Témoignage d’Henri Gorgue au procès de Rudolf Höss

Henri Gorgue a témoigné au procès de Rudolf Höss devant le Tribunal suprême de Pologne (1). On trouvera ci-dessous la traduction française de l’interrogatoire (document dactylographié en polonais) de son interrogatoire le 25 mars 1947. Une française a également témoigné à ce procès : Claudette Bloch, docteur en biologie, déportée à Auschwitz par le « convoi n° 3, ainsi que le médecin français, Jacques Lewin, Simon Jutman et Jacques Klinger.

Claudette Bloch témoigne au procès de Rudolf Höss
Jacques Lewin, médecin français, témoigne au procès de Höss
Jacques Klinger témoin au procès de Rudolf Höss

Rudolf Höss fut le commandant des camps d’Auschwitz-Birkenau du 1er mai 1940 au 1er décembre 1943, puis de nouveau entre le 8 mai et août 1944. Nazi convaincu, Höss fit preuve non seulement d'une totale obéissance aux ordres du plus haut gradé de la S.S., Henrich Himmler concernant l'extermination des Juifs, mais aussi d’initiative, afin d'augmenter les capacités exterminatrices d'Auschwitz, notamment en utilisant le Zyklon B dans un ensemble de chambres à gaz. Après la capitulation allemande en mai 1945, Höss réussit à se cacher pendant près d'un an, sous une fausse identité et est finalement dénoncé par sa femme. Il est arrêté par les troupes britanniques le 11 mars 1946. Il témoigne lors du procès de Nuremberg, puis il est livré aux autorités polonaises et est alors jugé - seul - par le Tribunal suprême de Pologne du 11 mars au 2 avril 1947. Les autres responsables du camp sont jugés ensemble (40). Condamné à mort, Höss est exécuté par pendaison le 16 avril 1947 dans le camp d'Auschwitz même (d’après notice Wikipédia).

Nous avons ajouté quelques notes lorsqu’Henri Gorgue avance des éléments qui se sont révélés inexacts à la suite des recherches des historiens polonais et nos propres recherches. De même nous avons corrigé les noms de ses camarades déportés lorsqu’ils ont été mal retranscrits par les traducteurs et greffiers polonais. Mais deux noms nous demeurent inconnus.

La transcription polonaise du témoignage d’Henri Gorgue
« Jour 13 du procès, 25 mars 1947

Le témoin a fourni les informations le concernant comme suit : Henri Gorgue, 40 ans, outilleur, marié, non croyant, sans lien de parenté avec les parties.
Le Président : Quelles sont les motions des parties quant au mode d’interrogation du témoin ?
Procureur Cyprien : Nous déchargeons le témoin de son serment.
Défenseur Ostaszewski : Nous déchargeons le témoin de son serment.
Président : D’un commun accord entre les parties, le Tribunal a décidé d’interroger le témoin sans prêter serment.
Président : Pourriez-vous décrire ce que vous savez sur le sujet ?

