Gérald Le Carpentier : né en 1895 à Ste-Honorine-des-Pertes (Calvados) ; domicilié à Bayeux (Calvados) ; maçon ; arrêté le 1er mai 1942 comme otage communiste ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz ; décédé à Auschwitz-Birkenau le 19 septembre 1942.
Gérald, Alfred, César Le Carpentier (1) est né le 13 juin 1895 à Ste-Honorine-des-Pertes (Calvados). Il habite au 20, rue Saint Patrice à Bayeux (Calvados) au moment de son arrestation.
Il est le fils de Marie Françoise Thomasset, née le 28 juin 1860 à Cottun (Calvados), servante, et de Gustave, Marie Le Carpentier, né en 1862, journalier, son époux (1). Ses parents se sont mariés le 10 juillet 1887 à Crouay. Il a une demi-sœur, Léa Lecarpetier, née en 1881 et deux frères, Gaston, son aîné de deux ans et Maxime.
Il est journalier, puis maçon.
Chasseurs et un peu braconniers, Gérald Le Carpentier et son frère aîné Gaston ont maille à partir avec un garde chasse privé en 1913. Gérald a alors 18 ans, et son frère Gaston 20 ans.
Le 6 décembre 1913, Gérald écope d’une amende de 30 F pour « chasse sans permis » et son frère de 15 jours de prison et 30 F d’amende pour « outrages et voies de fait sur un garde particulier » (in « L’indicateur de Bayeux du 12/12/1913 »).
Conscrit de la classe 1915, Gérald Le Carpentier est mobilisé par anticipation, comme tous les jeunes hommes de sa classe. Il arrive au 28è Régiment d’infanterie le 19 décembre 1914. Il passera successivement aux 403ème RI (21 mars 1915), au 239è RI (le 22 septembre 1916) et revient au 403è le 9 juillet 1917.
Il est démobilisé le 14 octobre 1919, et « se retire » à Bayeux, au 5, rue Saint-Patrice.
Gérald Le Carpentier a eu plusieurs fois maille à partir avec les instances disciplinaires de l’armée. Il est plusieurs fois condamné par le Conseil de Guerre (« sommeil pendant la garde », « retour différé de permission » considéré comme des actes de désertion, mais amnistiés, car il s’est présenté volontairement au Régiment). Mais il a aussi été décoré de la Croix de Guerre avec étoile de bronze : « Soldat courageux et plein d’entrain, a participé volontairement à un coup de main qui a permis de ramener 21 prisonniers ».
En mai 1921 Gérald Le Carpentier déménage à Cottun, au hameau Croisette, à 6 km à l’ouest de Bayeux.
Le 15 octobre 1921, il épouse Eloïse, Ernestine Paris (1900-1980) à Cairon (Calvados). Elle est née le 16/08/1900 à Cairon. En novembre de la même année, ils habitent chez M. Cassigneul à Sommervieu (à 5 km à l’est de Bayeux).
En mai 1922, il reviennent à Cottun. En janvier 1922 ils déménagent à Tour-en- Bessin. En novembre 1926, ils habitent à Vienne-en-Bessin. Au début de 1935, l’épouse de son frère Gaston, en instance de divorce, accuse les trois frères d’être responsables de l’assassinat de deux gendarmes, en 1934, lors d’une partie de chasse. Interrogés, les frères nient et sont remis en liberté.
En 1935, il travaille avec son frère Gaston au chantier du Casino de Luc-sur-Mer. A cette occasion ils se battent avec un autre maçon. Le cimentier porte plainte et ils sont condamnés à 18 F d’amende.
En octobre 1935 Gérald et sa famille ont déménagé pour Vaucelle. En février 1936, il est condamné à un mois de prison pour rébellion à plusieurs gendarmes, venus lui signifier une contrainte par corps.
Il quitte Vaucelles en novembre 1938 pour revenir à Bayeux, rue Saint Patrice, mais au n° 20.
