Arrêté le 20 janvier 1941, André Duret sera libéré le 6 juin 1941, puis de nouveau arrêté le 28 février 1942, interné à Compiègne puis déporté à Auschwitz où il meurt.
Ces écrits sont rédigés sur des feuilles de courriers des amis, de la famille et même de son avocat, reçus en détention par André DURET. Ils s'arrêtent le 20 avril 1941, à la veille de sa comparution en appel, alors qu'il lui reste environ 7 semaines avant sa libération. Retranscrits sur un cahier, ces écrits s'arrêtent au 29 mars 1941 et certains passages ont été modifiés (en italiques dans ce document) Claude Duret.

« Je n’ai pas eu la prétention, lorsque j’ai écris ces lignes de faire un roman de ma captivité, mais j’ai tenu à transcrire journellement mes impressions et mes réactions, ainsi que quelques faits qui m’ont frappés. Ceux qui liront ces lignes auront peut-être quelquefois le sourire, c’est que je n’aurais pas pu, par mes impressions d’écrivain amateur, leur faire comprendre quel prix peut valoir cette chose merveilleuse que l’on nomme « La Liberté » . Dans cette solitude, l’esprit a des réactions toutes différentes, et souvent, l’on pense aux jours passés, à l’affection souvent distante que l’on portait à ses parents, car au rythme de notre vie, nous ne nous imprégnons pas assez de l’amour de la famille. Et souvent dans ma solitude j’ai repensé à quelques actes égoïstes que j’avais commis vis-à-vis de mes parents, sans y songer. Car dans cette prison, l’on peut se rendre compte, de quelle affection et de quelle tendresse nous entourent nos parents. (Lignes biffées) Et dans le silence de la prison, vous faites le serment, qu’à votre retour, vous entourerez d’une plus grande affection votre famille et les personnes qui ont été affectées par votre incarcération ». André Duret.

Lundi 20 janvier 1941 : Arrestation, nuit au poste, premier interrogatoire. Arrestation, j’ai couché au poste. J’ai subi mon premier  interrogatoire.

Mardi 21/1/41 Maman m’a apporté à déjeuner, second interrogatoire, refus de me donner à manger. Après midi, 3ème interrogatoire jusqu’à 19 heures. Refus de me donner à dîner, 21 heures. 4ème interrogatoire, toujours refus de dîner. Je commence à ressentir terriblement la faim. La nuit est longue et il fait froid au matin, j’ai  l’estomac qui tiraille.

Vers 10 heures le Mercredi 22/1/41 : L’on vient me chercher et je monte dans le panier à salade direction la police judiciaire, me voici au Dépôt dans une cellule : nous sommes 15 , on nous appelle pour monter à l’anthropométrie et à la photographie, miracle pour la première fois depuis le 21 au matin je mange deux casse croûte qui sont entre parenthèse forts chers. Tous les gens du marché noir ne sont pas en prison ! L’après midi nous montons au substitut du procureur qui nous fait confirmer notre interrogatoire (du poste). A 20h nous partons pour la Santé. Arrivés vers 20h30 inscription et l’on nous emmène dans des cellules d’attente où nous passons la nuit. Drôle de nuit couché sur des bas flancs avec une couverture.

Jeudi 23/1/41 Réveil à 6 h 30, l’on nous met tous dans une cellule et l’on nous donne une soupe, de l’eau chaude avec des rutabagas mais cela semble bon, Puis l’on nous appelle par un et c’est la fouille, l’on nous fait déshabiller et ils gardent le porte feuille , stylos, etc. Puis l’on nous donne une paire de draps et une demi boule de pain noir, puis direction de la division qui est pour moi la 13ème. Le gardien en bas m’indique l’étage, un autre gardien me conduit à une cellule c’est la 73ème, je suis le 4ème locataire. Aussitôt arrivé l’on me rappelle et direction la 12ème chambre correctionnelle. Le jugement est vite fait, l’on me demande si je confirme ma déclaration du commissariat et c’est la sentence 6 mois de prison. C’est fini je reprends le chemin de la Santé, je rentre il est 5 heures (17h) et je fais connaissance avec mes co-locataires. Le 73 est un nommé Oswald, il a été arrêté pour vol de poste de TSF, pas méchant garçon mais un peu bête. Le 73 bis est un gars de 19 ans qui a détourné 6.000 francs à son patron, il doit passer demain en jugement. Le 3ème est le 73 ter il s’appelle Scolan, il vient de tirer déjà 5 ans en centrale, il est sorti il y a 100 jours et il a été arrêté il y a quelques jours pour vol. Contrairement au premier, il semble intelligent. Pour la soupe toujours la même, enfin nous avons faim et elle est la bienvenue. C’est tout pour ce soir.

