Notre mission

Pierre Monjault, rescapé du convoi du 6 juillet 1942, matricule "45.909" à Auschwitz a rapporté ses souvenirs de ces "quatre années de souffrance pour rester français" ainsi que s'intitule le mémoire de Lucie Kerjolon. La première partie concerne son activité militante pendant la guerre et avant sa première arrestation sur son lieu de travail en février 1941.

Pierre Monjault est un militant communiste connu des services de police. Il est surveillé par la police française

Registre du commissariat d’Ivry (MRN Champigny)

(ci-contre un extrait du registre du commissariat d’Ivry : « agitateur militant, à se méfier, ex-délégué, ex-chef de cellule » avec les deux croix rouges attribuées aux militants notoires et propagandistes, et les deux traits bleus indiquant qu’il ne travaille plus à Ivry). Registres et fiche de police : lire l’article du site Le rôle de la police française dans les arrestations des 45000.

« C’était la guerre, avec tout ce qu’elle apporte de hantise, d’angoisse et de frayeur. Déjà, la résistance s’organise avec Jacques Duclos et Maurice Thorez. La tâche allait être difficile pour les communistes, le parti était dissout, ses militants emprisonnés et sur ordre du gouvernement de l’époque, les municipalités communistes furent remplacées par des commissions spéciales. La municipalité de Maisons-Alfort, était gérée par la délégation Maupas.
Avec tous les camarades de ma section, nous avons commencé la propagande anti-allemands en cachette par des tracts et petits journaux, diffusions de lecture d’espoir et d’encouragements.
Il fallait que les Français sachent que tout n’était pas fini. Puis, il y eu l’appel du 18 Juin, du Général de Gaulle, dans toute la France la résistance
prend de l’ampleur, tous unis dans le patriotisme. (Après l’invasion allemande et l’Occupation)… De 1940 à 1941, j’étais responsable sur le plan local, de la propagande anti-allemands. J’allais chercher du matériel à un endroit précis et à heure fixe. Mes premiers rendez-vous furent derrière le gymnase Japy, je devais – sans un regard, sans une parole – échanger un sac de toile à l’épaule gauche d’un ou d’une camarade qui arrivait à la même heure que moi ; l’échange se faisait automatiquement. Je possédais une facture de papiers d’emballage de boucherie avec des adresses de faux où commerçants inexistants. Je déposais mon précieux sac dans une planque et je retournais le chercher à la nuit tombante, puis chez moi avec d’autres camarades, il fallait procéder au pliage. Cette tâche accomplie, je partais chez les responsables de Créteil, chemin des Mèches, puis chez un camarade qui habitait dans la cour du restaurant « L’Escargot » à Charenton. J’assurais la distribution des tracts dans les boites aux lettres de ma cité, et tout le quartier du Vert de Maisons, ainsi que sur les lieux de mon travail, usine des Eaux à Ivry sur Seine.

Inscriptions murales. Robert Doisneau reconstitution 1944

Il était courant, qu’à la nuit tombante avec mes camarades, nous procédions à des inscriptions murales et au sol.
Un jour, l’idée nous vint de remonter le moral aux habitants de notre quartier. Je pris donc un drap de lit et inscrivis dessus, avec du goudron la phrase suivante : « Nous Vaincrons ». Avec l’aide des camarades : Rosenthal, Jardin, Rousseau et Marguerite Blangeot (1), nous avions fabriqué une banderole à l’aide de manches à balais et de boulons. Nous avions attaché des grappins avec des ficelles pour pouvoir tirer la banderole puis nous avons balancé le tout
par dessus les fils électriques, au milieu de la place Galliéni. Le lendemain, il y avait une grande animation, les allemands arrivaient en hurlant. Il fallut attendre dix heures du matin pour que la police et les pompiers retirent notre
banderole. Ils craignaient d’être électrocutés.
En me mêlant à la foule de gens, je constatais que beaucoup gardaient espoir, les uns disaient « ce sont les américains
qui ont lancé çà ! « , les autres pensaient que c’était les russes et aussi « la guerre n’est pas finie » etc…
C’est avec joie que je percevais dans ces rumeurs, l’ultime désir des français de retrouver un jour la France libre.
J’effectuais le plus souvent, mon travail à bicyclette.
Un jour, je fus arrêté dans Paris par un policier, j’avais sur mon porte-bagages un sac remplit de tracts ; maîtrisant mon émotion je mis pied à terre. Le policier me demanda ce qu’il y avait dans le sac, prenant un air détaché je lui
répondis « du papier d’emballage pour un commerçant », comme je faisais le geste de lui montrer mes papiers ; il me fit signe de partir, tranquillement mais ô combien soulagé, je remontais sur ma bicyclette.
Un autre jour, tout en sortant de chez moi j’aperçois un inspecteur dans la cour. J’étais inquiet, je vis qu’il me suivait à bicyclette.
Je décide donc de m’en assurer, par deux fois descendant de mon vélo et faisant semblant de le regonfler, je remarquai que mon poursuivant s’arrêtait aussi, donc pas d’erreur, j’étais bien pris en filature. Mais, à cette époque je pédalais bien et connaissant parfaitement le coin, je réussis à le semer et je pus remplir ma mission, mais en redoublant de prudence.
… Alors que nous étions par groupes de trois avec nos chefs respectifs, dans le bois de Vincennes, afin de recevoir des instructions et établir nos plans de travail. Au loin, nous avons reconnu deux inspecteurs. Nous nous sommes alors dispersés, car nous étions repérés, les rencontres furent
donc abandonnées.
A partir de ce jour, nous décidions de nous réunir chez moi, à des dates et heures différentes. Suivant les mots d’ordre dont nous étions informés par des tracts que j’allais chercher selon la méthode indiquée au début de mon récit.
Les inspecteurs m’avaient sans aucun doute repéré, mais je les reconnaissais de loin, quelquefois, je sentais que j’étais surveillé et je ne me trompais pas, il fallait donc être prudent et rusé.
Un autre jour, je revenais de ma mission, en arrivant au marché d’Alfort, l’inspecteur Moreau du commissariat de Charenton, m’ayant aperçu se met à
m’interpeller ! Je le fis courir par Choisy, Créteil, et le semais encore une fois, mais en rentrant, il était là qui m’attendait dans la cour ; ne pouvant
rien prouver il repartit furieux !
Quelques jours plus tard, une perquisition eut lieu à mon domicile, après avoir bien fouillé tout l’appartement, ils partirent bredouilles, mais menaçants. Un des inspecteur en sortant me cria : « On t’aura Monjault, sale communiste ! ».
Cela ne se fit pas attendre longtemps : au début février 1941, je suis arrêté ».

Note 1 : Victor Jardin est déporté à Auschwitz dans le convoi des «45000», Marguerite Blangeot est arrêtée en 1943, déportée dans le convoi du 26 juillet 1943 à Ravensbrück. Elle meurt à Bergen Belsen en 1945).

En cas d’utilisation ou publication de ce témoignage, prière de citer. « Témoignage publié dans le site « Déportés
politiques à Auschwitz : le convoi dit des 45.000
»  https://deportes-politiques-auschwitz.fr
Adresse mail :  deportes.politiques.auschwitz@gmail.com

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