Matricule « 45 357 » à Auschwitz   Rescapé

Eugène Charles : né en 1913 à Nantes où il habite ; Chaudronnier aux Chantiers de Bretagne ; communiste ; Résistant arrêté le 23 juin 1941 ; interné à Compiègne ; déporté à Auschwitz le 6 juillet 1942, puis Hersbrück, Dachau ; Rescapé : décédé le 14 décembre 1996. 

Eugène, Joseph, Théodore Charles est né le 9 octobre 1913 à Nantes (Loire-Atlantique). Il habite à Nantes au 16, rue Sainte-Anne au moment de son arrestation. Il est le fils de Marie, Juliette Husson et d’Eugène Charles, 21 ans, manœuvre, son époux. Ses parents habitent au 3, rue Perrières à Nantes.
Le 14 avril 1934, à Chantenay (Nantes), il épouse Jeanne, Marguerite, Marie Le Floc’h.
Il  travaille comme forgeron aux Chantiers de Bretagne depuis 1934.
Adhérent à la CGT, il dit « j’aurai pu être délégué syndical, mais j’ai refusé. Je ne savais pas m’exprimer, je ne me jugeais pas assez instruit. Je préférais m’investir dans l’action. J’étais au premier rang dans les grèves, dans le collage d’affiches, dans la distribution de tracts, etc…« 

Il est le secrétaire de la cellule du Parti communiste du quartier Sainte-Anne à Nantes, il y milite avec trois enseignants André Lermite (« 45 785 » mort à Auschwitz), Marguerite Joubert sa femme, Alphonse Braud (mort à Auschwitz) et le responsable de Nantes, Raymond Sémat (secrétaire du syndicat unitaire des Métaux et secrétaire de l’UL-CGTU de Nantes. Membre du bureau fédéral de Loire-Inférieure du Parti communiste).

A la déclaration de guerre, il est « affecté spécial » aux Chantiers de Bretagne. Aussitôt les Chantiers occupés par les Allemands, Eugène Charles et ses camarades communistes (Gaby Goudy est son responsable) mettent en place une organisation clandestine. Leur mission : effectuer des sabotages sur les presses et des outillages, ralentir le travail et distribuer des tracts contre l’occupant et le régime de Vichy qui pratique la collaboration.

Nantes, juin 1940, véhicules d’officiers allemands sur le parvis de la chapelle de l’Oratoire © D. Bloyet

Le 14 juin 1940, la Wehrmacht défile à Paris, sur les Champs-Élysées. La ville cesse alors d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. La moitié nord de la France et toute la façade ouest sont occupées. Nantes est occupée le 19 juin 1940 à midi.
La Kommandantur juge lesprit de collaboration » (Zusammenarbeit) de la mairie SFIO insuffisant et exige chaque jour 20 otages… Le 22 juin 1940, l’armistice est signé : la moitié nord de la France et toute la façade ouest sont occupées. Le pays est coupé en deux par la « ligne de démarcation » qui sépare la zone occupée et celle administrée par Vichy. Le 10 juillet 1940 Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).

Eugène Charles est arrêté le 23 juin 1941 à son domicile par les Allemands, dans le cadre de la grande rafle commencée le 22 juin 1941, jour de l’attaque hitlérienne contre l’Union soviétique. Sous le nom « d’Aktion Theoderich », les Allemands arrêtent plus de mille communistes dans la zone occupée, avec l’aide de la police française.
Il est interrogé par un officier qui parle parfaitement le français et qui lui lit la liste détaillée de ses activités militantes d’avant-guerre. Ce qui montre que les Allemands tenaient ces renseignements des autorités françaises.

Il est ensuite incarcéré à la prison du Champ de Mars de Nantes, puis transféré au camp allemand de Compiègne (Frontstalag 122), le 13 juillet. Depuis ce camp, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, voir les deux articles du site : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».

Depuis le camp de Compiègne, Eugène Charles est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942

Cf l’article du site : Les wagons de la Déportation.  

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks, responsables aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le Parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Sa photo d’immatriculation à Auschwitz (1) a été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.

Sa photo d’immatriculation (1) à Auschwitz a été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.

Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession.
Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.

Le Kommando de la Forge à Auschwitz I

Eugène Charles est affecté au Kommando de la Forge.  Il y travaille avec Ferdinand Bigaré, Raymond Boudou, Gabriel Lacassagne, Marceau Lannoy, Jules Le Troadec et Victor Louarn.

