Auguste Monjauvis : syndicaliste, soldat en 1939, résistant. Arrêté en septembre 1941.  Témoignages sur le Dépôt de la Préfecture de Police de Paris et le camp de Rouillé…
Auguste Monjauvis en 1989 Il a 86 ans

MONJAUVIS Auguste, Eugène, métallurgiste, ajusteur, outilleur à la Compagnie des Compteurs à Montrouge depuis 1936, « j’avais été élu délégué du personnel et secrétaire de la section syndicale. Mon activité ne plaisait guère à la direction. L’utilité de mes connaissances professionnelles aurait dû être pour des Français de me maintenir à l’usine, vu que pour ce début de la guerre j’étais classé dans l’affectation réforme (1), mais il faut dire que les industriels de la métallurgie et d’autres capitalistes dans un nombre assez important, avaient cette devise: « Plutôt Hitler que le front populaire« .

Mobilisé le 7 septembre 1939, il est affecté en échelon avancé en Alsace.

« En juin 1940, ma Compagnie réussit à sortir de l’encerclement fait sur les routes allant vers Belfort – les troupes allemandes firent là beaucoup de prisonniers – ma compagnie se replia et se cantonna dans l’Aveyron. Au camp du Larzac, je fus démobilisé en juillet 1940 et rejoignit Paris occupé. La vie devait continuer, ma femme, mes parents n’avaient aucune ressource, il fallait travailler. Je repris contact avec les camarades de l’usine des Compteurs de Montrouge, mais la direction, toujours aussi ferme dans ses principes de classe, m’avait rayé de son personnel, le patronat avait ses listes rouges ou noires, ses ennemis n’étaient pas les occupants allemands.  

Maurice Lacazette

Plusieurs de mes camarades ouvriers militants étaient dans mon cas, en août et septembre 1940, nous nous réunissions dans les terrains vagues pour organiser notre résistance, en liaison avec Maurice Lacazette, secrétaire du syndicat des métaux de la région parisienne (fusillé en 1942 par les Allemands). Dès cette époque, septembre 1940, nous avons formé des groupes de trois des comités
populaires de la C.G.T. clandestine, adhérente au Front National. Nous distribuions des tracts anti-allemands, nous en remettions à quelques chefs de groupe que nous avions formé dans l’usine. J’avais trouvé du travail chez un artisan maquettiste à Montrouge, mais très mal rétribué. En octobre ou novembre 1940 je trouvai du travail dans ma profession chez Ragonot à Malakoff. Je continuai mon activité au sein des comités populaires. De très bonne heure les
matins avant d »entrer à l’usine, nous mettions des tracts dans les boites aux lettres et nous collions des papillons donnant des mots d’ordre contrel’occupation de notre pays. M’apercevant que j’étais repéré par la direction de cette usine, je la quittai pour aller travailler dans une petite entreprise du XIe arrondissement de Paris, en mars 1941. Je pris liaison avec l’organisation résistante et fis le même travail de propagande. Au début de juin 1941, un camarade de mon ancienne usine des Compteurs vint me proposer d’entrer à la Société Industrielle des Téléphones – Paris XVe. Elle était une des plus grandes usines de l’arrondissement, de suite à mes premiers jours de travail, il me mit en liaison avec un responsable du triangle local pour organiser les distributions de tracts et des prises de paroles dans la rue des Entrepreneurs à la porte de l’usine. Nous mobilisions nos triangles intérieurs pour la sauvegarde des résistants, distributeurs et orateurs. Nous avons entrepris la parution d’un journal d’usine, il fut retardé par suite de changements continuels de nos
imprimeries clandestines, nous avions comme mot d’ordre, le sabotage d’outillages servants à la fabrication d’appareils de transmissions téléphoniques destinés à l’ennemi et nous avons eu la mission d’un transport d’armes pour les groupes O.S. (plus tard F.T.P.F.)

