En 1979, peu après la projection à la télévision du film « Holocauste », Roger Abada envoie à l’amicale des anciens déportés d’Auschwitz un article intitulé « réflexions au sujet d’Holocauste » qui paraît dans le n° 185 d’« Après Auschwitz », bulletin trimestriel de l’amicale (février-mars-avril 1979). Sur le même sujet et aux mêmes pages, deux autres articles : l'un de Marie-Claude Vaillant-Couturier et l'autre de Charles Gelbart (Matricule 26621). Nous reproduisons intégralement cet article.
Réflexions au sujet «d’holocauste»
La récente projection d’« Holocauste » a eu le grand mérite de montrer
à des millions de téléspectateurs la monstrueuse entreprise de génocide commise par les nazis à l’encontre des populations d’origine juive en Europe et elle a permis ainsi de rompre le silence qui menaçait de s’étendre sur ces crimes contre l’humanité. On pourrait ajouter à l’extermination des Juifs celle des Tziganes ainsi que la répression sanglante contre les patriotes et les
résistants des territoires occupés, mais ce n’était pas le sujet du film. Je voudrais cependant faire à son propos certaines remarques dans le but d’étendreles réflexions suscitées par sa diffusion.
D’abord, ces nazis, qui les avaient aidés à prendre le pouvoir, qui les avait soutenus ? Il est bon de rappeler que, dès 1922, des industriels et des financiers allemands subventionnaient le parti nazi. Parmi les bailleurs de fonds les plus connus, on peut citer : Borsig, fabricant de locomotives, Thyssen, des Aciéries Réunies, les établissements Daimler-Benz. On y trouve
également par la suite, sous l’égide de Schacht et de Goering, des milieux financiers allemands mais aussi étrangers (tchécoslovaques, scandinaves,
suisses…) ; on y trouve le dirigeant de la Shell, Deterding. Les fonds transitaient par la banque Mendelssohn d’Amsterdam, la Banque Commerciale
Italienne et certains milieux financiers américains…
Car ils avaient misé sur Hitler pour mater le peuple allemand avec un « pouvoir fort », comme plus tard le régime de Pétain misera sur Hitler et sera
le premier pourvoyeur des convois de Juifs promis à l’extermination.
Parmi les bénéficiaires du régime nazi, on retrouve les mêmes : Krupp et Thyssen pour les aciéries et l’industrie lourde ; I. G. Farben pour l’industrie chimique : Siemens pour l’industrie électrique, Heinkel pour l’aviation, etc. Leurs dirigeants étaient des notables du gouvernement et du parti nazi.
Ils ont bénéficié ensuite de la main-d’œuvre bon marché des camps de concentration, utilisant le travail des déportés jusqu’à leur épuisement total.
A Monowitz, où se trouvait l’usine Buna de l’I.G. Farben, on a construit le camp de Buna-Monowitz et à Gross-Rosen – où quelques rescapés du convoi des 45.000 furent transférés en octobre 1944 – c’est à l’intérieur même de l’enceinte du camp, à côté du four crématoire que s’était installé un atelier des établissements A. E. G.
Ces faits méritent d’être rappelés alors que toutes ces entreprises sont aujourd’hui encore plus puissantes qu’hier, ce qui explique peut-être en
partie pourquoi de nombreux criminels de guerre restent impunis en R.F.A. et pourquoi on y fait preuve de tant de mansuétude envers les nostalgiques – anciens ou nouveaux – du nazisme. Ensuite, mais sans avoir la place pour développer, je voudrais simplement indiquer que si pour les besoins du film, les persécutions y débutent par la Nuit de Cristal (9-10 novembre 1938), la répression de masse avait en réalité commencé après la provocation de l’incendie du Reichstag, le 27 février 1933, qui avait servi de prétexte à l’arrestation de 4.000 antifascistes allemands – parmi lesquels des communistes, des sociaux-démocrates, des libéraux, juifs ou non et à l’abolition des droits fondamentaux de la Constitution.
Dès février 1933 les premiers camps de concentration étaient ouverts
et on y trouvait le dirigeant communiste Ernst Thaelmann qui sera assassiné à Buchenwald le 18 août 1944 et le futur prix Nobel Carl Von Ossietzky qui mourra en
détention le 4 mai 1938. De 1933 à 1938 plus de cent camps de concentration
dans lesquels périront des dizaines de milliers d’antifascistes allemands seront ainsi créés.
Enfin, et sans pouvoir là encore développer longuement, je voudrais dire qu’il n’est pas possible de suivre entièrement les propos de Madame Veil dans le débat qui suivit, lorsqu’elle dépeint les déportés comme un troupeau avili et sans humanité. Certes, il n’est pas question de mettre en doute son témoignage personnel et les situations qu’elle a décrites ont existé.
Mais elles ne sont qu’un aspect de la réalité très complexe des camps.
Car la solidarité, l’amitié, la fraternité, le soutien moral et le soutien matériel lorsque c’était possible, et aussi la lutte sous des formes multiples, cela
existait aussi. C’est un sujet sur lequel il faudra bien revenir, ce qui n’atténuera en rien l’entreprise d’avilissement et d’anéantissement par les S.S. dans les camps.
Roger ABADA (45157), 1979
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