Matricule « 45 907 » à Auschwitz

Paul  Louis Mougeot in © « Club Mémoires 52 »
Louis Mougeot : né en 1905 à Poissons (Haute-Marne) ; domicilié à Joinville (Haute-Marne) ; ouvrier ; communiste ; arrêté le 22 juin 1941 ; interné à Chaumont, Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, Sachsenhausen, Tribnitz. Il meurt à Flossenbürg le 10 mars 1945.

Paul, Louis Mougeot est né le 18 mai 1905 à Poissons (Haute-Marne). Il habite à Joinville (Haute-Marne) au moment de son arrestation.  Il est le fils d’Émilienne Minette, 38 ans, patronne couturière et de Gustave Mougeot, 28 ans, râpeur à la fonderie Ferry-Capitain de Bussy Saint-Georges, son époux. Sa grand-mère, Mme Adeline Collin loge avec eux.
Louis Mougeot travaille dans une scierie. Il est membre du Parti communiste.

Le 10 mai 1940, la Luftwaffe bombarde le terrain d’aviation de Saint-Dizier et la ville de Joinville. Le 13 juin 1940 la Wehrmacht occupe Saint-Dizier. Le 14 juin, les troupes allemandes défilent à Paris, sur les Champs-Élysées. Le 15 tout le département de la Haute-Marne est occupé.  Le 22 juin, l’armistice est signé : la France est coupée en deux par la « ligne de démarcation » qui sépare la zone occupée de celle administrée par Vichy. La Haute-Marne est coupée en deux : l’est devient « zone interdite », destinée au repeuplement allemand comme le veulent les nazis, ou à la création d’un Pays Thiois ou Grande Flamande (comme le revendiquait le mouvement irrédentiste flamand), l’ouest se transforme en territoire de stationnement des troupes de la Wehrmacht. Le 10 juillet 1940 Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « Révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).

René Bousquet et à sa droite Carl Oberg, Gruppenführer, chef de la SS et de la Police pour la France

Le 28 août 1941 René Bousquet, Préfet de la Marne nommé par Pétain en 1940, est nommé Préfet régional de la région de Châlons-sur-Marne (Marne, Haute-Marne et Aube). Il donne des instructions très précises pour la surveillance des « menées communistes ». Le 10 septembre 1941, avec l’institution de la « politique des otages », les autorités allemandes se font remettre les notices individuelles des communistes arrêtés et incarcérés par la police française. On lira sur le net les articles consacrés à Bouquet par Jean-Pierre et Jocelyne Husson : « René Bousquet et la politique vichyste d’exclusion et de répression ».  Lire dans le site : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942).

Louis Mougeot est arrêté comme « communiste », le 22 juin 1941 par la police française, dans le cadre de la grande rafle commencée le 22 juin, jour de l’attaque hitlérienne contre l’Union soviétique. Sous le nom « d’Aktion Theoderich », les Allemands arrêtent plus de mille communistes dans la zone occupée, avec l’aide de la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy (ce sera la prison de Chaumont pour la Haute-Marne / au Val Barizien), ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), le Frontstalag 122, a et qui ce jour là devient un camp de détention des “ennemis actifs du Reich”.
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».

Depuis le camp de Compiègne, Louis Mougeot est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a pas été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.

Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».  Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Louis Mougeot est affecté au Kommando des « Installateurs » au camp principal.

Carnet de Roger Abada. Paul Mougeot est mentionné en bas de la page

Il participe à la Résistance clandestine, et son affectation au Kommando des Installateurs lui permet, avec d’autres « 45000 » affectés à des kommandos de spécialistes circulant dans le camp (Henri Marti, Henri Gorgue, Georges Gaudray, Pierre Monjault) de venir en aide aux 130 françaises (le convoi du 24 janvier 1943, les « 31000 ») au camp des femmes, comme en témoigne le carnet de Roger Abada, dans lequel celui-ci a noté dès sa libération au camp de Dora, les éléments marquants de sa déportation.
Sur la page reproduite ci-contre, figurent les noms de quelques uns des membres du groupe français de Résistance à Auschwitz.
Lire dans le site : L’aide des « 45000 » aux femmes de Birkenau

En application d’une directive de la Gestapo datée du 21 juin 1943 accordant aux détenus des KL en provenance d’Europe occidentale la possibilité de correspondre avec leur famille et de recevoir des colis renfermant des vivres, Frédéric Ginolin, comme les autres détenus politiques français d’Auschwitz (140 « 45000 » environ), reçoit en juillet 1943 l’autorisation d’échanger des lettres avec sa famille – rédigées en allemand et soumises à la censure – et de recevoir des colis contenant des aliments. Ce droit leur est signifié le 4 juillet 1943. Entre le 14 août 1943 et le 12 décembre 1943, il est en quarantaine au Block 11 avec la quasi totalité des Français survivants.
Lire l’article du site « les 45000 au block 11.
Le 12 décembre, les Français quittent le Block 11 et retournent dans leurs anciens Kommandos.