Pris en filature

Le 16 septembre 1941, je m’aperçus d’une filature en prenant le premier métro du matin, descendant à « Grenelle » actuellement « Bir
hakeim » où j’assurai une liaison avec le chef de triangle local. Le lendemain au petit jour, j’étais arrêté. Ces faits sont pour montrer que la résistance des communistes à l’occupation de notre pays par les troupes hitlériennes était organisée bien avant l’entrée en guerre de l’U.R.S.S. Nombreux sont les communistes qui en ont donné les preuves par des témoignages irréfutables, « les calomniateurs continueront, la vérité aussi ».

L’arrestation

Le 17 septembre 1941, j’étais arrêté à mon domicile, au 143, rue Nationale – Paris 13ème, à 5 heures du matin par deux policiers en
civil. Si j’ai été arrêté ce n’est pas seulement que mes idées étaient contraires au gouvernement de collaboration avec Hitler, mais bien que je ne cessais de propager par différentes actions les idéaux de la Résistance. 
Le 17 septembre 1941, j’étais amené par deux inspecteurs devant le commissaire de la Préfecture de Police de Paris au quai des Orfèvres, celui-ci demanda à un secrétaire de lire un rapport, il était de plusieurs pages écrites à la main. Le commissaire demanda mon accord et ma signature sur les faits cités, je réfutai toute la lecture, furieux il me dit que j’étais amnésique !

Le Dépôt

Le commissaire donna l’ordre de m’emprisonner immédiatement dans une cellule de la Tour Pointue (le Dépôt). Chaque jour j’attendais l’interrogatoire en règle, bien décidé à ne rien dire sur mes activités. 

Le Dépôt Dessin de Jules Ferat

C’était en septembre 1941, des affiches rouges étaient placardées dans le métro avec les noms en noir des premiers Résistants fusillés.
Pendant huit jours je restai seul dans cette cellule humide où la tinette coulait avec bruit par intermittence, m’empêchant de dormir même la nuit. Par quel hasard, je ne sais, au neuvième jour, les gardiens me firent passer dans la grande salle du Dépôt. Là, je retrouvai une vingtaine de camarades venant de différentes prisons, et déjà organisés entre eux.
Je leur donnai des nouvelles de l’activité résistante dans le 15ème
arrondissement de Paris et fut adopté tout de suite. Il faut dire que dans ce groupe de Résistants, André Tollet, secrétaire de l’Union des Syndicats de la Région Parisienne en faisait partie. Pendant une dizaine de jours, nous sommes restés dans cette salle cherchant une faille pour l’évasion.

Rouillé

André Tollet, évadé de Compiègne fiche de recherche en 1942
Le camp de Rouillé © AJPN

Mais le 9 octobre 1941, un ordre de la Préfecture est arrivé de nous mettre les menottes de nous transporter en car à la gare d’Austerlitz en direction du camp de Rouillé dans la Vienne.
Dans ce camp en pleine campagne du Berry, des baraquements entourés de plusieurs rangées de barbelés de plus de deux mètres de haut où vivaient depuis des mois des centaines de prisonniers, en grand nombre des militants communistes, des socialistes, des syndicalistes (à cette date, les catholiques venant des réseaux gaullistes étaient peu nombreux) et quelques droit commun. L’organisation intérieure était un fait. Notre vingtaine reconnaissait là des militants, des résistants arrêtés depuis plusieurs mois dans cette année 1940.
Nous étions entre camarades ! Chaque baraquement avait ses responsables pour les corvées, la propreté. Des cours étaient organisés avec des professeurs bénévoles : culture, physique, langues vivantes, histoire, mathématiques. Je m’inscrivis aux cours d’algèbre et maths (un militant, un résistant pense toujours dans un avenir meilleur à son utilité « parfaire ses connaissances »). 