En mars 1938, Gérald Le Carpentier travaille aux Ateliers de fabrication d’armement de Caen (un complexe pyrotechnique dédié à la fabrication des munitions, ce qui vaut au site le nom de «Cartoucherie»).
«Rappelé à l’activité», militaire il est mobilisable le 2 septembre 1939. Etant père de 5 enfants vivants, il est classé « Affecté spécial » aux ateliers de fabrication de Caen, le 17 novembre 1939.
Il est radié de cette « affectation spéciale » le 27 décembre 1939, comme sont radiés à cette époque les militants syndicalistes ou supposés communistes. Mais il est laissé sans affectation militaire.
Le 14 juin 1940, l’armée allemande d’occupation entre dans Paris, vidé des deux tiers de sa population. La ville cesse alors d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Le 18 juin 1940, les troupes allemandes occupent la ville de Caen, et toute la Basse Normandie le 19 juin. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
En août, 8 divisions d’infanterie allemande – qu’il faut nourrir et loger – cantonnent dans la région. L’heure allemande remplace l’heure française.
Gérald Lecarpentier est arrêté dans la nuit du 1er au 2 mai 1942 par des gendarmes français de Bayeux et des Feldgendarmen.
Son nom a en effet été porté sur la liste émanant de la Préfecture du Calvados des militants communistes, arrêtés dans la nuit du 1er au 2 mai 1942 par des gendarmes français de Bayeux et des Feldgendarmen.
Son arrestation a lieu en représailles au déraillement de deux trains de permissionnaires allemands à Airan-Moult-Argences (38 morts et 41 blessés parmi les permissionnaires de la Marine allemande à la suite des sabotages par la Résistance, les 16 et 30 avril 1942, de la voie ferrée Maastricht-Cherbourg où circulaient deux trains militaires allemands. Des dizaines d’arrestations sont effectuées à la demande des occupants. 24 otages sont fusillés le 30 avril.
Lire dans le site : Le double déraillement de Moult-Argences et les otages du Calvados (avril-mai 1942) et la note du Préfet de Police de Paris à propos du sabotage de Moult-Argences : Collaboration de la Police français (note du Préfet de police, François Bard).
Il est transféré à la Gendarmerie de Bayeux. Après deux jours 2 jours passés à la gendarmerie de Bayeux, il est emmené en camion pour Caen à la demande de la Feldkommandantur 723, le 3 mai, avec ses camarades de Bayeux arrêtés en même temps que lui, au «Petit lycée» de Caen occupé par la police allemande, où sont regroupés les otages du Calvados. On leur annonce qu’ils seront fusillés. Par la suite, un sous-officier allemand apprend aux détenus qu’ils ne seront pas fusillés mais déportés.
Après interrogatoire, ils sont transportés le 4 mai 1942 en cars et camions à la gare de marchandises de Caen. Le train démarre vers 22 h 30 pour le camp allemand de Royallieu à Compiègne le Frontstalag 122 (témoignage d’André Montagne, rescapé). Gérald Lecarpentier y est interné le lendemain soir en vue de sa déportation comme otage.
Il reçoit le matricule « 5258 » à Compiègne. Il est dans un premier temps affecté au bâtiment A5, chambre 7, dont le chef de chambre est Olivier Souef. A la date du 29 mai 1942, celui-ci a rayé son nom de la liste de la chambrée, ce qui signifie que Gérald Lecarpentier a été transféré dans une autre chambrée.
Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, voir les deux articles du blog : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Depuis le camp de Compiègne, Gérald Le Carpentier est déporté à Auschwitz par le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks, responsables aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le Parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Son numéro d’immatriculation à Auschwitz n’est pas connu. Le numéro « 45 746 ? »
figurant dans mes deux premiers ouvrages sur le convoi du 6 juillet 1942 correspondait à ma tentative de reconstitution de la liste du convoi par matricules. Ce numéro, quoique plausible, ne saurait être considéré comme sûr en raison de l’existence des quatre listes alphabétiques successives que j’ai partiellement reconstituées, de la persistance de lacunes pour quatre noms, mais d’incertitudes sur plusieurs centaines de numéros matricules. Il ne figure plus dans mon ouvrage Triangles rouges à Auschwitz.
