Camp de Compiègne : Liste manuscrite recueillie par Georges Prévoteau. René Lemonnier a le numéro « 3617 ».
René Lemonnier ; né en 1912 à Caudebec-lès-Elbeuf ; domicilié à Elbeuf au moment de son arrestation ; travaille à 14 ans comme rattacheur dans une filature ; terrassier ; arrêté le 21 janvier 1942, il est transféré au camp allemand de Compiègne vers le 16 février 1942; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt. 

René Hippolyte Lemonnier est né le lundi 21 octobre 1912 au domicile maternel au 74, rue Léon Gambetta à Caudebec-lès-Elbeuf. Il est domicilié à Elbeuf au 5, rue des Echelettes au moment de son arrestation.
Il est le fils de Marie Augustine Durufle, 22 ans, journalière, célibataire, née à Louviers (Eure), le 24 septembre 1886. Gaston, Hyppolyte Lemonnier, 30 ans, journalier, né le 26 octobre 1882 à Elbeuf (Seine-Inférieure / Seine Maritime), époux divorcé (le 11 février 1911), se reconnait comme étant le père de l’enfant.
Par l’acte de mariage célébré le 20 janvier 1914, Gaston, Hyppolyte Lemonnier et Marie Augustine Durufle reconnaissent et légitiment René Hippolyte Lemonnier (in Etat civil de Caudebec-Lès-Elbeuf).

En 1914, la famille Lemonnier habite au 12, rue Léveillé à Elbeuf. Le père est mobilisé et blessé par un éclat d’obus en 1915.
En 1923, les Lemonnier sont domiciliés au 89, rue de la République à Elbeuf.
En 1926 (registre du recensement d’Elbeuf), la famille compte sept enfants (Lucienne, née en 1911 à Caudebec-les-Elbeuf, qui travaille comme bobineuse à la filature Fraenkel à Elbeuf ), René Hyppolyte âgé alors de 14 ans travaille comme « rattacheur » à la filature Clarenson (1) rue des Echelettes à Elbeuf, Lucienne, née en 1914 à Elbeuf, Ernest, né en 1917 à Elbeuf, Suzanne née en 1921 à Elbeuf, Maurice, né en 1923 à Elbeuf et Jacqueline née en 1924 à Elbeuf).  Leur père travaille comme bobineur à la « Société nouvelle de La soie artificielle » à Elbeuf.
En 1927, la famille a déménagé au 44, rue Camille Randoing.
En 1932, ils habitent au 5, rue des Echelettes, qui est la rue de la filature Clarenson.
René Lemonnier travaille ensuite comme terrassier (profession indiquée au moment de son arrestation).
Il est célibataire, mais a un fils qu’il a reconnu : René Eugène né le 22 septembre 1937 à Elbeuf.

Conscrit de la classe 1932, René Lemonnier est inscrit sur les registres matricules militaires sous le n° « 3364 ».

Déporté comme otage, il est certainement considéré comme « communiste » ou « syndicaliste » par les services de police (toutefois, il ne l’est sans doute pas, puisque son nom ne figure ni sur le monument honorant les militants communistes déportés dans la cour de la fédération du PCF à Rouen, ni sur les listes de militants CGT déportés établies après guerre par la fédération).

Les troupes allemandes entrent dans Rouen le dimanche 9 juin 1940. Après la capitulation et l’armistice du 22 juin, La Feldkommandantur 517 est installée à l’hôtel de ville de Rouen et des Kreiskommandanturen à Dieppe, Forges-les-Eaux, Le Havre et Rouen. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).

A partir de l’année 1941, les distributions de tracts et opérations de sabotage par la Résistance se multipliant, la répression s’intensifie à l’encontre des communistes et syndicalistes. Dès le 22 juillet 1941, le nouveau préfet régional, René Bouffet, réclame aux services de police spéciale de Rouen une liste de militants communistes. Une liste de 159 noms lui est communiquée le 4 août 1941 avec la mention : « tous anciens dirigeants ou militants convaincus ayant fait une propagande active et soupçonnés de poursuivre leur activité clandestinement et par tous les moyens ». Ces listes, comportent la plupart du temps – outre l’état civil, l’adresse et le métier – d’éventuelles arrestations et condamnations antérieures. Elles seront communiquées à la Feldkommandantur 517, qui les utilisera au fur et à mesure des arrestations décidées pour la répression des actions de Résistance.

René Lemonnier est arrêté le 21 janvier 1942 à son domicile – comme otage à la suite de l’agression d’une sentinelle allemande – par deux Feldgendarmes accompagnés par l’inspecteur de police Florentin C… du commissariat d’Elbeuf.
Il est interné à Rouen (au Palais de Justice) puis au camp de Compiègne-Royallieu en février 1942 (selon le DAVCC)


René Lemonnier est arrêté et remis aux autorités allemandes à leur demande. Celles-ci l’internent au camp allemand de Royallieu à Compiègne (le
Frontstalag 122) vers le 16 février 1942 (cette date correspond en effet à la date d’internement d’Albert Recher, matricule « 3614 ») et le matricule que reçoit René Lemonnier est suffisamment voisin pour qu’il s’agisse d’un transfert groupe depuis Rouen.