Vendredi 24/1/41 Un de mes co-locataires passe aujourd’hui au tribunal, c’est celui qui a volé 6.000 F, Il s’appelle Lesage et ne parait pas très intéressant. La matinée vient de passer rapidement. Naturellement ce matin nous avons eu la soupe, toujours des rutabagas. Cet après midi nous avons marché de long en large dans la cellule et un colon (sedan) me raconte ses petites histoires cela passe le temps, ce n’est pas un mauvais garçon mais un peu anarchiste, c’est un révolté à sa manière. Il est 16h30 voici la soupe, toujours pareil. A 17h30 Scolan touche sa cantine et il m’offre de faire une tartine avec le petit pot de compote de pommes qui lui reste, j’accepte de grand cœur et cela me semble délicieux. Puis c’est l’heure de se coucher. Lesage vient de rentrer, 4 mois avec sursis, les juges sont plus larges avec les voleurs qu’avec nous, il sortira ce soir, quel veinard.

Samedi 25/1/41 : Toujours la même vie, j’attends impatiemment lundi, jour de visite, je vais avoir la joie de voir mes parents.

Dimanche 26/1/41 : Triste journée mais il faut s’y faire, c’est la prison, nous touchons une gamelle avec un peu de viande, oh, très peu mais ça semble bon.

Lundi 27/1/41 : Enfin ce jour est arrivé dans quelques heures je vais être avec eux. J’ai vu maman et Jacques quel plaisir, mes patrons vont s’occuper de moi ainsi que Mr Madeleine (et Roger) espérons s’il peut me fournir un avocat (pour passer en appel quelle belle journée)

Mardi 28/1/41 : L’ordinaire peut être amélioré, j’ai droit à la cantine, pas grand-chose car il n’y a presque rien, dattes et petits pots de compote tous les deus jours et un plat journalier qui est souvent aussi des rutabagas.

Dimanche 2/2/41 : J’ai reçu du linge propre et cette brave maman m’a envoyé des chaussons cela semble bon les copains m’écrivent et cela soutient. Cet après midi un nouvel arrivant qui remplace Lesage, nous voilà de nouveau 4, c’est un copain du 18ème , père de 5 enfants, discutons et il nous donne quelques nouvelles de dehors. Lundi 3/2/41 : C’est aujourd’hui la visite. Je viens de voir M. Madeleine (et Roger) ont fait l’impossible pour moi, quelle journée Maman et ce vieux Papa , j’en avais les larmes aux yeux et ce vieux Roger, quel belle journée, un peu d’espoir me ranime après cette visite.

Samedi 7/2/41 : (avec surcharge du 8) Tous les jours se sont passés normalement j’ai eu la visite de l’avocat : il espère une réduction de peine

Lundi 10/2/41 : Visité ! Je viens de voir Jacques et Zézette (Suzanne) ainsi que maman,  je suis heureux, et ils m’ont rempli d’espoir dans 10 jours je devrais passer (en  appel) d’après l’avocat, mais je n’ose y croire

Mercredi 12/2/41 : Je viens de recevoir mon linge comme de coutume, journée mauvaise, j’ai failli me battre et sans l’intervention de Scolan il y aurait eu des dégâts. Depuis quelques temps je constatais que mon pain diminuait sans que j’y touche et j’ai surpris cet Ossvald en train d’en prendre un morceau, cela a fait du bruit et j’en suis encore tout retourné. Je viens de me rendre compte que je m’affaiblis, quel sale type !

Vendredi 14/2/41 : Toujours pas de nouvelles de mon appel. Je ne pense pas passer avant la fin de ce mois. Que de lettres, 6 je suis heureux.

Dimanche 16/2/41 : Aujourd’hui dimanche, quelle triste journée, je vais à la visite (médicale) demain pour essayer d’avoir un peu plus de pain. Le moral n’est pas fameux, du courage !

Mardi 13/2/41 : Le moral est meilleur, j’ai vu maman et Jacques. Impossible d’avoir du pain en supplément. Tant pis !

Jeudi 20/2/41 : Ils m’ont refusé ma 2ème boite d’ampoules, je vais aller à la visite Toujours bon moral, mais que les journées sont longues !

Dimanche 23/2/41 : Bonne journée rien à signaler.

lundi 24/2/41 : Visite de Papa et maman, bon moral reçois beaucoup de lettres.

Mardi 25/2/41 J’ai vu le père à Suzanne (Zézette) lui ai timoré rendez-vous à la promenade  jeudi . Espere avoir un casse-croûte demain. Quelle joie !