De plus, la photo du déporté portant ce numéro matricule prise à Auschwitz lors de la séance d’immatriculation le 8 juillet 1942, n’a pas été retrouvée, aucune comparaison avec sa photo d’avant-guerre n’est possible.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Aucun des documents sauvés de la destruction ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz, ne nous permet de savoir dans quel camp il est affecté à cette date
Gérald Le Carpentier meurt à Auschwitz le 19 septembre 1942 d’après le certificat de décès établi au camp d’Auschwitz et destiné à l’état civil de la municipalité d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz Tome 2 page 158 où il est orthographié sous le nom Le Carpentier). Comme cent quarante huit «45 000» ont été déclarés décédés à l’état civil d’Auschwitz les 18 et 19 septembre 1942 et qu’un nombre important d’autres détenus du camp ont été enregistrés à ces mêmes dates, il est vraisemblable qu’ils ont été tous morts gazés à la suite d’une vaste «sélection» interne des «inaptes au travail», opérée sans doute dans les blocks d’infirmerie.
Lire dans le site : 80 % des « 45 000 » meurent dans les six premiers mois
Après la Libération, le Comité de libération de Bayeux s’adresse le 16 juillet 1945 à un rescapé, André Montagne afin de lui demander s’il peut donner des nouvelles de plusieurs déportés de cette ville, dont Le Carpentier.
Le titre de «Déporté politique» a été attribué à Gérald Le Carpentier. Selon son registre matricule militaire il a été homologué comme « Déporté Résistant » le 25 mars 1949. Il a été déclaré « Mort pour la France ».
Son épouse a demandé à André Montagne une attestation du décès de son mari à Auschwitz (avril 1946), attestation demandée par le Ministère des anciens combattants.
Son nom et celui de ses camarades déportés à Auschwitz est inscrit sur le monument aux morts de la commune.
Une plaque commémorative collective a été apposée le 26 août 1987 à la demande de David Badache et André Montagne, deux des huit rescapés calvadosiens du convoi. Le nom de Gérald Lecarpentier est inscrit sur la stèle à la mémoire des caennais et calvadosiens arrêtés en mai 1942.
Située esplanade Louvel, elle a été apposée à l’initiative de l’association « Mémoire Vive », de la municipalité de Caen et de l’atelier patrimoine du collège d’Evrecy. Elle est honorée chaque année.
- Note 1 : Par la suite d’une erreur du secrétaire de mairie de Saint-Honorine-des-Pertes, son inscription sur le registre des naissances avait été omise en 1895. Elle figure par jugement du tribunal sur le registre de l’année 1900. Cette erreur explique sans doute qu’il n’y ait pas eu d’inscription de son mariage sur son acte de naissance. Y figure seulement sa date de décès à Auschwitz.
Dans plusieurs documents, dont le J.O. et la lettre du Comité de Libération de Bayeux ci-dessus, leurs fils ont été inscrits sous le nom de « Lecarpentier ».
Sources
- Registre matricule militaire, archives en ligne du Calvados.
- Lettre de sa veuve à André Montagne (15 avril 1946).
- Témoignage d’André Montagne et de Charles Lelandais.
- Lettre du Comité de Libération de Bayeux (18 juillet 45).
- Fiche FNDIRP (n° 21450).
- Renseignements fournis par Jean Quellien, historien. (février 1992).
- Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés) N°31792.
- Fichier national de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen. 1993.
- Photo envoyée par sa petite fille Madame Catherine Godefroy.
Notice biographique rédigée en janvier 2001 (complétée en 2015, 2017, 2021 et 2024) par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages : Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des «45000», éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé) et de Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Autrement, Paris 2005) à l’occasion de l’exposition organisée par des enseignants et élèves du collège Paul Verlaine d’Evrecy, le lycée Malherbe de Caen et l’association Mémoire Vive. Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
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