Henri Gorgue le 8 juillet 1942

Témoin : J’étais au camp d’Auschwitz du 6 juillet 1942 à septembre 1944, date à laquelle j’ai été transféré au camp de Groß-Rosen. Dans le camp, on m’a attribué le numéro « 45 617 ». J’ai toujours ce numéro tatoué sur mon bras gauche, comme tous les déportés d’Auschwitz.
Notre transport fut le premier transport de « criminels politiques » non juifs en provenance de France. Nous étions 1200 hommes (2), pour la plupart communistes. Nous avions été arrêtés en France par la police, qui était au service des autorités allemandes. Nous avons été remis aux autorités allemandes pour être déportés en raison de nos activités partisanes. Cela s’est produit à la suite d’un attentat qui avait eu lieu officiellement à Paris (3). Des 1200 camarades (2) déportés à Auschwitz, une centaine seulement (4) sont encore en vie aujourd’hui en France.
Notre transport a particulièrement souffert pendant les premières années dans le camp d’Auschwitz, lorsque l’accusé Höß était commandant du camp. Je n’ai jamais eu l’occasion de voir Höß dans d’autres situations que lors d’un rassemblement (5), ou lorsque je revenais du travail avec les kommandos, ou lorsqu’il rendait visite aux kommandos.
Sans vouloir expliquer les crimes commis par d’autres commandants qui lui ont succédé, je dirai que c’est sous le commandement de Höß et sous sa responsabilité qu’un grand nombre des crimes les plus terribles et les plus horribles ont été commis.
Le lendemain de notre arrivée à Auschwitz, notre convoi fut envoyé à Birkenau. Après huit jours de camp, je suis retourné au camp d’Auschwitz avec 600 compagnons. Notre transport était divisé en deux parties : 600 sont restés à Birkenau, 600 sont arrivés à Auschwitz (6).
En mars 1943, suite à une décision des autorités du camp, tous les Français de notre transport furent finalement regroupés dans le camp d’Auschwitz. Seuls dix-sept de ceux qui étaient encore en vie revinrent de Birkenau. Nous n’étions alors plus qu’une centaine de français dans le camp d’Auschwitz. De juillet 1942 à mars 1943, en huit mois, sur les 1200 compagnons qui composaient notre convoi à son arrivée, seuls 117 (4) d’entre nous étaient encore en vie.
Entre mars 1943 et la fin de la guerre, en passant par différents camps, jusqu’au moment de notre libération, nous n’avons perdu que 18 compagnons.
Höß porte donc la plus grande responsabilité dans nos souffrances et dans la mort de la plus grande partie de nos transports.
L’élimination organisée de nos camarades français faisait partie d’un plan général de d’élimination, auquel étaient soumis tous les prisonniers, quelle que soit leur race ou leur nationalité, et même pour les déportés raciaux, ces conditions étaient des plus cruelles. Ce que je voyais – Höß le voyait mieux que moi – et il le savait.
Le premier de nos compagnons à mourir à Auschwitz fut un jeune homme de 17 ans, Clément Matheron (7), qui fut tué à coups de bâton par notre Kapo Blokowy [prisonnier faisant fonction de gardien]. Ce Kapo nous a fait un discours sur la discipline et l’a choisi pour tuer, nous faisant regarder cet exemple, pour nous prouver que la vie humaine n’a pas de sens à Auschwitz.
Deux heures plus tard, un de nos compagnons, Voisin (8), est devenu fou et s’est jeté sur les grillages entourant le camp – il a été abattu.
Quelques jours plus tard, alors que je revenais dans un kommando de transport, j’ai vu un kapo frapper un homme épuisé. Mon compagnon de prison français, Jean Cazorla, a voulu protester : il a été arrêté et immédiatement tué à coups de bâton.
Chaque jour, en revenant du travail, nous transportions les morts. Chaque nuit, nos compagnons mouraient, épuisés, ou étaient tués sous des prétextes totalement triviaux.
Fin août 1942, le camp des hommes d’Auschwitz devait être temporairement transféré dans les locaux du camp des femmes et les femmes furent transférées à Birkenau. L’ordre a été émis dans le but de procéder à une désinfection du camp. Comme il n’y avait pas assez de place dans ces bâtiments où nous devions nous installer, après l’assemblée du soir, Höß et les autorités du camp procédèrent à une sélection qui fut appliquée à tous les kommandos. Tous les hommes qui, physiquement, semblaient diminués ou avaient les jambes légèrement enflées, étaient retirés des rangs et envoyés dans les chambres à gaz pour être éliminés.
Parmi ces malheureux se trouvait mon camarade Louis Néel, qui vivait dans la même ville que moi en France. En octobre 1942, il se rend à l’infirmerie à cause de ses blessures à la jambe.
J’ai attrapé le typhus. Le jour de ma sortie de chambre, une « sélection » pour la chambre à gaz a été effectuée. J’ai réussi à éviter cette « sélection » car le médecin avait marqué que je quittais la chambrée des malades et que j’étais guéri. Un de mes compagnons, Gamichon René, a été envoyé aux chambres à gaz lors cette section.
En décembre, après un nouveau séjour de 14 jours à l’infirmerie, j’ai vu trois sélections pour les chambres à gaz, et à l’occasion de ces sélections un autre de mes compagnons a été emmené aux chambres à gaz : André Sallenave, qui avait été mon compagnon de travail dans le même kommando.
Un jour, notre kommando, composé de 200 hommes, a quitté le camp le matin pour transporter des pommes de terre au stockage ; le soir nous sommes revenus avec 30 morts. Ils furent tués pendant la journée par les kapos qui surveillaient notre travail et par les gardes SS.
Pendant la majeure partie de mon internement à Auschwitz, j’ai travaillé dans un kommando des serruriers. C’était un kommando relativement bon, comparé à d’autres kommandos qui étaient beaucoup plus durs.
65 français de mon transport étaient affectés à ce kommando. Lorsque nous avons quitté Auschwitz en septembre 1944, nous n’étions que plus que huit, alors qu’en mars 1943 nous étions encore 12 ! C’était à l’époque où Höß était commandant.
Après que le commandant Höß ait quitté le camp, nous souffrions encore, mais les conditions générales du camp se sont améliorées et notre petit groupe de Français survivants a eu moins de difficultés, il était encore possible de s’adapter au régime du camp. L’année la plus sombre de nos années dans le camp a été celle que nous avons vécue à l’époque où Höß était commandant.
Président : Il n’y a pas d’autres questions ? (Non). Le témoin est libre de partir.