Mercredi 24/2/41 : Ai reçu mon casse-croûte, un vrai gâteau, que cela est bon. Triste nouvelle je pars pour Fresnes demain.

Jeudi 27/2/41 : Arrivée a Fresnes, quel désastre la nourriture est la même qu’à la Santé mais en plus il n’y a pas de cantine et nous n’avons pas d’encre pour écrire, il faut attendre mercredi prochain (que vont-ils penser chez-moi).

Samedi 1er mars : toujours pas d’encre, je regrette beaucoup la Santé. Me cramponner pour garder le moral (mais j’ai faim

Mercredi 5 mars 41 : Je passe en jugement le 17/3, je viens de recevoir de l’encre, mais toujours pas de timbre. Je passe à  la radio demain. Est-ce ue maman aura reçu une lettre à temps pour venir me voir demain. Espérons-le. Je passe mon temps à écrite, cela m’amuse (me désennuie)

(…)
Lettre de Compiègne 16 mai 1942

Compiègne (Frontstalag 122).   

Lettre du 16 mai 1942

De nouveau une occasion de vous faire parvenir un petit mot pour donner de mes nouvelles, je dis de nouveau car j’espère que vous avez reçu ma lettre précédente.

Le moral est bon et il faut qu’il en ait été de même pour vous tous. La détention dans un camp est moins dure que la prison et au moins, ici, j’ai l’air. La nourriture est bonne mais hélas en trop petite quantité, une soupe le midi et le soir, 200 g de margarine et un peu de confiture, et c’est tout. Heureusement que les anciens peuvent recevoir des colis 3 fois par mois de 6 à 7 kilos chaque. Nous n’avons pas encore d’autorisation d’écrire ni de recevoir de colis, mais par l’intermédiaire d’un copain de Levallois, j’ai trouvé un camarade polonais (Krugly Bazyli, N° 3779) qui ne reçoit pas de colis mais à qui vous pourrez en envoyer un à son nom que vous trouverez ci-dessous. Surtout envoyez le en colis express à la Gare du Nord, c’est le plus sûr et plus rapide car il y a énormément de vols en colis ordinaires. Dans ce colis vous mettez ce que vous pouvez, du pain,  si vous pouvez un peu, des haricots, des pâtes, enfin ce que vous pourrez, faites pour le mieux. Ne mettez pas d’effets pour le moment,  une paire de chaussettes et mes sandales chaussures de basket c’est tout ; à l’intérieur du colis, sur un paquet des pâtes par exemple, collez la liste des objets contenus dans le colis c’est important. Merci d’avance. Pour le moment les copains de Levallois me nourrissent de temps à autre le soir et je suis parmi les moins malheureux. Je tiens absolument à ce que vous ne vous fassiez pas de mauvais sang à mon sujet. J’ai passé au médecin allemand qui m’a longuement ausculté mais je n’ai pas encore la réponse. Nous passons tous devant une commission, il y en a déjà 75 de passés et 70 de libérés mais nous avons été arrêté à 600 et il en passe 35 à 40 par semaine, alors je ne sais quand je passerai devant cette commission peut être la semaine prochaine peut être plus tard, alors attendez. Question santé je me sens absolument bien et si je peux recevoir un peu de nourriture, avec l’air, j’aurais l’impression d’être dans un camp de repos !! J’espère que les derniers bombardements ne vous ont pas empêchés de dormir et que tous les trois (êtes) en bonne santé, ainsi que Zézette et mon petit Claudinet. J’espère que bientôt vous pourrez m’écrire un petit mot me donnant de vos nouvelles. Soyez sans peine sur mon sort et surtout que papa fasse attention. Dites à Odette qu’elle soit courageuse et qu’elle soit patiente. Ici nous ne pensons pas que nous serons longtemps ici, qu’elle sorte un peu avec vous ou avec Jacques, puisqu’ils sont tous les deux célibataires. J’espère que mon patron s’est conduit correctement , demandez lui un peu de confitures . J’oubliais de vous dire pour le colis, il ne faut pas qu’il soit expédié avec votre nom, mais à celui d’Odette avec son adresse bien entendu. Vous mettrez aussi une  brosse à dents avec le dentifrice, une petite bouteille d’essence pour le briquet du tabac si possible! Mes chers parents je vais vous quitter, embrassez Odette de ma part, ainsi Jacques, Suzanne et le petit Claude et recevez vous-mêmes mes affectueux baisers. André.

En cas d’utilisation totale ou partielle de cet article, prière d’indiquer « article paru dans le site deporte-politiques-auschwitz.fr de l’historienne Claudine Cardon-Hamet

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *