et Brouillard, NN, l’opération terroriste nazie 1941-1944, Draguignan, 1981.
  • La Martinière Joseph de, La procédure Nuit et Brouillard, nomenclature des déportés NN. Matériaux pour l’histoire des prisons et des camp, des tribunaux.1981.
  • La Martinière Joseph de, Le décret et la procédure Nacht und NebeI, FNDIRP 1989.
  • La Martinière Joseph de, Nuit et Brouillard à Hinzert, Université François Rabelais, Tours, 1984.
  • La Martinière Joseph de, Mon témoignage de déporté NN, 5 volumes (Gien, Orléans, Fresnes-Hinzert-Wittlich-La Silésie-Dachau, 1Le retour), Edité à compte d’auteur, 1992.
  • Thomas Fontaine, Déporter : Politiques de déportation et répression en France occupée. 1940-1944. Thèse de Doctorat. https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01325232/document

2 Commentaires

  1. Merci beaucoup pour cette mise au point très claire. Je travaille actuellement sur les déportés du Morbihan et vos explications vont me permettre de dissiper les incertitudes qui existent dans de nombreux dossiers du SHD de Caen.

    Hervé LE GALL
    président de la D T du Morbihan de l’A F M D

    1. Merci beaucoup pour votre mail. Ces précisions dues à mes recherches étaient nécessaires. Plusieurs des survivants que j’ai côtoyés étaient d’ailleurs persuadés d’avoir fait partie d’un convoi NN.
      Bien cordialement
      Claudine Cardon Hamet

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