En application d’une directive datée du 21 juin 1943 accordant aux détenus français des KL la possibilité de correspondre avec leur famille et de recevoir des colis renfermant des vivres, il reçoit le 4 juillet 1943, comme les autres détenus politiques français d’Auschwitz, l’autorisation d’échanger des lettres avec sa famille – rédigées en allemand et soumises à la censure –  et de recevoir des colis contenant des aliments  (lire dans le site : Le droit d’écrire pour les détenus politiques français

Madame Charles écrit : « Quand je reçus cette lettre écrite dans une langue étrangère, je ressentis une profonde inquiétude. Le lendemain matin, je demandais à voir le directeur de l’usine. Il me reçut avec beaucoup de chaleur. Ne connaissant pas l’allemand, il téléphona l’un de ses amis en poste à la Préfecture, m’obtint un rendez-vous et me donna toute facilité pour y aller. Il me traduisit la lettre et se proposa de transcrire la réponse en allemand et d’avoir recours à lui chaque fois que l’occasion se présenterait. De savoir mon mari vivant, je me remis à espérer. Cela finirait bien un jour, d’autant plus que pour les Allemands, la situation commençait à se dégrader. »

Entre le 14 août 1943 et le 12 décembre 1943, il est en quarantaine au Block 11 avec la quasi totalité des français survivants.
Lire l’article du site « les 45 000 au block 11« .

Dès 1944, devant l'avancée des armées soviétiques, les SS commencent à ramener vers le centre de l’Allemagne les déportés des camps à l’Est du Reich, dont Auschwitz. Les premiers transferts de "45.000" ont lieu en février 1944 et ne concernent que six d’entre eux. Quatre-vingt-neuf autres "45.000" sont transférés au cours de l'été 1944, dans trois camps situés plus à l'Ouest - Flossenbürg, Sachsenhausen, Gross-Rosen - en trois groupes, composés initialement de trente "45000" sur la base de leurs numéros matricules à Auschwitz.  Et une trentaine de "45.000" restent à Auschwitz jusqu'en janvier 1945.
La carte d’immatriculation d’Eugène Charles au camp d’Hersbrück, matricule 84391.

Le 7 septembre 1944, il fait partie du groupe des vingt-neuf « 45.000 » transférés à Gross-Rosen, où il reçoit le matricule « 40985 ». Il s’agit de Roger Abada (40 965), René Aondetto (40 966), (Victor) Gaston Aubert (40 968), André Bardel (40 969), Roger Bataille (40 971), Eugène Beaudoin (40 972), Johan Beckman (40 973), Robert Beckman (40 974), Ferdinand Bigarré (40 975), René Bordy (40 976), Georges Brumm (40 980), Louis Brunet (40981), Louis Cerceau (40 982), Eugène Charles (40 985), Cyrille Chaumette (40 986), Marcel Cimier (40 987), Clément Coudert (40 988), Robert Daune (40 989), René Demerseman (40 9990), Fernand Devaux (40 991), Lucien Ducastel (40 992), Georges Dudal (40994), Louis Eudier (40 995), Adrien Fontaine (40 996), Robert Gaillard (40 997), Georges Gaudray (40 998), Roger Gauthier (40 999), Gérard Gillot (41 000), Richard Girardi (41 111 probablement), Henri Gorgue (41 181).
Après une quarantaine, les « 45 000 » sont répartis dans divers kommandos, dont une dizaine sont affectés aux usines Siemens.
Eugène Charles y contracte un érésipèle dont il guérit grâce aux soins d’un médecin polonais qui travaille comme détenu à l’infirmerie du camp.