Maurice Ténine fusillé à Chateaubriant © Le Maitron

Quelques jours passèrent et dans la semaine du 22 octobre 1941, stupéfaction et colère ! Nous apprîmes la fusillade d’otages du camp de Châteaubriant : 27 communistes que nous connaissions bien, certains pour avoir milité avec eux (le docteur Ténine était le docteur des grévistes en 1936 à Montrouge).
Le camp de Rouillé était aussi un camp d’otages. Notre organisation y cherchait les moyens d’évasion. Un jour, le commandant du camp nous proposa de faire une corvée de bois dans la forêt des environs, je fus désigné avec trois autres camarades. Notre tâche était d’étudier les possibilités d’évasion. Trois gardes avec fusils nous suivaient dans tous nos chargements. Malgré nos conversations aimables avec nos gardes, nous n’avons pu avec aucun des trois, orienter la sympathie envers les internés (cette corvée n’a pas été suivie d’autres,
le commandant était devenu méfiant). Une nuit de décembre, nous sommes réveillés par de nombreux coups de feu de fusils mitrailleurs vers les barbelés, nous voyons un corps pendu par les pieds accroché, la tête en bas, à la deuxième rangée de fils de fer, un autre plus loin, mort de la même façon. C’était deux malheureux droits communs qui avaient cru corrompre un garde de les laisser sortir. 
Décembre 1941, j’appris la mort de mon père, j’en fus très peiné, c’était un bon père et communiste depuis plusieurs années. Au début janvier
1942, un jour de grand froid, ma femme et ma mère, au prix de bien des privations, vinrent m’apporter quelque nourriture.
Au camp, nous n’étions nourris que de carottes, de rutabagas et de topinambours, nos intestins en étaient malades et cet hiver 1941/1942 a été un hiver de neige et de glace. A la fin de ce mois et au début de février, des rumeurs circulaient sur des prises d’otages dans les camps. Le 7 ou 8 février, on nous consigna dans les baraquements avec ordre du commandant de ne pas sortir.
Dans la soirée, il vint avec deux gardes l’entourant et d’autres, fusils au bras à la porte de notre baraquement qui était situé en fin de camp, il se plaça au centre de nos rangées de lits de bois à étages. Il appela cinq noms, j’étais du nombre, on le questionna, il nous dit qu’il en faisait de même dans tous les baraquements, que c’était un ordre supérieur !
Les gardes nous entourèrent pour nous amener à la salle de garde, à l’entrée du camp. Là, nous nous sommes retrouvés au nombre d’une cinquantaine, toujours des communistes et syndicalistes, des conseillers municipaux communistes venant de plusieurs municipalités communistes ouvrières de la banlieue parisienne, mon camarade André Tollet était aussi du nombre.

Notre organisation protesta, envoya une délégation auprès du commandant afin de savoir quelles sortes de représailles nous étaient destinées. Le commandant affirma que nous étions pour être transférés dans un autre camp et non pour être fusillés. A la nuit, on nous fit monter dans un camion, direction d’un fond de gare où nous attendait un wagon à bestiaux ».

Auguste Monjauvis est transféré avec ses camarades au camp allemand de Compiègne, géré par la Wehmarcht.

Témoignage recueilli à la FNDIRP dans les années 1970. En janvier 1972, Auguste Monjauvis témoigne dans le « Patriote Résistant » pour le 27ème anniversaire de la Libération d’Auschwitz.

  • Note 1 : Travaillant dans une entreprise d’intérêt national, il avait été vraisemblablement classé « affecté spécial », c’est-à-dire mobilisable sur son poste de travail en cas de conflit, mais comme la quasi-totalité des affectés spéciaux syndicalistes et/ou communistes il a été radié… et appelé sous les drapeaux.

Photos 

  • Auguste Monjauvis © MRN / Pierre Cardon
  • Le dépôt : dessin de Jules Ferat in © « Crimino corpus ».
  • Maurice Lacazette : archives de la Préfecture de police de Paris / © Le Maitron
  • André Tollet : Archives de la Préfecture de police de Paris  © Pierre Cardon
  • Le camp de Rouillé © AJPN
  • Le camp de Compiègne, photomontage © Pierre Cardon

En cas d’utilisation ou publication de ce témoignage, prière de citer : « Témoignage publié dans le site   « Déportés politiques à Auschwitz : le convoi dit des 45.000 » https://deportes-politiques-auschwitz.fr

Adresse mail :  deportes.politiques.auschwitz@gmail.com

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