In site web de l’Institut Pilecki, créé en 2017 sous l’égide du gouvernement nationaliste polonais.

Note 1 : le même jour, qu’Henri Gorgue, une déportée française, témoigne à ce procès : il s’agit de Claudette Bloch, docteur en biologie, déportée à Auschwitz par le « convoi n° 3 », avec 70 autres femmes, le 22 juin 1942. 
Selon l’association « Mémoire vive », Eugène Garnier représentant l’Amicale d’Auschwitz, aurait également témoigné au procès des bourreaux d’Auschwitz. Cependant, nous n’avons pas trouvé trace de ce témoignage dans les archives de l’Institute of National Remembrance, ni pour le procès de Rudolf Höss, ni pour le procès des 40 bourreaux d’Auschwitz, où figurent plusieurs témoignages de déportées et déportés français, dont ceux d’Hélène Langevin-Solomon le 11 décembre 1947 (résistante communiste, déportée par le convoi des « 31 000 », qui fut députée à la Libération, lire dans le site : Hélène Langevin-Solomon témoigne au procès de 40 responsables du camp d’Auschwitz), ainsi que celui de Louise Alcan (née en 1910, écrivaine, résistante, déportée depuis Drancy le 6 février 1944).
Note 2
 : 1170 déportés arrivent à Auschwitz le 8 juillet 1942.
Note 3 : les arrestations de ceux qui allaient devenir des « 45 000 » à Auschwitz ont lieu pour un petit nombre d’entre eux dès 1939, par la police française, puis plus massivement en octobre 1940, toujours par la police française (sous le gouvernement de Vichy) avec l’aval des autorités d’occupation, puis en juin 1941 par des opération conjointes allemandes et police de Vichy (dans le cadre de l’opération Théoderich) dans le même temps que l’attaque de l’Union soviétique, puis comme le mentionne Henri Gorgue à la suite de différents attentats fin 1941 et début 1942.
Note 4 : nous avons relevé les noms de 119 rescapés exactement après la libération des camps.
Note 5 : sans doute lors des interminables appels, au petit matin.
Note 6 : le convoi est séparé effectivement en deux groupes à peu près égaux, les spécialistes dont les SS avaient besoins pour leurs ateliers sont ramenés à Auschwitz, les autres, dont les 50 juifs du convoi, restent à Birkenau, affectés à la construction des blocks et à l’assèchement des marais.
Note 7 : Orthographié Batheron. Il s’agit de Matheron Clément. Plusieurs rescapés du convoi ont également relaté la mort de Clément Matheron à la date du 8 juillet 1942. Mais celui-ci n’est pas décédé ce jour là. Il a survécu à ses blessures pendant deux mois. Il est mort le 19 septembre 1942 selon le Death Books d’Auschwitz. Il n’avait pas encore 19 ans !
Note 8 : Voisin. Nous n’avons trouvé aucune mention d’un déporté portant ce patronyme dans le convoi. Par contre deux témoignages de rescapés indiquent que Marcel Fées – qui meurt à Birkenau le 10 juillet 1942 – est criblé de balles par des SS, alors qu’il tente de s’évader, comme le raconte Henri Peiffer, rescapé du convoi : « Le Königsgraben était le kommando où les camarades furent engagés. Et c’est là que la première évasion eut lieu. Celle de notre camarade Fées. Les SS le pourchassèrent et le criblèrent de balles. Le soir à l’appel : « Voilà ce qui vous attend si vous tentez de vous échapper », gueula le principal SS du camp. René Aondetto a également fait le récit de sa mort : « Un camarade de notre convoi s’est dirigé vers les barbelés entourant le camp de Birkenau. Il franchit la première rangée, traversa le chemin de ronde, se faufila encore à travers la deuxième rangée. Il n’y avait pas de courant à ce moment-là dans les clôtures de barbelés. Hors de l’enceinte du camp, il partit droit devant lui et malgré nos appels, il ne se retourna pas. Les SS des miradors le laissèrent parcourir trente à quarante mètres avant de l’abattre. Quelque temps après, nous vîmes un gradé SS aller lui tirer une balle dans la nuque. Je ne connaissais pas le nom de ce camarade. Mais pour moi, ce fut le premier mort certain du groupe ». S’il s’agit certainement du même fait, Henri Gorgue a pu mentionner un « voisin » de chambrée, ou un « voisin » de Romainville (Marcel Fées habite le 18ème)..

Ce document nous a été transmis par monsieur Jean-Pierre Stroweis (Mémorial de la Déportation des Juifs de France – en ligne), que nous remercions vivement.

In © site web de l’Institut Pilecki, créé en 2017 sous l’égide du gouvernement nationaliste polonais.

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