Le 9 février 1945, le camp de Gross-Rosen est évacué, sur Hersbruck (kommando de Flossenbürg, constructions Dogger). Entre le 8 et le 15 février 1945, dix-huit « 45 000 » sont transférés à Hersbrück où ils sont enregistrés : Roger Bataille (84 303), Eugène Beaudoin (84 341), Ferdinand Bigaré, René Bordy (84 332), Georges Brumm (84 363), Louis Brunet (84 362), Eugène Charles (84 391), René Demerseman (84 463), Fernand Devaux (84 476), Georges Dudal (84 497), Louis Eudier (84 454), Adrien Fontaine (84 498), Robert Gaillard (84 616), Roger Gauthier (84 634), Gérard Gillot (84 656), Henri Gorgue (84 707), Francis Joly, Albert Rosse. René Bordy meurt le 28 mars 1945 à l’infirmerie d’Hersbrück (l’état civil indique le 3 mars 1945).
Il y reçoit le matricule 84391. Il est ensuite dirigé vers Dachau où il arrive le 24 avril.
« Ce fut l’un des moments les plus pénibles de notre calvaire. Il faisait très froid, d’abord une longue marche à pied épuisante, les traînards, ceux qui ne pouvaient plus suivre, étaient abattus par les SS. Puis les wagons où l’on gelait. L’attente de la libération se prolongea jusqu’au début mai 1945, ce fut enfin l’arrivée des Américains. »
Lire dans le site, « les itinéraires suivis par les survivants ».

Il est libéré le 29 avril par l’armée américaine
et il est rapatrié et arrive à Nantes le 19 mai 1945, via Paris et l’Hôtel Lutétia.

« Arrivé en France, je perçus un costume que j’enfilais aussitôt. Certains ne quittaient pas leur tenue rayée. Je voulais rompre et laisser derrière moi cette vie de bagnard. Je n’avais qu’une hâte : revoir les miens et revivre. ».
Madame Charles avait été prévenue que son mari était vivant et libéré, son retour n’étant qu’une question de jours, voire quelques petites semaines, suivant les moyens de transports.
« J’étais rassurée et enfin heureuse ! Et le jour arriva ! Une voiture s’arrêta devant chez nous de l’autre côté de la rue. Deux hommes descendirent, puis un troisième. Celui-ci était d’une maigreur extrême et il éprouvait une certaine difficulté à marcher, les deux autres le soutenant. Ils traversèrent la rue. Je me demandais ce que ces trois inconnus venaient faire chez moi. J’ouvris la porte et c’est seulement à son regard que je reconnus mon mari. Quand il était parti, c’était un costaud, il pesait 80 kilos. A son retour, il n’en faisait plus que 39 ».

Eugène Charles « Je luttais de toutes mes forces pour me rétablir, faisant cinq ou six repas par jour, n’ayant que l’idée de vivre et de reprendre mes activités. »

Eugène Charles, années 1970

Il reprend son travail aux Chantiers de Bretagne jusqu’en 1963, mais à la suite d’une grave opération – liée aux séquelles de sa déportation – il doit renoncer à travailler.
Il est homologué au titre de la Résistance intérieure française (RIF) et DIR (Déportés et Internés Résistants) comme appartenant à l’un des mouvements de Résistance.

Il reçoit la carte de « Déporté Résistant«  le 9 janvier 1956, et est titulaire de plusieurs décorations : la Médaille militaire, la Croix des Volontaires de la Résistance, la Légion d’Honneur (chevalier, puis officier).
Militant de la FNDIRP, il participe aux rassemblements des « 45 000 » au Havre et à Compiègne.

Mars 1980 : de bas en haut : René Aondetto, Eugène Charles et  Marie-Claude Vaillant-Couturier

Ci-contre agrandissement de la photo du rassemblement des « 45 000 » et des « 31 000 » au Havre en mars 1980 : derrière lui Marie Claude Vaillant Couturier pose une main sur son épaule. Devant lui René Aondetto.

Eugène Charles décède le 14 décembre 1996 à Saint-Nazaire (Loire-Atlantique).

Sources

  • Questionnaire biographique rempli par Eugène Charles le 21 octobre 1987.
  • Photo FNDIRP.

    Commémoration de Compiègne 1982. Eugène Charles est à droite de la photo, porteur de lunettes.
  • Cassette audio enregistrée par mes soins à Rambouillet, chez Roger Arnould, lors d’une rencontre avec les rescapés du convoi. Robert Gaillard y décrit les souffrances de son camarade Eugène Charles, et parle de lui avec admiration.
  • Photo couleur du 27 juin 1982 prise par Roger Arnould.
Dédicaces après la conférence de Nantes

Notice biographique rédigée en avril 2002 (complétée en 2009, 2017 et 2021) pour la deuxième exposition de l’AFMD de Nantes, par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé) et de Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Autrement, Paris 2005. Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com

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