Liste manuscrite recueillie par Prévoteau

A Compiègne, René Lemonnier reçoit le matricule « 3617 », qui suit ceux de trois internés originaire d’Elbeuf : Albert Récher « 3614 » RECHER, Albert Marie Eugène, Marcel Carville « 3615 » (CARVILLE, Marcel, Fernand) et Fernand Deperrois « 3616 » DEPERROIS Fernand, Henri.
Cette proximité des numéros correspond à la fois à une arrivée à Compiègne commune à partir du mois de février 1942 et à un enregistrement la même journée.

Depuis le camp de Compiègne,  Fernand Deperrois est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.

Sa mère a reçu sa dernière lettre datée du 06/07/1942 jetée du train en route pour l’Allemagne

au moment de son arrestation.

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks, responsables aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le Parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Son numéro d’immatriculation est inconnu et aucune photo d’immatriculation à Auschwitz qui aurait pu permettre de l’identifier n’a été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz. En effet, les photos des matricules correspondant aux premières lettres des noms commençant par K et L sont manquantes.

Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Aucun des documents sauvés de la destruction ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz, ne nous permet de savoir dans quel camp il est affecté à cette date.

Aucun document des archives SS préservées de la destruction ne permet de connaître la date de son décès à Auschwitz qui est néanmoins antérieure au 18 mars 1943. A cette date on connaît en effet les noms des survivants « 45 000 » d’Auschwitz I et ceux des 24 survivants de Birkenau (sur environ 600 hommes), dont 17 reviennent à Auschwitz I et René Lemonnier n’est pas parmi eux.

Il est homologué comme Déporté politique par décision du 29/10/1957.

Plaque en mairie d’Elbeuf © Geneanet

Le nom de René Lemonnier est gravé sur la plaque honorant les « déportés patriotes » en Mairie d’Elbeuf. On y lit également le nom d’Albert Recher

M. Xavier Astruc qui nous écrivait à propos de son arrière-arrière grand-père - Fernand Deperrois - a attiré notre attention sur la présence - quasi-certaine selon les souvenirs de sa famille - de René Lemonnier au camp de Compiègne, interné en même temps que Fernand Deperrois et de plusieurs autres hommes de la région d'Elbeuf arrêtés comme communistes en janvier 1942. En recherchant dans la liste de plus de 300 noms d'internés à Compiègne recueillie sur 10 pages de carnet par Georges Prévoteau (interné puis déporté à Auschwitz), nous avons constaté qu'il avait bien noté le nom et le matricule de René Lemonnier. Grâce aux informations de sa fiche d'état civil et aux mentions marginales indiquant son décès à Auschwitz et à l'inscription au Journal Officiel (J.O.R.F. n° 189 du 17/08/1994 de son décès à Auschwitz), et à celles du DAVCC que vient de nous communiquer M. Boulligny - nous avons désormais la certitude qu'il a bien été déporté à Auschwitz par le convoi du 6 juillet 1942, et qu'il y est décédé (2)
  • Note 1 : le rattacheur travaille dans un atelier de filature de coton et de laine pour réunir à nouveau les brins qui se sont rompus.
  • Note 2 : la date de décès « le 11 juillet 1942 à Auschwitz » portée le 7 septembre 1995 sur son état civil et qui figure également au Journal Officiel (J.O.R.F. n° 189 du 17/08/1994) est une date fictive. Le « 11 juillet 1942 » correspond aux 5 jours que l’administration du Ministère des ancien combattants a ajoutés au départ du convoi (le 6 juillet 1942) en cas de date de décès inconnue des rescapés. Cette mention corrigeait déjà une autre date « décédé le 6 juillet 1942 à Compiègne ». Elle confirme la mention « mort en déportation » du JO de 1994.

Sources

  • Correspondance (août 2024) avec M. Xavier Astruc, petit-fils de Claudine Roux, fille de Marcel Deperrois, le fils aîné de Fernand Deperrois, déporté à Auschwitz. Nous le remercions vivement.
  • J.O.R.F. n° 189 du 17/08/1994 : René Hippolyte LEMONNIER, Né le 21/10/1912 à Caudebec-lès-Elbeuf (76), décédé à Auschwitz (Pologne) le 11/07/1942.
  • Généanet, photo de la plaque en mairie d’Elbeuf
  • Etat civil de Caudebec-lès-Elbeuf. remerciements à madame Véronique Cornillot.
  • Etat civil d’Eslettes 1906.
  • Registre matricule militaire de Gaston Lemonnier.
  • Registre du recensement d’Elbeuf, année 1926.
  • Courrier de M. Arnaud Boulligny, 05/09/2024

Notice biographique rédigée en août 2024 par Pierre Cardon et Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : « Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 », Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45 000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000. Prière de mentionner ces références (auteurs et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice.
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