La mort de Paul Charton
Ce document reproduit le discours de Gabriel Lejard lors de l’inauguration de la salle « Paul Charton » de l’USOD (1), en l’honneur de ce sportif dijonnais, fondateur du club, déporté et mort à l’âge de 30 ans à Auschwitz. Lire également sa notice biographique : Paul Charton
« Monsieur Pelletret, messieurs les responsables de l’U.S.O.D., chers camarades et amis.
Paul était mon ami depuis 1936. Cheminot syndiqué, puis membre du Parti communiste, fondateur de l’U.S.O.D., tout nous rapprochait. Aussi, c’est avec émotion que j’apporte
aujourd’hui ma contribution pour honorer la mémoire de notre regretté camarade.
J’ai été son dernier compagnon de misère. Je l’ai vu aller courageusement à la mort, à une mort effroyable, en pleine jeunesse à l’âge de 30 ans.
Paul Charton fût de cette poignée de patriotes qui dès l’occupation en 40 furent les
organisateurs de la Résistance contre les nazis. Comme ses camarades il avait fait le sacrifice de sa vie. Si chaque mois la Résistance grandissait, la répression se renforçait aussi.
Le 22 juin 41 je suis arrêté par la Gestapo avec une vingtaine de camarades. Le 2 juillet c’est le tour du cheminot Paul Charton en raison du déraillement d’un train en route pour l’Allemagne au poste d’aiguillage n° 2 de Perrigny le 16 juin.
Nous nous retrouvons tous en qualités d’otages au camp d’internement de Compiègne.
Fin juin 42 les nazis pour frapper l’opinion décident que 1.160 otages de Compiègne seront choisis et déportés a aux travaux forcés à l’Est ».
Nous sommes 14 Dijonnais dont Paul Charton pour ce voyage. C’est le premier transport (de politiques) qui quitte Compiègne pour les camps de la mort. Nous embarquons le 6 juillet et arrivons le 8 après un dur voyage, au fameux camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau en Pologne. Auschwitz qui restera pour l’histoire le plus grand charnier que le monde ait connu. Quatre millions de morts, hommes, femmes, vieillards et enfants. Certain jour 8 à 10.000 cadavres par 24 heures. Je n’entrerais pas dans les détails de notre vie car il faudrait des heures. Je vous dirai simplement que la mort était partout et toujours, au travail comme au repos, le jour comme la nuit. Un simple détail vous édifiera.
Arrivés le 8 juillet 1942, des 14 Dijonnais, 3 mois après, nous restions 2 et Paul Charton était parmi les morts. J’ai été son dernier compagnon du fait du hasard. Les 1.260 Français ont été mélangés a 60.000 détenus, au gré du hasard, aussi bien pour les baraquements que pour les commandos de travail. Il se fait que Paul et moi fûmes affectés à la même baraque et au même commando et seul la mort allait nous séparer.
Pour dormir nous partagions la même planche de 80 cm de large et ensemble nous travaillions dans une sablière. C’était le nerf de bœuf, la trique, la faim, la maladie, les pendaisons, la chambre à gaz.
Nous ne nous faisions pas d’illusions sur l’avenir et le moral n’était pas élevé.
Néanmoins nous résistions pour le mieux au cafard, à la faim, aux coups, à la
maladie.
Un mois après notre arrivée Paul a une cheville enflée, ce n’est pas drôle, car c’est un motif suffisant pour la chambre à gaz. Il ne boite pas, ne souffre pas. Il se fait des massages sans résultat. Autour du 13 août, à l’appel du soir, c’est la visite des jambes pour tous les détenus et nous savons ce que cela signifie. Il faut relever le pantalon aux genoux. Nous sommes côte à côte.
Le major S.S. approche. Paul me chuchote « Je suis fichu ». Effectivement le major
l’arrache des rangs et l’envoie monter dans un camion avec les sélectionnés
pour la chambre à gaz. Un petit signe de la main et c’est fini.
J’ai passé une nuit atroce : mon camarade, mon ami était mort. Le lendemain matin je suis affecté à un autre commando, le déchargement des wagons. Je vois arriver une corvée de 2 à 300 détenus. Tout à coup au passage j’entends « Gaby » ! C’était Paul. Quelques phrases hachées seulement. – « Nous n’avons pas été gazés hier soir, mais nous le serons à notre retour de corvées. Je vais
repasser tout à l’heure ». Je guettais anxieusement. Enfin les voilà. Et voici le dialogue : « Gaby, un Polonais m’a donné un morceau de pain, je te le lance dans le wagon » – « Non mange-le ». – « Pas la peine, dans une heure je serais mort. Adieu ». Le pain tombe dans le wagon et Paul continue son chemin vers la mort. Il allait mourir lucidement, en martyr.
Voilà chers amis ce que fut celui que vous honorez aujourd’hui.
Je vous remercie camarades, dirigeants de l’U.S.O.D. de m’avoir demandé de venir prononcer ces paroles à cette manifestation du Souvenir. C’est le devoir et l’honneur des survivants de faire connaître à la jeunesse, de rappeler aux plus âgés qui ont un peu oublié, ce que furent les crimes nazis, ce que furent tous ces hommes, ces femmes, ces jeunes qui tombèrent dans la lutte.
Je félicite Monsieur Pelletret d’avoir œuvré à la réalisation de cette salle. Et vous camarades responsables de l’U.S.O.D. je vous remercie de perpétuer ainsi le nom d’un travailleur conscient, d’un sportif, d’un patriote. A vous tous aussi, camarades et amis présents, je vous dis merci et meilleurs vœux pour le développement de l’U.S.O.D. »
Note 1 : Nous n’avons pas encore trouvé la date de cette inauguration, ni de références concernant M. Pelletret, le dirigeant de l’USOD que cite Gaby Lejard .
Nous savons que l’Union Sportive Ouvrière Dijonnaise (USOD) est créée le 14 novembre 1935. C’est un club voué à l’haltérophilie, force athlétique et musculation. Il a formé des sélectionnés olympiques et de nombreux champions de France après guerre.
La salle était située entre le boulevard Joffre et la rue Jean-Dampt à Dijon.
Pierre Cardon (janvier 2018) et Claudine Cardon-Hamet Docteure en histoire, auteure des ouvrages « Triangles rouges à Auschwitz » et de « Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 ». En cas de reproduction partielle ou totale de cet article, prière de citer les coordonnées du site https://deportes-politiques-auschwitz.fr et le nom de l’auteur