Dès 1944, devant l'avancée des armées soviétiques, les SS commencent à ramener vers le centre de l’Allemagne les déportés des camps à l’Est du Reich, dont Auschwitz. Les premiers transferts de "45.000" ont lieu en février 1944 et ne concernent que six d’entre eux. Quatre-vingt-neuf autres "45.000" sont transférés au cours de l'été 1944, dans trois camps situés plus à l'Ouest - Flossenbürg, Sachsenhausen, Gross-Rosen - en trois groupes, composés initialement de trente "45000" sur la base de leurs numéros matricules à Auschwitz.  Une trentaine de "45.000" restent à Auschwitz jusqu'en janvier 1945. 

Lire dans le site : Les 45000 pris dans le chaos des évacuations (janvier-mai 1945) et Itinéraires des survivants du convoi à partir d’Auschwitz (1944-1945)

Fin août 1944, Louis Mougeot est transféré au camp de Sachsenhausen où il est interné le 1er septembre 1944.
Un des rescapés du convoi du 23 janvier 1943, Roger Guyot, militant communiste de Joinville, déporté à Sachsenhausen, avait vu partir ses cinq camarades de Joinville le 6 juillet 1942. Il retrouve Louis Mougeot au camp de Sachsenhausen « en transit ». Seul survivant joinvillais du convoi du 6 juillet, celui-ci lui confirme la mort de leurs camarades Pierre Vuillemain, Alfred Dufays, Bernard Hacquin et Edouard Gentil, dont il a été témoin. « Mougeot repartait quelques jours après en transport, nous n’avons jamais eu de nouvelles de ce bon camarade« .

Selon Henri Gorgue et Gaby Lejard, leur camarade Louis Mougeot meurt pendant la « marche de la mort » vers Dachau. Lire : Gabriel Lejard : d’Auschwitz à Kochendorf et les « marches de la mort » de Kochendorf à Augsburg puis Dachau.

Témoignage oral de Henri Marti, recueilli par Claudine cardon-Hamet

Mais pour Jean Henri Marti, qui était avec lui au Kommando des Installateurs à Auschwitz I, et dont les témoignages sont toujours fiables, Louis Mougeot est mort à Flossenbürg en 1945.
« C’est moi qui l’ai conduit à l’infirmerie. Il avait beaucoup de fièvre. Il ne pouvait plus manger depuis plusieurs jours. Cela a pris d’un seul coup. C’était une espèce de dysenterie. Pourtant, depuis que je le connaissais, il n’avait jamais été malade. Comme il était plombier de métier, il a toujours travaillé dans le même kommando que moi à Auschwitz. Puis quand nous avons quitté Auschwitz, en septembre 1944, nous avons été ensemble à Sachsenhausen. Nous étions encore ensemble ensuite dans un petit camp, près de Trebnitz. Nous n’étions plus que deux de notre convoi, et là encore nous travaillions ensemble. Nous y sommes restés quelques jours, puis nous avons encore changé de camp pour aller au camp de Flossenbürg. C’est là qu’il a été malade une vingtaine de jours après que nous étions arrivés. Le camp était très dur aussi. J’ai fait tout ce que pouvais pour le remonter afin qu’il entre à l’infirmerie. Mais il n’y avait rien à faire : il ne tenait plus sur ses jambes. Je n’ai pas pu le revoir car on n’avait pas le droit de rentrer à l’infirmerie et je suis parti deux jours après vers un autre camp. Le camp de Flossenbürg a été évacué vers le 20 avril 1945), sauf l’infirmerie qui est restée et a été libérée par les Américains le 23 avril, il y avait plus de 1000 malades« .

Ce dernier lieu correspond effectivement aux recherches effectuées par l’Association des déportés et familles de disparus du camp de concentration de Flossenbürg et Kommandos, qui indique son parcours depuis Auschwitz : « Transféré à Sachsenhausen, affecté au Kommando de Treibnitz. Evacuation des usines Heinkel le 1er février 1945. Convoi du 4 février 1945 pour transfert à Flossenbürg, où il arrive le 6. Décédé le 10 mars 1945 à Flossenbürg ».
C’est le lieu qu’a retenu le fichier Central des ACVG dans les années qui ont suivi la Libération, en portant la date de décès du 15 février 1945. Date et lieu repris par l’arrêté du 31 juillet 1997 portant apposition de la mention «Mort en déportation» sur les actes de décès paru au Journal Officiel du 14 décembre 1997.

Son nom figure sur la plaque commémorative dans le cimetière de Poissons.
Le titre de «Déporté politique» lui a été attribué en 1952. Il a été déclaré « Mort pour la France ».

Sources

  • Carnet de Roger Abada.
  • Témoignage d’Henri Marti, le 10 octobre 1972.
  • Site internet Mémorial «GenWeb ».
  • Bureau de la Division (ou Pôle) des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen  (dossier individuel consulté en octobre 1993).
  • Liste (incomplète) par matricule du convoi du 6 juillet 1942 établie en 1974 par les historiens du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau (Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (Ministère de la Défense, Caen) indiquant généralement la date de décès au camp.
  • Extraits du cahier de souvenirs de Roger Guyot (envoi de Jean-Marie Chirol).
  • © « Club Mémoires 52 », association de recherches historiques consacrées au département de la Haute-Marne, créée, en 1991 par Jean-Marie Chirol (1929-2002). Déportés et internés de Haute-Marne, Bettancourt-la-Ferrée, avril 2005, p. 39.

Notice biographique rédigée en novembre 2010, complétée en 2015, 2018 et 2023 par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : « Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000. Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice.
Pour la compléter ou la corriger cette, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com 

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